Où elle monologua sur les couvertures, mais pas que

Lorsque j’ai débuté dans le fanzinat (début des années 1990), je me suis demandée pourquoi certains fanzines (et jeux aussi !) mettaient des illustrations dans leurs pages.
Je sais qu’il vaut mieux dire “ça ne me plait pas” plutôt que “c’est moche”, mais c’était juste moche en fait. Ce n’est pas parce que tu mets des traits sur une feuille que ça devient un dessin.
Je n’ai jamais eu la réponse. Au lieu de trucs moches, ils auraient pu juste mettre des titres gros et bien écrits. Surtout que les fanzines s’achetaient par correspondance, sur leur contenu. Si on cherchait un scénar ou une aide pour son jeu préféré, c’était le nom du jeu qui allait déclencher l’achat.
Puis les photocopies valaient une blinde, on avait plus intérêt à réduire qu’à augmenter la surface occupée par le contenu…

Le temps a passé et les produits ont carrément changé.
Dans le jeu (de rôle, de plateau, vidéo…), il y a une culture de l’illustration et je comprends. On veut proposer une ambiance, on s’immerge.
Bon, ça me déçoit toujours quand un jeu de plateau a des illus trop mignonnes et qu’il est naze, mais je comprends.
Le jeu est lié au visuel.

Dans les littératures de genre, les couvertures doivent être illustrées.
POURQUOI ???
Vraiment, pourquoi ?

Je peux entendre plein d’arguments :
– il faut se démarquer en librairie : oui, parce que les autres le font donc on craint d’être “différent” sur le rayonnage… dont le livre disparaitra très vite, en fait ;
– c’est plus joli : OK… mais c’est un livre, pas un tableau ; dans la bibliothèque, on ne verra plus que la tranche ;
– parce que, du coup, le bouquin sera instagramable. Sérieux ? C’est les réseaux sociaux qui sont les arbitres de l’élégance ?

… non, en fait, je sèche, je ne sais pas pourquoi.

Le seul usage que j’imagine, c’est en festival ou sur la table du libraire, pour déclencher l’envie d’être pris. Lae lecteurice saisit le bouquin, mais l’achètera-t-iel s’iel n’est pas convaincue par le 4e de couv’ ou les premières pages ?
Quand je vois certaines couvertures de littérature blanche avec des photos random, genre des vieux tableaux ou des objets posés là “comme ça”, je doute que ça ait décidé l’acheteur·se.

En fait, je bloque quand je ne vois pas l’intérêt de quelque chose.

Alors, oui, bien sûr, quand une illustration spécifique a été réalisée pour une œuvre parce qu’une illustrateurice a lu le texte, l’a aimé et en sort ce que cela représente pour elle/lui, ça a du sens… mais on sait que ce n’est pas la configuration principale, non ?
Combien de fois la couverture nous évoque réellement le texte ?

Le dernier livre que j’ai acheté en librairie est un Pratchett. Je voulais ce titre spécifiquement, en poche pour qu’il ne me soit pas trop cher et en papier car je n’ai pas de liseuse. Le nom de l’illustrateur est marqué en tout petit, si petit qu’on dirait qu’on a simplement voulu l’effacer.
J’ai googlé son nom (après avoir réussi à le lire en le photographiant pour l’agrandir).
Si je m’en étais tenue à l’illustration de cette couverture, toute petite, ben… j’oublierais immédiatement ce gars. Je découvre ses œuvres sur son site et, clairement, si je parcourais une expo de lui, irl ou virtuelle, je prendrais le temps de regarder.
Bref, cette couverture ne m’a pas donné envie d’acheter (quand tu vas acheter un Pratchett, aujourd’hui, tu sais quel titre et pourquoi) et ne m’a pas fait découvrir l’artiste (bon, OK, si, du coup, mais parce que je suis en train de rédiger ce billet et que le livre est posé sur mon bureau).

— Hé, mais qu’est-ce que tu nous racontes ? Tu as bien édité des livres avec des couvertures illustrées et tout !
— C’est vrai.

Par exemple, pour l’anthologie Terre 2.0, nous avons repris en couverture l’illustration de l’affiche réalisée par Guillaume Tavernier pour Nice Fictions.
Cela avait un sens car c’était l’antho du festival, donc le lien était direct.
Ou, pour Rébellion saurienne, je suis très heureuse d’avoir fait appel à une illustratrice que j’apprécie, qui a lu le texte et l’a vraiment illustré (au sens littéral : elle a illustré ce qu’elle avait lu et n’a pas fait un dessin selon mes instructions éditoriales).
Mais, en dehors de ces rencontres spécifiques, j’ai le sentiment qu’on tombe juste dans l’exercice imposé “il faut une illustration”.

En tant qu’éditrice, mon travail est de trouver des textes, de les sélectionner, de les faire retravailler, de les corriger…
Mon travail n’est pas de publier des illustrations (côté littérature — ça ne s’applique pas au jeu de rôle ou si je publiais des romans graphiques/bandes dessinées, hein).

C’est encore plus évident pour le livre numérique dont la couverture se déclinera en N&B sur une liseuse.
Autant je peux croire que lae lecteurice soit attirée par la couverture du format papier posé sur sa table de chevet, autant cela n’a plus de sens (me semble-t-il) quand le livre devient un titre dans une longue liste numérique.

Parce que je tourne la question dans tous les sens et je reviens toujours au même point.
Le livre restera peu sur un stand ou une table en librairie, il sera surtout acheté après les recommandations d’une critique, d’une blogueur·se, d’une influenceur·se, d’une ami·e…
Et il finira sur la tranche.

Alors, certes, certaines collections sont très harmonieuses, leurs couvertures étalées côté à côté, mais… entre des essais parfois réussis et une véritable obligation, systématique… il n’y a pas tout un monde ?

J’ai la même frustration d’incompréhension avec Instagram.
Je ne dénie pas l’utilité des réseaux sociaux surtout si, comme moi, on est investi dans plusieurs projets/associations, mais, au lieu que leur usage soit calqué sur leurs performances, il se fait par tranche d’âge.
— Si tu veux toucher les jeunes, tu dois être sur Insta. Y’a que les vieux sur FB !
— OK…
mais what ???

Je ne suis pas mannequin, photographe, illustratrice…
Je n’ai même pas de photos de plats à partager !
Alors, oui, j’ai bien un compte Insta car je joue le jeu de l’expérimentation, mais à quel moment cela a du sens d’y être présent en tant qu’auteurices ?
Et, oui, j’ai regardé des comptes d’écrivain·es et… je trouve ça… insensé, en fait.

Pour le coup, pour une écrivain·e, Twitter me semble limite plus pertinent.
— Ouais, enfin, comme chaque tweet est limité en signe, iels font des enfilades de tweets et s’arrachent les cheveux parce que le 1er d’une file de 25 a une faute d’orthographe qu’iels ne pourront jamais corriger !
— Yep…

— Mais, du coup, pour Nice Fictions, tu cherches bien une nouvelle illustrateurice pour chaque édition ?
— Comme je l’ai écrit plus haut, j’aime comprendre le sens de ce que je fais.
Nice Fictions est un festival où les arts plastiques sont présents. L’illustrateurice de l’affiche expose sur place. Son œuvre est visible, se déclinera en affiches/posters. Lae specteurice est invitée à sa rencontre spécifique.
Sur les murs de ma chambre, à côté d’affiches de Nice Fictions, j’ai l’affiche des Utopiales 2019. Parce que j’ai aimé l’illustration et que cela marque un moment.

Ma mère étant peintre et illustratrice, depuis toute petite, je l’ai vue avec des crayons, des pinceaux (bon, elle a une tablette now) et j’aime le dessin, la peinture, la photo… mais je ne comprends pas qu’on l’immisce de force dans l’écriture/littérature.
J’ai très envie de faire des webtoons par exemple, mais j’y pense en tant que tel, pas pour mettre des illustrations “pour en mettre”, mais bien en me demandant comment cela transformerait ma narration (mais, bon, c’est mort, je n’ai pas de coéquipier·e en vue).
Ca me fait le même effet que certains restos qui te servent des desserts alors qu’ils n’ont pas de pâtissier. Tu as mangé un délicieux plat, tu vois une liste de desserts, tu te laisses tenter et tu te retrouves avec une pâtisserie Picard (ne vous y trompez pas, j’aime plusieurs de leurs desserts, mais, quand j’en ai envie, je vais m’en acheter, j’attends une autre expérience en resto) ou carrément moins bien.

Voilà, tout ça pour vous avouer que cela fait plusieurs années que je tente de convaincre l’équipe des Vagabonds qu’on peut sortir un livre sans illustration sur la couverture.
— Mais ne crains-tu pas la réaction du public, en mode “ce n’est pas un vrai bouquin de genre” ?
— Si, forcément. Quand tu vas sortir de la norme, tu sais qu’il va y avoir des réactions inconfortables.
Mais je prétendrais que c’est parce que c’est de la littérature générale.

D’ailleurs, tiens, c’est quoi cette distinction entre littérature générale et littérature de genre ?
La littérature, c’est de la littérature.
Tout texte appartient à un ou plusieurs genres selon sa nature et ce qu’il raconte (forme poétique ou théâtrale, drame ou comédie, romance ou polar…).
— Du coup, si tout n’est que littérature, pourquoi, en tant qu’éditrice ou organisatrice d’évènementiel, tu t’es spécialisée ?
— Quand tu ouvres un restaurant, tu ne mets pas tout ce que tu aimes/sais faire au menu. Tu décides de ce que tu as envie d’apporter dans le quartier/la ville où tu t’installes.

Mais parler de “littérature de genre” (oui, OK, je l’ai écrit en début de billet) est un non-sens…
Et imposer des normes arbitraires dans une catégorie qui n’existe même pas… très peu pour moi.

Bref, je ne me forcerai plus 😉

40 ans de JdR ? Et moi, et moi…

Aujourd’hui, Psychée a publié un billet à l’occasion de ses 40 ans de jeu de rôle.
J’imagine que je ne suis pas la seule : en lisant ce genre de témoignage, on se dit forcément “et moi ?” et l’on fouille dans sa mémoire, on cherche ses anecdotes.
J’ai souvent raconté que la date où j’ai découvert le JdR était sans ambiguïté puisque c’est à Noël 1982 que Mère Dragon a offert la boîte rouge de D&D à ma sœur (et moi ?).
— Et donc ?
— En y réfléchissant bien, D&D n’a pas été ma découverte du jeu de rôle même si je n’avais pas mis le terme dessus précédemment.
Je ne sais pas quand, nous avions acheté (probablement au rayon livres d’Euromarché) la Grotte du temps. La date d’impression est octobre 1981 (j’étais en CM1 alors) et je me souviens que, en classe de CM2 (1982-1983), à la cantine, j’avais proposé à deux camarades que nous explorions des… donjons ? Je ne suis pas sure du tout d’avoir donné ce nom, je leur disais qu’ils avaient deux portes devant eux, laquelle voulaient-ils franchir ?
La mémoire est trompeuse, mais je relie ce jeu que je leur ai proposé à cette première aventure dont vous êtes le héros que j’avais dû parcourir des centaines de fois, pas à D&D…
Ses pages ont jauni, mais il est toujours là, précieux, dans ma bibliothèque.
— Et ensuite ? Le JdR et toi à l’adolescence ?
— Rien.
Les garçons ne me voulaient déjà pas au club d’informatique du collège et il n’y avait pas de club de jeu… alors je dévorais les LDVELH, achetais des jeux à la boutique de jouets d’Angoulême (AdC, Paranoïa…) ou à la boutique (proprement magique à mes yeux) de JdR de Toulon quand nous y allions en vacances, cherchais du JdR dans les jeux vidéo (un peu en vain, mais je faisais semblant que…) et lançais mon propre fanzine.
Pour vrai, je ne me suis lancée complètement dans le JdR que quand ma fille aînée s’y est mise (vers 12 ou 13 ans ?). J’ai pu aller en conventions ou en clubs car je l’accompagnais et, là en tant que mère, avec une ado à la table, les gens n’avaient pas de comportements déplacés…
— Mais… t’avais des tas d’amis rôlistes, ils ne t’ont jamais proposé de les rejoindre ou… avant ça ?
— Ben… non…
Je rêvais de faire des GN et un ami proche, GNiste passionné, ne m’a jamais emmenée avec lui car “il n’aurait pas été à l’aise que j’entende les blagues que racontaient ses potes” (mais, oui, il y avait des filles avec eux, hein, mais, à ses yeux, moi, je ne pouvais pas venir).
Je crois qu’il faudra encore beaucoup de temps avant que les hommes de ma génération ne prennent conscience de tout ce qu’ils ont fermé comme portes devant nous.
Parce que, si tu penses qu’une amie ne peut pas jouer parce que tes potes la mettraient mal à l’aise, ça te convient vraiment comme situation ?