On s’en fout qu’un festival disparaisse… non ?

Il n’existe pas de Grande Famille de l’Imaginaire.
Il existe un ensemble de personnes qui oeuvrent dans ce domaine (auteurices, traducteurises, éditeurices, illustrateurices, etc.) et qui le font vivre et un ensemble de personnes qui l’aiment et qui veulent qu’il soit plus présent et prospère.
Mais cet intérêt commun ne crée pas forcément de liens.
L’idée qu’une passion commune lie les gens est finalement un fantasme que l’on retrouve pas mal dans la branche réac de la sphère rôliste : il aurait existé un âge mythique où, rassemblés par la passion du JdR, tout le monde aurait joué ensemble.
Quand on y regarde de plus près, c’est tout le monde sauf… les femmes, les queer, les racisés, les…
En réalité, en général, quand quelqu’un parle d’une grande famille, c’est un peu dans le sens qu’il faut entendre quand on veut te silencier car ce ne serait que « des histoires de famille ».

Le mythe de la Grande Famille, c’est une injonction pour faire taire celles et ceux qui sont différents, qui dénoncent les agressions ou le harcèlement ou les brimades…
Si tu veux en faire partie, tu dois accepter les règles édictées par les dominants.

C’est « amusant » parce que ce choix du terme « famille » n’est pas anodin du tout.
Quand arrivent les fêtes de fin d’année, sur les réseaux, tu vois tout un tas de gens se lamenter qu’ils vont devoir supporter des « repas de famille » et, dans ce qu’ils décrivent, il n’y a rien de réjouissant : ils vont entendre des propos haineux, par exemple, ils vont subir des remarques ou des reproches…
Cet imaginaire est très loin de me faire rêver.

Bref, il n’y a pas de grande famille et c’est tant mieux.
Il y a des clans, des groupes liés par des intérêts ou des affects, des accords ponctuels ou durables…
Néanmoins, dans la récente affaire des Imaginales, dont j’ai déjà pas mal parlé, il y a eu une réaction collective et unifiée.
Comme plusieurs personnes l’ont dit, que l’on soit ami ou non de Stéphanie Nicot, que l’on ait aimé aller aux Imaginales ou non, quand un objet (festival, média…) disparait, surtout de cette taille, cela nous impacte tou·tes collectivement.

Si donc cette affaire crée une unanimité inquiétante (quand on est unanime, c’est que ça craint vraiment !), il y a toujours un ou deux trolls dissonants.
Je ne parle pas des quelques rares personnes restées silencieuses par intérêt : ils pensent qu’ils vont récupérer quelque chose de ces Imaginales mourantes, peut-être en faire un festival à leur image ou intérêt. Ou juste profiter quelques années de la somme que la mairie est prête à verser.
Non, je parle de deux trolls bien connus de nos services. L’un est écrivain, l’autre est rôliste. Si le deuxième ne comprend pas pourquoi les gens parlent de l’affaire/se sentent concernés, le premier a écrit sur les réseaux que l’objectif d’un festival n’était pas de créer, mais seulement de passer un bon moment et qu’il n’y avait donc aucune raison de s’indigner.

Alors j’ignore si le gars pense sincèrement ce qu’il dit. C’est un peu l’inconvénient des trolls : ils créent un perso public dans la provoc et il est difficile de distinguer s’ils sont de mauvaise foi pour alimenter leur image ou s’ils sont de bonne foi et sont simplement ignares.

Mais, en fait, le sujet mérite qu’on en parle.
Bon, OK, je pourrais prendre une approche plus glamour, faire péter une belle intro au lieu de rebondir sur un commentaire un peu bébête, mais, bah…

Le sujet des festivals/conventions m’intéresse particulièrement et j’en parle quelque fois sur ce blog. C’est le gros de mon activité associative.

— Mais, au fait, c’est quoi la différence entre « festival » et « convention » ?
— Ca m’amuse parce que, il y a pas mal d’années, je m’étais faite prendre de haut car j’avais dit qu’il n’y avait pas de différence fondamentale. J’avais été pointée du doigt comme ignare ou trop novice ou… alors que cela faisait déjà plusieurs années que j’étais dans le milieu, mais, fidèle à mon syndrome de l’imposture (dont j’estime la disparition vers mes 45 ans), je m’étais répétée que j’avais mal dû comprendre et…
Il n’y a pas de différences fondamentales, c’est plus un choix esthétique en fonction des milieux.
Dans la littérature, on va parler de « festival » quand on veut faire venir du monde et de « convention » quand c’est sur inscription/à destination des fans. Mais il y a des festivals payants et les gens qui paient l’entrée sont bien des fans 😉
Dans le JdR, on va parler de « convention » même pour les gros events (comme Octogônes).
— Donc je résume : festival si littérature et convention si jeux ?
— Yep, plus ou moins. Du coup, quand je parle à des écrivain·es, je vais dire que #NiceFictions est un festival et, à des rôlistes, que c’est une convention 😉
(Pour vrai, je privilégie souvent « event » qui compacte « évènement » sans qu’il y ait débat sur le sens des accents — poke Timothée Rey.)

Bref, si l’on n’y prête pas attention, un event pourrait effectivement être juste le moyen de passer un bon moment (et, si ce n’était que ça, en fait, ça serait quand même dommage que l’un d’eux disparaisse pour de mauvaises raisons, comme les Imaginales aujourd’hui).

Récemment, j’ai abordé le sujet sous l’angle : si les events ne sont pas des lieux safes pour les femmes, elles sont entravées dans leur carrière.
Je l’ai d’abord dit un peu à l’arrache lors de la remise des Graal d’or au #FIJ2022, mais, à l’occasion de #NiceFictions22, j’ai proposé une table ronde sur le sujet.

En fait, c’est Ayerdhal qui m’a ouvert les yeux le premier sur le sujet. C’était lors d’Imaginales (décidemment).
Je n’avais aucun doute qu’il était un grand écrivain et je n’avais pas besoin de le voir pour m’en souvenir.
Il m’a expliqué qu’il avait été « absent de la scène » quelques temps et que, dès que tu t’absentais, les gens t’oubliaient.
Ouah ! Un écrivain comme lui pouvait être oublié, en fait…
Je n’ai pas eu l’occasion de participer à beaucoup d’events. Sur mes moyens financiers persos, je suis bloquée financièrement (la vie d’une maman solo) et je n’ai jamais été invitée car, même si mes écrits sont appréciés, je n’ai jamais eu d’œuvres à vendre/promouvoir, mes parutions étant plutôt en revues/antho.

Je ne regrette rien car je n’avais pas les moyens de me déplacer donc me soucier de quelque chose que je ne pouvais de toute façon pas faire m’aurait fait du mal pour rien.
Mais, pour le peu de déplacements que j’ai faits et des témoignages de… tout le monde ? c’est lors de ces rencontres que la création avance.
Non seulement cela peut te donner des idées d’œuvres lors des échanges avec les collègues, mais cela te met en contact avec d’autres acteurices pour des projets communs, de la basique rencontre avec ta/ton futur·e éditeurice à des projets plus complexes.
Lionel Davoust en parle dans son billet hier au sujet des Imaginales. C’est lors d’une room party aux Utopiales que les Imaginales sont apparues.
— Oui, mais Stéphanie aurait pu motiver les gens en leur envoyant des mails…
— J’ai rejoint l’orga de ma première convention en 1991, y’a plus de 30 ans.
La rencontre irl est fondamentale et les années n’ont fait que me le confirmer.
A titre personnel, je n’imagine pas aujourd’hui travailler sur Nice Fictions sans mon codirecteur, mais, en réalité, je lui ai demandé de me rejoindre parce que je l’ai croisé par hasard au FIJ2014.
— Ouais, il aurait fini par entendre parler du projet et vous aurait rejoint…
— Peut-être. Mais nous fonctionnons collectivement de cette façon.
— Et dans le JdR, tout ça, ça n’est pas pareil parce que tu nous parles de la carrière d’écrivain·es, là…
— En fait, ça joue un peu moins car la scène est plus limitée et un auteur n’est pas oublié dès qu’il ne se montre plus, mais, néanmoins, la rencontre avec de nouvelles joueuses, les tests, les échanges… sont importants et nourrissent la créativité.

Notre temps est limité.
En permanence, nous faisons des choix : quel livre va-t-on lire ? Avec qui va-t-on travailler sur tels projets ?
Par exemple, je n’ai jamais été sollicitée pour une antho à appel fermé (i.e. quand l’appel à textes n’est pas rendu public, mais l’anthologiste contacte des auteurices qu’il a sélectionnées en amont).
— Ben, c’est que personne n’aime ton travail.
— Sérieux, ça n’est pas la réponse.
Devant un projet, on va réfléchir aux noms qu’on y associerait et notre mémoire va remonter dans ses dernières rencontres/échanges. Il aurait suffi de partager un diner, un soir de festival, avec l’une ou l’autre pour qu’iel se dire : « Ah, tiens, oui, y’a elle aussi qui est nouvelliste ! »

— Ouais, mais, là, finalement, tu nous parles des carrières et de la réussite de projets. En quoi, moi, amateur d’imaginaire, ça me concerne ? Si je ne lis pas telle écrivaine, je lirais tel auteur. Si un event ne se fait pas, j’irais à un autre !
— Personnellement, je pense que rien ne s’enrichit et n’évolue sans la pluralité. Je pense que cantonner l’art (par exemple) à la production des seuls hommes blancs valides aisés est une erreur. Je pense qu’il n’y a pas tant d’events que ça et que, moins il y en a, plus les gens modestes n’y ont pas accès car ils ne peuvent aller facilement qu’à ce qui se passe près de chez eux. Je pense qu’il n’y a, de la même façon, pas tant de médias que ça.
Si la pluralité et/ou la diversité vous dérange ou vous indifférent, nous ne sommes juste pas compatibles et, comme je l’écrivais en intro, nous ne faisons pas partie de la même famille.