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Les kdramas et l’absence de rôles genrés

Temps de lecture : 6 minutes

J’en ai parlé dans un billet de mars 2020. J’ai découvert les kdramas (séries coréennes) via Netflix puis, plus tard, les cdramas (séries chinoises) avec Viki, abonnement pris en recherchant des séries vantées sur les réseaux sociaux, mais non présentes sur la 1ère plateforme. (Et je me suis aperçu récemment qu’Amazon avait quelques séries que les deux premières n’ont pas1.)

En tant qu’amateur d’imaginaire, je suis séduit par la fantasy et le fantastique de ces deux pays. Je l’ai évoqué dans différents billets sur ce blog et je pense que je pourrais facilement en parler pendant des heures. En découvrant (en premier) le fantastique coréen, j’ai eu le sentiment de rentrer chez moi, je ne peux pas le décrire autrement. Les fantômes, les réincarnations, les voyages dans le temps… Tout m’a semblé familier et naturel et le fantastique que j’avais consommé jusqu’alors (étasunien ? anglais ? français ?) m’a semblé pauvre et triste. Mais, côté fantasy, il y a une élégance qu’on ne va pas trouver côté occidental. Si une partie de notre fantasy va s’inspirer d’un temps imaginé rude (barbare ?), la Corée et la Chine vont invoquer des époques remplies de soies et de lettré·es. (Je ne sais vraiment pas comment mieux le décrire, sinon que le guerrier chinois, mettons, sait écrire et soigne ses longs cheveux, quoi.)

En bonus, leur mythologie me fait plus rêver que la nôtre. Je ne veux pas nier l’aspect nouveauté, mais, depuis mon enfance, je n’ai jamais eu d’appétence pour la mythologie gréco-romaine. J’ai évoqué que A Korean Odyssey était une réinterprétation de la Pérégrination vers l’Ouest, mais, par exemple, l’un des personnes principaux de Lost You Forever est la réécriture du serpent venimeux Xiangliu issu du Classique des montagnes et des mers.

Ce rapport à l’imaginaire, il peut m’être un peu personnel, mais, plus largement, je pense que ces dramas séduisent un public féminin nombreux à travers le monde car… le male gaze y est absent… ou réduit ?

L’algorithme de Facebook, hier, m’a montré une personne vantant un livre dédié aux kdramas. Afin d’appuyer le propos, elle avait joint une photo de la présentation ? intro ? J’avoue que j’ai été partagé entre l’étonnement et l’agacement… et l’incompréhension devant les likes et coms enthousiastes.

L’autrice arrive à placer « contre-féminisme » et « merveilleuse différence entre les sexes ». Je n’arrive pas à savoir si c’est juste un manque de discernement ou une volonté assumée de vouloir flatter un public réac. J’ai laissé passer la nuit et, au matin, j’ai besoin de remettre l’église au centre du village.

Pour le « contre-féminisme », je vais passer assez vite car c’est juste trop gros. Les féminismes sont bien évidemment pluriels et chaque pays va avoir ses spécificités, mais le féminisme présent dans les kdramas est un féminisme « comme les autres », légitime.

« Merveilleuse différence entre les sexes » ?

Bon, déjà, ça montre une ignorance certaine, un contentement loin de toute pensée scientifique et critique, mais… est-ce qu’on pourrait dire que, globalement, les kdramas jouent sur une vision genrée de l’homme et de la femme ? Sans surprise, la réponse est clairement « non ».

J’avais évoqué que l’homme était présenté comme beau, érotisé, mais le premier point, je pense, celui qui semble le plus évident, est évoqué plus haut : l’absence du male gaze (ou j’ai vraiment mal cerné l’idée derrière ce concept ?). Si l’homme est beau (et sa beauté est vantée), il peut apparaitre sous la douche, nous exposant son torse magnifique. Le corps de la femme n’est pas sexualisé. Elle est belle, mise en valeur, mais son corps ne devient objet de désir que si la narration l’exige, genre parce qu’on nous expose le point de vue d’un personnage.

Il y a des tonnes d’articles sur le sujet, je ne vais pas le développer : les micro-agressions sexistes épuisent au quotidien. Et, d’une certaine façon, quand on consomme une fiction occidentale qui nous réexpose à l’idée que notre corps (de femme) peut être un simple objet de désir, même si on y est habituée, même si on finit sans doute par considérer que c’est normal, qu’on est OK avec ça… plonger dans une fiction où cette idée disparait est… reposant.

Je lis ici et là que le sexe est absent des dramas, que les récits seraient trop prudes, blabla. Non. Le sexe est présent quand il est voulu dans l’histoire. Juste, il n’est pas gratuit ou indispensable. Et, pareil, ça repose.

Mais, surtout… il n’y a pas de rôle genré.
— T’es sérieux ?
— Ben, écoute, à partir du moment où les hommes pleurent toutes les larmes de leur corps et qu’ils sont souvent placés dans le rôle du soigneur (place du care attribué aux femmes dans une vision sexiste), que tu as autant d’histoires avec des femmes sauveuses ou devant être sauvées…

Oui, dans les kdramas, la majorité des relations sont hétérosexuelles, mais, si on décortique la place occupée, elle varie à chaque histoire. Si je prends le récent Queen of Tears, oui, Lui est champion de boxe et tireur d’élite (il a maxé ses compétences en Force), mais Elle est une entrepreneuse froide et impitoyable (position masculine dans une vision sexiste).

Souvent, ce sera Lui qui sait cuisiner et bien tenir la maison, tandis qu’Elle se consacre à sa carrière et vit dans le désordre. J’ai vu plus de répliques féministes, de rappel au consentement… dans la fiction coréenne ou chinoise qu’étasunienne ! Et quand le rôle est « genré » (disons), c’est que le personnage est un Méchant ou un ancien qui complique la vie des héros.

Donc, s’il y a bien quelque chose que Jean Mascu et Marie Terf ne trouveront pas dans les séries télévisées venues de Corée ou de Chine, c’est la satisfaction de leur idée que la femme et l’homme ont chacun·e une place attribuée à la naissance. N’en déplaise à notre « contre-féministe ».

Petite note : Mon propos dans ce billet ne me satisfait pas pleinement, car j’ai mélangé fictions coréennes et chinoises en y trouvant des points similaires : traitement de l’imaginaire, détricotage des rôles genrés, absence de male gaze… mais, bien évidemment, ça n’a aucun sens de faire un immense pot commun en y jetant plusieurs pays d’un coup.

Du coup, je place ici un détail / une différence qui m’amuse beaucoup et pour laquelle je ne me serais probablement pas fendu d’un billet dédié : la Police.

La police est un élément narratif souvent important (dès qu’il y a un mystère / une enquête) et, sur son rôle, les fictions coréennes ou étasuniennes me semblent globalement similaires. (Voir ce petit aphorisme de 2012.) En général, un héros part sauver l’autre en se mettant en danger et la police arrive à la dernière minute pour éviter qu’il y ait trop de morts…

Dans les cdramas, la police est requise pour les agressions sexuelles (qu’elle prend en charge !) et, si l’un·e des héros part en sauver un autre qui s’est mis en danger, iel accourt… en ayant appelé la police avant ou sur le trajet. C’est à la fois curieux et… plus réaliste ? Si une personne lambda se fait enlever (mettons), à quel moment son ami/amoureux peut lae sauver tout seul·e ?

  1. Je dois d’ailleurs faire un billet sur Epouse mon mari que j’ai fini hier soir et qui est dessus. ↩︎
Cenlivane

Ecrivain·e, Poète·sse, Blogueur·se

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