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Les chagrins d’amour ne durent que le jour (2016)

9.000 signes #romance #fantastique
Temps de lecture : 9 minutes
Le premier jet de cette nouvelle a été rédigé à l’occasion du match d’écriture de la Convention Nationale de SF 2016.

Samedi 9:47
Dans la cuisine, les aiguilles de l’horloge cliquètent et le narguent. Comme chaque samedi. Il reste encore quelques minutes, mais il est prêt, que peut-il faire de plus ? S’il reprend un café, il sera trop nerveux et il l’est déjà bien assez.
Elle ne sortira pas de chez elle avant dix heures. Elle n’est pas du matin. Elle ne sort jamais avant dix heures. Elle descend jusqu’au marché aux fleurs dans l’idée de s’acheter un bouquet « puisque personne ne lui en offre jamais ». C’est là qu’il l’abordera. Sous un prétexte futile. Il en a plein en stock et, au final, il pourrait réutiliser le même à chaque fois, il ne change que pour lui puisqu’elle…
Il la bouscule par hasard et il est vraiment désolé. Ou il lui sourit en croisant son regard. Ou… Il a réalisé que ce n’était au fond pas très important parce qu’il lui plait et qu’elle a envie de se laisser faire. Pour elle, cela fait désormais plusieurs années qu’elle n’a pas eu d’histoires et il y a quelque chose en lui qui…
Alors…
Alors il va l’aborder, il lui offrira les fleurs qu’elle est venue s’acheter, ils prendront un café puis ils se baladeront le long de la mer, tout à côté, sauf l’été car le soleil tape beaucoup trop fort et elle ne veut pas s’y exposer.

Vers midi, il l’invitera à déjeuner. Il sait bien sûr ce qu’elle aime, mais il essaie de varier un peu les restos, déjà pour que les serveurs ne s’habituent pas trop à eux. Il s’est d’ailleurs toujours demandé ce qui se passerait si l’un d’eux les interpellait, genre reconnaissait les « amoureux » qu’il voit souvent le samedi midi.
Chaque après-midi ensuite est un peu différente. Parfois, au printemps par exemple, ils montent la colline du château et s’assoient sur un banc. Ils regardent la mer, les bateaux, la ville qui s’étend et se répand sur les collines alentour. En décembre, elle est plutôt shopping car elle a tant de gens à gâter ! Elle doit trouver le cadeau idéal pour ses deux neveux qu’elle adore, mais aussi pour des oncles et des tantes, des copines chéries, des collègues appréciés…
Il admire sa générosité, son sourire quand elle parle de sa famille, de ses amis… Elle se confie très vite « comme s’ils se connaissaient depuis toujours » et il aime ça, à chaque fois. Il connaît par cœur le nom de ses sœurs, du collègue du bureau d’en face, du petit voisin qui rigole tout le temps, des chats du deuxième étage… Il la connaît si bien, mais il l’écoute toujours comme s’il la découvrait, il repose les mêmes questions, il rit aux mêmes remarques…
Il l’aime. Chaque samedi un peu plus.
Chaque samedi, il se lève avec cette même anxiété : et si elle se levait plus tôt ? Ou si elle ne se levait pas car elle avait fait la fête la veille au soir et s’était couchée trop tard ? Si elle ne descendait pas au marché aux fleurs ? Si elle ne répondait pas à son sourire ?
Si elle avait rencontré quelqu’un depuis le précédent samedi ?
C’est déjà arrivé, d’ailleurs, qu’elle s’absente de la ville pour quelques jours. Qu’elle ait la grippe et ne sorte pas. Ces samedis-là, il a compris que ne pas la voir était forcément bien pire que de recommencer. Ne pas la voir. Ne pas savoir si…
Une fois par semaine. Pas plus. Le samedi.
Pourquoi le samedi d’ailleurs ?
C’était un samedi, déjà, la première fois. Il l’avait rencontrée au marché aux fleurs. Il sortait d’une histoire et, sur le moment, il aurait bien juré que c’était une rupture difficile dont on ne se remet pas. Oui, il a juré.
Il n’a pas dû faire que jurer… Qui a-t-il offensé ? Il s’en souvient, le con, on n’oublie pas ce genre de choses. Qui a-t-il apostrophé ?
« L’amour n’existe pas ! Ça n’est qu’un leurre ! Plus jamais ! »
On est si définitif quand on pleure.
Il était tout juste dix heures, c’était un samedi d’automne et les rideaux métalliques des commerces grinçaient en se levant comme de vieux messieurs qui s’étirent d’une nuit trop courte. La boutique était au bout du marché, la première quand on arrivait, mais il ne l’avait jamais remarquée avant ?
Il est entré parce que, dans la vitrine, on lui promettait des remèdes miracle et des grigris et qu’il était un de ces jours où on doit croire un peu tout et n’importe quoi, et surtout n’importe quoi. Il a demandé un « truc pour ne plus jamais aimer ».
Le vieux monsieur, derrière son comptoir, lui a vendu une affreuse petite fiole, tout à fait kitch, forcément inoffensive au vu de sa laideur. Une potion de désamour.
« Buvez-la quand vous serez prêt et vous n’aimerez jamais plus. »
Il l’a fourrée au fond de la poche de son jeans, s’est promis de la boire dès qu’il serait rentré chez lui et…
C’est donc ce samedi même où il a acheté cette stupide et affreuse potion qu’il l’a rencontrée la première fois. Plus exactement, ils se sont tamponnés parce qu’il est sorti trop vite de la boutique et… Le coup de foudre, c’est vraiment un truc qui n’existe pas, absurde, idiot, mais il l’a tamponnée, a bafouillé une excuse et… elle a juste souri. Elle a juste souri et…
Parce qu’il sortait d’une histoire dont il ne pouvait pas se remettre ? Il l’a invitée à prendre un café, puis a déjeuné, puis…
Ce soir-là, il l’a simplement raccompagnée chez elle. Il n’était pas si tard, mais il n’avait pas besoin de plus car, après un samedi aussi merveilleux, elle allait forcément le rappeler et n’avaient-ils pas tout leur temps ?
La semaine a passé, il a laissé la fiole de désamour posée sur une étagère de la cuisine, sans être tenté de la boire et… elle ne l’a pas rappelé. Elle ne l’a jamais rappelé.

Il n’a pas voulu pleurer parce que « ne te raconte pas d’histoires, tu la connais à peine ! » Il a hésité à vider la prometteuse fiole, s’est accordé un jour de plus et… le samedi matin, au marché aux fleurs…
Elle ne l’a pas reconnu. Honte ? Regret ? Elle ne le connaissait vraiment pas ! Il a commencé à lui parler. Elle se moquait de lui ? Elle l’avait oublié… Il l’a laissée là, meurtri, blessé, il est rentré et a beaucoup pleuré. S’est promis que, après une claque pareille, il n’avait besoin d’aucune potion magique pour comprendre la leçon. Il a voulu oublier et, un samedi suivant, au marché aux fleurs, il l’a croisée.
Il lui a souri — c’était plus fort que lui –, elle a répondu à son sourire… comme s’ils se rencontraient pour la première fois. Il lui a offert un café, puis ils ont déjeuné… Ce soir-là, il a conclu, parce que, bon, pas le premier soir ? Et pourquoi pas le premier soir ? Il n’est reparti de chez elle que dans l’après-midi du dimanche.
Elle ne l’a pas rappelé. Elle ne l’a jamais rappelé.

Son cœur est mort. Encore. Il a beaucoup pleuré. Il a laissé passer quelques samedis et, un matin, au marché aux fleurs… Elle ne l’a pas reconnu. Elle ne se souvient pas de lui. Elle ne se souvient jamais de lui.
Une maladie ? Un souci de mémoire à court terme ? A long terme ? Elle n’a aucun souci ! Elle vit heureuse, elle a des amis, une famille aimante, un bon job. Elle regrette juste d’être célibataire depuis quelques années maintenant, elle ne fait jamais de rencontres.
Le lundi matin, au bureau, quand chacun raconte son week-end autour du premier café, elle parle de ses vendredis soirs, parfois de ses dimanches… Le samedi ? Honnêtement, elle ne se souvient plus. Elle a forcément dû faire quelques courses et le ménage, car voilà bien ce qu’on fait le samedi, mais elle a oublié, ça ne devait pas être bien important. Ou elle est peut-être allée au ciné ?
Chaque samedi, il la rencontre. Il lui sourit, il la fait rire, il la séduit. Il lui fait découvrir de nouveaux restos, il lui offre des fleurs, parfois même une petite robe ou… Ils vont au cinéma, ils font et refont le tour de la ville. Elle se souvient du film qu’ils ont vu, mais… n’était-elle pas seule ? Parfois, le samedi soir, elle lui ouvre sa porte et… oh… Il a beau la connaître, il a beau savoir tout ce qu’elle aime…
Qu’il reparte le matin, à midi ou le dimanche soir… elle ne rappellera pas. Elle ne le rappelle jamais.

Tous les dimanches soirs, il meurt. Le chagrin le dévore et lui brise le cœur. Il regarde la fiole, se dit qu’il serait temps de mettre fin à cette souffrance, qu’il n’y survivra pas une semaine de plus, mais l’idée de ne plus la revoir, l’idée de ne plus l’entendre rire… stoppe son geste.
Allez, une fois de plus et ce sera la dernière ?

Lundi 6:00
Le réveil sonne. Il est temps de se préparer pour partir au boulot. Elle ne te rappellera pas ! Sèche tes larmes et passe à autre chose ! Elle ne peut pas se souvenir de toi !

Samedi 9:47
Dans la cuisine, les aiguilles de l’horloge cliquètent et le narguent. Comme chaque samedi. Il reste encore quelques minutes, mais il est prêt, que peut-il faire de plus ? S’il reprend un café, il sera trop nerveux et il l’est déjà bien assez.
Elle ne sortira pas de chez elle avant dix heures. Elle n’est pas du matin. Elle ne sort jamais avant dix heures. Elle descend jusqu’au marché aux fleurs dans l’idée de s’acheter un bouquet « puisque personne ne lui en offre jamais ». C’est là qu’il l’abordera. Sous un prétexte futile. Il en a plein en stock et, au final, il pourrait réutiliser le même à chaque fois, il ne change que pour lui puisqu’elle…

Cenlivane

Ecrivain·e, Poète·sse, Blogueur·se

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