Où je parle d’écueils narratifs, notamment autour de #LoveIsSweet

Attention, par son propos même, ce billet contient des spoilers.

Hier, c’était la diffusion du 8e épisode (sur 16) de #LoveNextDoor et, sans aucun lien entre les deux, j’ai fini #LoveIsSweet (un cdrama de 36 épisodes de 40 minutes et pour lequel je me suis fendu d’un retour sur SensCritique).

Dans Love Next Door, nous sommes donc à la moitié du récit (pile poil) et, là, on apprend qu’Elle est malade : elle a été opérée 3 ans plus tôt d’un cancer de l’estomac et, puisqu’elle souffre à nouveau, on peut craindre le pire. En amont, pas mal de fans s’inquiétaient déjà que la personnage principale soit malade car iels avaient noté plusieurs indices, notamment qu’elle ne buvait pas d’alcool (j’ai oublié les autres et, perso, je n’aurais rien vu).

Sans préjuger de la suite (qui rattrape peut-être tout ça)…

Suite…

I speak English not very well if I want!

Il y a des gens pour penser que, si on travaille assez, si on fait les efforts nécessaires… on peut forcément tout réussir. Je ne crois pas. Je trouve cette idée validiste et dangereuse.

Validiste car elle pose l’idée que nous sommes tou·tes exactement pareil·les, avec les mêmes « outils » dans notre corps. Dangereuse1 parce qu’elle entraine des parents, de bonne foi, à harceler leurs mômes, persuadés qu’ils « pourraient s’ils voulaient ».

Ce qui est problématique, ce n’est pas d’accepter que nous sommes différent·es et que certain·es d’entre nous ne peuvent pas faire certaines choses, mais d’attribuer de la valeur aux gens en fonction de ce qu’ils sauraient faire.

Depuis tout petit, je suis doué en grammaire et en orthographe. Françaises. Même à l’école primaire, dans mes cahiers, il était dit que j’écrivais « bien ». Bien sûr que le fait que ça me soit facile a entrainé que j’ai continué à beaucoup écrire (même de simples billets de blog ou des statuts bébêtes sur les réseaux), mais j’en avais aussi « besoin » car je suis plus à l’aise à l’écrit qu’à l’oral pour parler de certains sujets, notamment dans l’intimité.

Je ne parviens pas à me perfectionner en anglais. Je connais les règles et les mots, J’ai même regardé des épisodes de séries chinoises sous-titrés en anglais car la VF n’était pas encore prête pour avoir la fin de l’histoire… et je les ai compris. Je peux dire deux/trois mots, mais… si je ne suis pas à l’aise pour communiquer à l’oral en français, alors que je le maitrise parfaitement2, quelle probabilité il y aurait que je me lance à parler en anglais à des inconnu·es3 ? Et, sans cet exercice de perfectionnement, je suis bloqué, incapable de progresser alors que je connais les règles et le vocabulaire.

L’été dernier (j’en ai parlé dans mon billet précédent), j’ai voulu lire le roman Lost You Forever car il fallait attendre un an entre les deux parties du drama. Ce roman chinois était disponible en anglais en ligne : je l’ai lu avec le traducteur automatique du navigateur.

Oui, il y avait des fautes et des trucs bizarres, mais je me suis largement immergé dans l’histoire. Peut-être que j’aurais beaucoup perdu du sens si je n’avais pas vu le drama auparavant, mais, là, j’ai profité de l’histoire, j’ai aimé le roman.

Oui, j’aimerais que le roman soit disponible en français, traduit par un·e professionnel·le dans de bonnes conditions. C’est d’ailleurs un appel tout à fait sérieux que je lance : je ne sais pas comment joindre l’autrice et/ou l’éditeur chinois, mais, si quelqu’un sait, j’aimerais beaucoup que les Vagabonds du Rêve proposent ce roman (car je considère que c’est de la bonne fantasy et nous voulons ouvrir notre catalogue à l’exploration des autres écrivain·es en dehors des très-diffusés anglophones).

Mais… faute de blé, on mange des glands. Ne pouvant pas lire le roman autrement, je l’ai lu de cette façon.

Pendant longtemps, je me répétais : « lis en anglais, ça t’entrainera, n’utilise pas la traduction automatique », mais, en réalité, cette injonction idiote que je m’infligeais me coupait juste de tas de contenus. Puis, sur Facebook par exemple, je l’utilise désormais pour des tas de choses et je me réjouis de voir que, partout dans le monde, quelque soit notre langue, on raconte tou·tes les mêmes bêtises.

Mes enfants sont parfaitement bilingues. Je ne leur ai pas payé de cours particuliers ni de séjours à l’étranger, aucune mère seule n’en a les moyens. Iels ont appris en jouant en ligne à des tas de jeux vidéo, avec des gens de toute la planète, qui se retrouvaient ensemble avec leur anglais maladroit. Iels sont moins bons en français ? Mais iels ont accès à tellement plus de contenus que moi !

Oui, je ne peux pas m’exprimer en « bon » anglais, mais dois-je ne rien dire pour autant ?

Au travail, quand je suis obligé de m’exprimer en anglais, je le fais, peu importe ma peur du ridicule car je n’ai pas le choix…

Ma chercheuse en informatique personnelle4 m’a expliqué plus d’une fois qu’il n’existait aucune IA à l’heure actuelle, même si tout le monde en parle. Il y a juste, suivant les domaines, des outils automatiques plus ou moins sophistiqués. En matière de traduction, les outils ne sont pas récents et relativement efficaces, mais ils n’ont pas remplacé les traducteurs professionnels : ils ne sont pas capables de faire de la traduction littéraire, par exemple5. Et ils ne prennent aucun emploi : personne n’embaucherait quelqu’un pour lui traduire des commentaires FB s’exclamant sur la séduction d’un·e acteurice. Ou lui faire quelques mails simples au taf.

Pourquoi je vous raconte tout ça ?

Parce que j’ai décidé de franchir le pas, de mettre derrière moi toutes ces peurs avec lesquelles la société nous façonne. J’ai décidé de parler (enfin d’écrire) anglais quand j’en ai envie, même maladroitement : quand quelqu’un me parle maladroitement en français, je ne moque pas d’ellui, je l’envie de se lancer, je le remercie de faire l’effort de venir vers moi.

Le français est une langue trop rigide, où la moindre erreur est malvenue. Il est nécessaire de l’assouplir, de briser ses carcans, d’y faire entrer librement tous les néologismes dont nous avons besoin. Je l’ai toujours pensé, ça m’est devenu obligatoire en faisant mon coming-out en tant que personne non-binaire : il me manque des tas de mots pour parler de moi. Tenez, dans ce billet, je me genre au masculin, mais c’est « incorrect » tout comme ce le serait au féminin…

Bref… si les erreurs sont problématiques dans un hôpital ou un aéroport… elles n’ont aucune conséquence en littérature ou sur un blog. Oui, tout ceci n’est qu’une déclaration d’intentions, il va sans doute encore me falloir quelques années pour oser trébucher en public, mais, en vrai, quel est le risque ? Que les audiences confidentielles de ce blog chutent ?

  1. Une amie commente sur FB : « Dangereux aussi parce que american model qui excuse toutes les saloperies du capitalisme et du déterminisme social en mettant en avant les quelques exceptions rescapées de self made men et women et reportent donc la faute sur ceux qui n’ont pas réussi, eux. » Je l’avais pensé très fort, mais pas formulé, je corrige avec cette NdBdP ! ↩︎
  2. Nous vivons dans une société où cela ne se fait pas d’annoncer les domaines où on est excellent, de la même façon qu’on n’admet pas qu’on puisse être nul ailleurs. Perso, j’ai décidé de me mettre à l’aise avec ça : je sais où je suis bon, je sais où je suis nul. C’est la base pour manager et déléguer efficacement d’ailleurs. ↩︎
  3. puisque, pour qu’un·e inconnu·e devienne un pote, il faut un premier échange, donc vaincre la barrière de la langue… et que je reste derrière la barrière de la simple rencontre. ↩︎
  4. Oui, je suis comme ça : c’est mon syndrome du dictateur, j’aime avoir des experts qui m’appartiennent mdr ↩︎
  5. Mon exemple d’hier est assez parlant : je veux croire qu’aucun·e professionnel·le n’aurait accepté que le titre chinois d’un drame shakespearien soit traduit par le nom d’un vin ! ↩︎

Le bad boy est-il un homme toxique ?

Si la fiction peut éclairer le réel, si la fiction peut souvent avoir pour objectif de nous en parler, à sa façon, elle ne le décrit pas de manière réaliste et fidèle. Le premier exemple tout bête est que les personnages ne vont pas aux toilettes, sauf si cela sert l’histoire (les ralentit, les piège, ouvre un rebondissement).
Dans une romance, on peut faire une demande en mariage en public et tout le monde de s’émouvoir et d’applaudir. Alors que, dans la réalité, c’est un truc ultra-cringe puisque la personne sollicitée ne pourrait alors pas refuser sans être embarrassée devant des tas de témoins. Ce qui ne signifie pas qu’il ne faut plus utiliser ce genre de scènes en fiction, mais bien que cela ne doit juste pas être reproduit dans la réalité. De même que Superman vole, mais c’est un ET.
D’ailleurs, le genre de la romance a ceci de particulier qu’on aurait tendance à le comparer à la réalité, ce qu’on ne ferait pas pour une histoire d’Horreur ou de Super-Héros. Or la romance est une fiction comme les autres.

Suite…

Où elle monologua sur les couvertures, mais pas que

Lorsque j’ai débuté dans le fanzinat (début des années 1990), je me suis demandée pourquoi certains fanzines (et jeux aussi !) mettaient des illustrations dans leurs pages.
Je sais qu’il vaut mieux dire « ça ne me plait pas » plutôt que « c’est moche », mais c’était juste moche en fait. Ce n’est pas parce que tu mets des traits sur une feuille que ça devient un dessin.
Je n’ai jamais eu la réponse. Au lieu de trucs moches, ils auraient pu juste mettre des titres gros et bien écrits. Surtout que les fanzines s’achetaient par correspondance, sur leur contenu. Si on cherchait un scénar ou une aide pour son jeu préféré, c’était le nom du jeu qui allait déclencher l’achat.
Puis les photocopies valaient une blinde, on avait plus intérêt à réduire qu’à augmenter la surface occupée par le contenu…

Le temps a passé et les produits ont carrément changé.
Dans le jeu (de rôle, de plateau, vidéo…), il y a une culture de l’illustration et je comprends. On veut proposer une ambiance, on s’immerge.
Bon, ça me déçoit toujours quand un jeu de plateau a des illus trop mignonnes et qu’il est naze, mais je comprends.
Le jeu est lié au visuel.

Dans les littératures de genre, les couvertures doivent être illustrées.
POURQUOI ???
Vraiment, pourquoi ?

Je peux entendre plein d’arguments :
– il faut se démarquer en librairie : oui, parce que les autres le font donc on craint d’être « différent » sur le rayonnage… dont le livre disparaitra très vite, en fait ;
– c’est plus joli : OK… mais c’est un livre, pas un tableau ; dans la bibliothèque, on ne verra plus que la tranche ;
– parce que, du coup, le bouquin sera instagramable. Sérieux ? C’est les réseaux sociaux qui sont les arbitres de l’élégance ?

… non, en fait, je sèche, je ne sais pas pourquoi.

Le seul usage que j’imagine, c’est en festival ou sur la table du libraire, pour déclencher l’envie d’être pris. Lae lecteurice saisit le bouquin, mais l’achètera-t-iel s’iel n’est pas convaincue par le 4e de couv’ ou les premières pages ?
Quand je vois certaines couvertures de littérature blanche avec des photos random, genre des vieux tableaux ou des objets posés là « comme ça », je doute que ça ait décidé l’acheteur·se.

En fait, je bloque quand je ne vois pas l’intérêt de quelque chose.

Alors, oui, bien sûr, quand une illustration spécifique a été réalisée pour une œuvre parce qu’une illustrateurice a lu le texte, l’a aimé et en sort ce que cela représente pour elle/lui, ça a du sens… mais on sait que ce n’est pas la configuration principale, non ?
Combien de fois la couverture nous évoque réellement le texte ?

Le dernier livre que j’ai acheté en librairie est un Pratchett. Je voulais ce titre spécifiquement, en poche pour qu’il ne me soit pas trop cher et en papier car je n’ai pas de liseuse. Le nom de l’illustrateur est marqué en tout petit, si petit qu’on dirait qu’on a simplement voulu l’effacer.
J’ai googlé son nom (après avoir réussi à le lire en le photographiant pour l’agrandir).
Si je m’en étais tenue à l’illustration de cette couverture, toute petite, ben… j’oublierais immédiatement ce gars. Je découvre ses œuvres sur son site et, clairement, si je parcourais une expo de lui, irl ou virtuelle, je prendrais le temps de regarder.
Bref, cette couverture ne m’a pas donné envie d’acheter (quand tu vas acheter un Pratchett, aujourd’hui, tu sais quel titre et pourquoi) et ne m’a pas fait découvrir l’artiste (bon, OK, si, du coup, mais parce que je suis en train de rédiger ce billet et que le livre est posé sur mon bureau).

— Hé, mais qu’est-ce que tu nous racontes ? Tu as bien édité des livres avec des couvertures illustrées et tout !
— C’est vrai.

Par exemple, pour l’anthologie Terre 2.0, nous avons repris en couverture l’illustration de l’affiche réalisée par Guillaume Tavernier pour Nice Fictions.
Cela avait un sens car c’était l’antho du festival, donc le lien était direct.
Ou, pour Rébellion saurienne, je suis très heureuse d’avoir fait appel à une illustratrice que j’apprécie, qui a lu le texte et l’a vraiment illustré (au sens littéral : elle a illustré ce qu’elle avait lu et n’a pas fait un dessin selon mes instructions éditoriales).
Mais, en dehors de ces rencontres spécifiques, j’ai le sentiment qu’on tombe juste dans l’exercice imposé « il faut une illustration ».

En tant qu’éditrice, mon travail est de trouver des textes, de les sélectionner, de les faire retravailler, de les corriger…
Mon travail n’est pas de publier des illustrations (côté littérature — ça ne s’applique pas au jeu de rôle ou si je publiais des romans graphiques/bandes dessinées, hein).

C’est encore plus évident pour le livre numérique dont la couverture se déclinera en N&B sur une liseuse.
Autant je peux croire que lae lecteurice soit attirée par la couverture du format papier posé sur sa table de chevet, autant cela n’a plus de sens (me semble-t-il) quand le livre devient un titre dans une longue liste numérique.

Parce que je tourne la question dans tous les sens et je reviens toujours au même point.
Le livre restera peu sur un stand ou une table en librairie, il sera surtout acheté après les recommandations d’une critique, d’une blogueur·se, d’une influenceur·se, d’une ami·e…
Et il finira sur la tranche.

Alors, certes, certaines collections sont très harmonieuses, leurs couvertures étalées côté à côté, mais… entre des essais parfois réussis et une véritable obligation, systématique… il n’y a pas tout un monde ?

J’ai la même frustration d’incompréhension avec Instagram.
Je ne dénie pas l’utilité des réseaux sociaux surtout si, comme moi, on est investi dans plusieurs projets/associations, mais, au lieu que leur usage soit calqué sur leurs performances, il se fait par tranche d’âge.
— Si tu veux toucher les jeunes, tu dois être sur Insta. Y’a que les vieux sur FB !
— OK…
mais what ???

Je ne suis pas mannequin, photographe, illustratrice…
Je n’ai même pas de photos de plats à partager !
Alors, oui, j’ai bien un compte Insta car je joue le jeu de l’expérimentation, mais à quel moment cela a du sens d’y être présent en tant qu’auteurices ?
Et, oui, j’ai regardé des comptes d’écrivain·es et… je trouve ça… insensé, en fait.

Pour le coup, pour une écrivain·e, Twitter me semble limite plus pertinent.
— Ouais, enfin, comme chaque tweet est limité en signe, iels font des enfilades de tweets et s’arrachent les cheveux parce que le 1er d’une file de 25 a une faute d’orthographe qu’iels ne pourront jamais corriger !
— Yep…

— Mais, du coup, pour Nice Fictions, tu cherches bien une nouvelle illustrateurice pour chaque édition ?
— Comme je l’ai écrit plus haut, j’aime comprendre le sens de ce que je fais.
Nice Fictions est un festival où les arts plastiques sont présents. L’illustrateurice de l’affiche expose sur place. Son œuvre est visible, se déclinera en affiches/posters. Lae specteurice est invitée à sa rencontre spécifique.
Sur les murs de ma chambre, à côté d’affiches de Nice Fictions, j’ai l’affiche des Utopiales 2019. Parce que j’ai aimé l’illustration et que cela marque un moment.

Ma mère étant peintre et illustratrice, depuis toute petite, je l’ai vue avec des crayons, des pinceaux (bon, elle a une tablette now) et j’aime le dessin, la peinture, la photo… mais je ne comprends pas qu’on l’immisce de force dans l’écriture/littérature.
J’ai très envie de faire des webtoons par exemple, mais j’y pense en tant que tel, pas pour mettre des illustrations « pour en mettre », mais bien en me demandant comment cela transformerait ma narration (mais, bon, c’est mort, je n’ai pas de coéquipier·e en vue).
Ca me fait le même effet que certains restos qui te servent des desserts alors qu’ils n’ont pas de pâtissier. Tu as mangé un délicieux plat, tu vois une liste de desserts, tu te laisses tenter et tu te retrouves avec une pâtisserie Picard (ne vous y trompez pas, j’aime plusieurs de leurs desserts, mais, quand j’en ai envie, je vais m’en acheter, j’attends une autre expérience en resto) ou carrément moins bien.

Voilà, tout ça pour vous avouer que cela fait plusieurs années que je tente de convaincre l’équipe des Vagabonds qu’on peut sortir un livre sans illustration sur la couverture.
— Mais ne crains-tu pas la réaction du public, en mode « ce n’est pas un vrai bouquin de genre » ?
— Si, forcément. Quand tu vas sortir de la norme, tu sais qu’il va y avoir des réactions inconfortables.
Mais je prétendrais que c’est parce que c’est de la littérature générale.

D’ailleurs, tiens, c’est quoi cette distinction entre littérature générale et littérature de genre ?
La littérature, c’est de la littérature.
Tout texte appartient à un ou plusieurs genres selon sa nature et ce qu’il raconte (forme poétique ou théâtrale, drame ou comédie, romance ou polar…).
— Du coup, si tout n’est que littérature, pourquoi, en tant qu’éditrice ou organisatrice d’évènementiel, tu t’es spécialisée ?
— Quand tu ouvres un restaurant, tu ne mets pas tout ce que tu aimes/sais faire au menu. Tu décides de ce que tu as envie d’apporter dans le quartier/la ville où tu t’installes.

Mais parler de « littérature de genre » (oui, OK, je l’ai écrit en début de billet) est un non-sens…
Et imposer des normes arbitraires dans une catégorie qui n’existe même pas… très peu pour moi.

Bref, je ne me forcerai plus 😉

Et si, ce soir, vous changiez un ou deux persos ?

L’art n’est pas sacré. Il est vivant. Biologique.
Il y a quatre ans, j’écrivais un billet sur ce blog : Avez-vous peur des quotas ?
Je le relis aujourd’hui et mon opinion n’a pas changé. Le plus simple, au moins pour se lancer, ce sont les quotas.
Depuis ce billet/l’été 2016, je n’ai quasi plus écrit et, au moment même où je rédige ce mot, je n’en mène pas large, en attente d’une injection de fer… Ces quatre années écoulées ont été difficiles, pour plein de raisons, et je n’ai donc plus écrit. J’ai aussi peu lu, peu joué…
Je pourrais me lamenter en mode « ma Muse a fui, je ne suis plus une écrivaine », mais je n’ai pas de penchant pour l’auto-flagellation. La vérité, c’est que l’inspiration, c’est comme le désir sexuel : il y a des périodes fastes et des périodes creuses. Quand vous ne bandez plus pour un amoureux parce que vous êtes accablée de souci, vous ne vous dites pas « je ne l’aime plus ». Vous attendez que ça passe/de meilleurs moments.
Alors, même si je n’ai quasi plus écrit, j’ai continué à penser/cogiter… à ce que je voulais raconter, comment…
Si mettre plus de femmes ou plus de personnes LGBT+ dans mes textes me semble un exercice facile (pour moi, mais, si si, je t’assure, tu peux le faire aussi !), je continuais à m’interroger sur la diversité ethnique. Et je suis encore partagée.
Je décris peu physiquement mes personnages et cela me convient : c’est à la fois « ce qui me vient », mais c’est ce qui permet également à chaque lecteurice de s’identifier sans se poser de questions. En même temps, si le personnage est soi, il n’est pas un Autre…
Bref, à ce stade de ma réflexion (i.e. expérience personnelle ni statistique ni représentative), j’ai décidé de faire varier les prénoms, de regarder à travers le monde ceux qui me plaisent et d’y piocher allègrement.
– Ouais, mais, tu vois, quand j’écris mon texte, l’héroïne s’appelle Claire et je la visualise parce que, quand j’étais petit, j’étais très épris d’une Claire et, si je change son prénom, ce ne sera pas elle et je ne pourrais pas mener à bien mon Oeuvre.
– Alors, mon chéri, tu sais, c’est tout simple : tu écris ton texte, en rêvant à la Claire de ton enfance, et, quand tu as fini, que tu as utilisé toute ta nostalgie dans tes dialogues, ben… Claire et toi, vous devenez Giulio et Medhi. Ils se sont rencontrés sur les bancs de l’école, perdus de vue et…
– Ah, ben, non, c’est carrément pas la même histoire !!!
– En quoi ?
J’ai écrit la Princesse et le Roturier pour les 30 ans d’un gars dont j’étais amoureuse. Il était né en novembre et la nouvelle se déroulait un jour où la nuit tombe rapidement. Pour le projet de recueil Nice Parallèles où je souhaitais placer dans mon texte un chapeau qui s’envole, je me suis relue et j’ai systématiquement changé l’hiver en été. Ça peut être des soirées qui s’étirent, une héroïne en short plutôt qu’emmitouflée dans une douce écharpe… L’art n’est pas sacré. C’est le résultat du travail d’un humain qui, suivant les moments de sa vie, peut changer d’idées, d’envies, de discours.
Prétendre que l’art est sacré ou immuable, comme si une production humaine pouvait être plus précieuse que des vies, des sentiments… c’est alimenter l’idée qu’on a le droit d’être de vieux cons ou que les traditions sont forcément bonnes.
Nous changeons, nous devons changer, nous adapter. Déjà pour survivre. Mais également pour être heureux quand nos certitudes s’effondrent et que nos petits prés carrés doivent être partagés.
Alors, dans une période où la muse boit des mojitos sur une plage à l’autre bout du monde pendant qu’on est confiné à se lamenter sur sa faible production, on peut par exemple se dire : tiens, je vais reprendre ce texte et changer un ou deux persos, la saison, le lieu…
Ça vous semble dingue ?
Quand un·e illusteurice décline un même personnage en changeant ses habits, son chapeau… vous pensez qu’iel est dingue ou que c’est un processus naturel ? Ça ne vous choque pas d’acheter la version avec le chapeau de sorcier tandis que votre copine prend la version avec une casquette 😉
Bref… et si, ce soir, vous changiez juste quelques personnages, sans toucher à l’intrigue ni rien ?

Pourquoi publies-tu des livres ?

Commençons, comme il se doit, par un petit résumé des épisodes précédents :
Dans les milieux du livre (bande dessinée incluse), on apprend que le marché est en surproduction et que les auteurices sont les grand·es perdant·es.
Récemment, quelqu’un·e me faisait remarquer que, plus jeune, il y avait peu de livres de fantasy et qu’elle pouvait suivre plus ou moins la production, mais que, désormais, quand il flânait dans une librairie, elle ne savait que choisir entre les centaines de versions d’une même quête, du même assassin sombre qui…, du…
Je pose toute suite un bémol : liberté, choix, c’est cool. Si l’on a vraiment le choix, i.e. accès de la même façon à tout. Et on sait bien que ça n’est pas le cas : nos choix vont être contraints par les campagnes de com’ et le placement en librairies.

Je suis écrivaine. C’est une donnée comme ma taille, mon poids, la couleur de mes cheveux.
J’ai mis longtemps à réaliser pourquoi ça me définissait, mais ça me modèle énormément : que j’écrive un billet de blog ou un statut sur un réseau social, je me relis mille fois en me demandant si ce sont les bons mots. Que je raconte la moindre histoire à un pote croisé dans la rue et je me demande s’il peut comprendre, si j’ai situé les personnages, si l’anecdote est assez intéressante. Je décortique les films, les séries, les gens dans la rue (hein ? what ???).
Bref, j’aime écrire, j’aime la narration. Je dévore les histoires car c’est ce que je préfère (hormis le chocolat, disons).

Nous voici au cœur de la question. J’ai bien conscience que je suis candide, que je dois avoir oublié des milliers de paramètres, mais… pourquoi mes ami·es, mes collègues écrivain·es continuent-il/elles ?
Je ne parle pas d’écrire, hein, mais de proposer leurs écrits aux éditeurs.
Il me semble que se faire éditer a du sens si, tout à la fois (ou au moins l’un des deux), on en retire un revenu et on se fait connaître (on écrit pour raconter une histoire aux autres).
Je mets volontairement de côté les faux écrivains, vrais enfoirés, qui sont publiés alors qu’ils n’intéressent personne parce qu’ils font partie d’un milieu qui s’auto-entretient.
La/le vrai·e écrivain·e. Pas non plus celle qui est si connue qu’elle se retrouve dans les meilleures ventes.
Non, celui qui a une bonne histoire, un style assuré, mais dont le roman restera seulement quelques jours en rayon parce que la surproduction presse derrière.

Parce que, sur un coup de chance, le livre pourrait se dégager du lot ?
Qui mise sur la chance ?
Parce qu’il n’y a pas d’autres solutions ?

Je suis très embarrassée parce que je ne comprends pas.
Sans les auteurices, graphistes… il n’y a pas de livres, non ?
Sans artiste, au mieux, l’éditeur ne peut qu’embaucher des pigistes pour une commande. Soit ce produit satisfait le lectorat et, tant pis, c’est la loi du marché. Soit le lectorat n’est pas dupe et il retournera vers les artistes, où qu’ils se trouvent… non ?

Alors, oui, cela demande beaucoup de courage, de solidarité.
Parce que, pour que ça fonctionne, il faudra de la patience (en années, pas en mois), il faudra des visionnaires (parce qu’il n’est pas toujours aisé d’inventer de nouvelles solutions), il faudra de l’entraide, des écrivain·es un peu connu·es qui s’affichent aux côtés des talents émergents.
Mais n’est-ce pas plus réconfortant de tenter une aventure qui peut avoir une issue favorable plutôt que de suivre un chemin tout tracé qui ne conduit qu’à l’échec ?

— Ouais, mais, là, en gros, tu condamnes des tonnes de métiers, quoi : imprimeurs, libraires, éditeurs… ?
— Alors pas forcément et, si oui, quelle importance ?
Tous les métiers évoluent, c’est comme ça. Maintenir des emplois, c’est veiller à construire une société où chacun·e puisse évoluer professionnellement, pas entretenir des métiers qui ne servent à rien.
Et où est-il écrit que les artistes devraient se sacrifier pour entretenir une chaîne du livre qui ne fonctionne pas ? Parce que je n’ai lu nulle part qu’elle fonctionnait.
J’ai lu des articles sur des auteurices qui ne s’en sortaient pas, mais également sur des éditeurs et des libraires.

En 2000, j’avais une petite maison d’édition, Oxalis éditions. Parce que j’adore fabriquer des livres. Sérieux, c’est vraiment agréable. J’ai découvert la chaîne du livre, les retours des libraires…
Je me suis posée et je me suis dit : « Putain, Cenli, ce n’est juste pas viable du tout, ça n’a pas de sens ! »
C’était il y a 20 ans. Depuis, je n’ai rien vu qui laisse penser que cette économie soit devenue sensée, hormis pour quelques grosses boîtes élues. Je vois surtout des éditeurs qui ferment.
Quand on a lancé les Vagabonds du Rêve, on a volontairement choisi la forme associative : aucun employé, aucun local, aucune charge fixe. Les artistes sont rémunéré·es en droit d’auteur, donc sur les ventes. Et la littérature n’est vendue que sur la boutique en ligne. Le jeu de rôle est distribué en magasins spécialisés parce que, dans le jeu de rôle, ce sont des ventes fermes.
— OK, ça, c’est en tant qu’éditrice, mais en tant qu’écrivaine ?
— Ben, déjà, la nature m’a fait partir avec un gros handicap : je suis nouvelliste.
Forcément (on doit être nombreux dans ce cas), je suis passée par plein d’étapes, genre « et si j’écrivais un roman ? » ou « quelqu’un va bien finir par remarquer mes nouvelles ! »
Écrire un roman ? Pas forcément une œuvre à laquelle je tienne, non, un produit simple, formaté, un exercice relativement facile quand on peut aligner plus de 5.000 signes/heure. En quatre mois, tu as un premier jet. Mettons que tu t’accordes le même temps de relecture. En moins d’un an… et puis ? Tu ajoutes un titre de plus dans une surproduction qui te noie toi-même en tant que lectrice ? Ça te fait vraiment vibrer ?
En tant qu’écrivaine, pour l’instant, je pense qu’il n’y a rien d’attirant dans la chaîne du livre. Je vais continuer à poser des questions candides, continuer à suivre l’actualité, continuer à observer.
— Mais tu n’écris plus ? Tu ne vas plus proposer d’histoires aux gens ?
— Ben, si, il y a ce blog.
— Personne ne le lit !
— Et ? Quelle différence avec un livre posé quelques jours en librairie et que personne ne verra ?

PS : Je ne lis l’article qu’aujourd’hui, mais il date du 6. Samantha Bailly répond à ActuaLitté.
L’idée est de faire évoluer le milieu. Je pose ça là car c’est intéressant et je soutiens clairement la démarche en lui souhaitant le meilleur. Juste que, entre l’intervention de l’État pour remettre toute la chaîne du livre d’aplomb et la recherche de voies alternatives, perso, je me reconnais plus dans la voie d’à côté. Mais c’est sans doute que je suis accro au changement 😉

Et ton roman, il en est où ?

En 2014, je me fendais d’un billet pour mettre par écrit les raisons qui faisaient que je n’écrirai pas de roman. Cinq ans ont passé et il suffit que je fasse un tour dans une librairie ou que j’aille quelques jours dans un festival pour que l’envie me reprenne, l’envie basique, toute simple, de voir mon nom dans les piles étalées devant moi, d’imaginer un lecteur curieux qui découvre l’une de mes histoires.
Le festival se déroule. Le soir, avant de m’endormir dans ma chambre d’hôtel, je me dis que je suis bien bête, que, si j’écris 2.000 signes, mettons, tous les soirs, j’en ai 200.000 au bout de 100 jours, moins de 4 mois, que… L’idée s’installe et se renforce et puis je rentre chez moi et il ne faut que quelques jours pour que la Réalité reprenne le dessus. Un roman ? Lequel ? Depuis quand as-tu envie d’écrire un roman, toi ?
Allez, tu pourrais bien écrire UN roman, c’est pas méchant, ne serait-ce que pour l’exercice.
Et ensuite ? Une fois que mon nom serait arrivé là, sur la pile, dans la librairie, il faudrait en faire un 2e pour revenir sur la pile et…
Ce qui est ennuyeux, en final, ce n’est pas que cette pensée soit récurrente sans que je puisse la maîtriser car, de la même façon, parfois, je me dis que j’aimerais bien avoir une voiture ou un sèche-linge ou un petit ami ou… Ce qui est ennuyeux, c’est que, les jours où cette pensée me taraude, j’en oublie de laisser vagabonder mon esprit à la rencontre d’histoires que, elles, je veux vraiment écrire.
L’idée de devoir écrire un roman est une prison qui tue l’inspiration.
Alors, pour une fois, je ne sais pas bien si l’idée de ce billet est de partager avec vous une pensée que j’avais ou si je ne la pose pas plutôt là pour mon moi du futur, en guise de rappel salutaire.
A dans cinq ans.

Conclure 2 : le retour

Parce que Mère Dragon m’en a dit le plus grand bien, hier, j’ai commencé à regarder la série coréenne W: Two Worlds Apart.
N’en étant qu’aux premiers épisodes, je ne risque pas de vous spoiler. L’Héroïne, médecin, est la fille d’un Auteur, rendu célèbre avec une BD « W » qui raconte l’histoire d’un jeune Héros dont la famille a été brutalement assassinée et qui devient riche et célèbre pour retrouver le coupable. Mais, en réalité, Auteur n’a aucun idée du coupable et, ne s’en sortant pas de son intrigue, décide de tuer brutalement son Héros… qui va être sauvé par Héroïne, happée dans l’histoire via la tablette graphique de son père.
Si l’Héroïne a été happée par l’histoire elle-même, j’avoue que j’ai été happée très vite par l’intrigue. Parce que j’adore le côté méta : Héros a conscience que ce qui lui arrive manque de contexte (Auteur le fait poignarder, empoisonné par une infirmière qui n’a aucun mobile, lance un énorme camion sur lui) et qu’il ne peut pas retrouver les coupables car il n’y a jamais de mobile. Auteur est pris à la gorge car, au fond, il le sait, son histoire n’a aucun sens.
Et, quand Auteur et Héros se confrontent (oui, oui, assez tôt dans la série puisque je n’en suis qu’au début), Auteur avoue que la famille du Héros n’est morte que pour le côté dramatique, sans aucune vraie raison.

Mais pourquoi je vous parle de tout ça, moi, ce matin ?
Dans un précédent billet, je m’interrogeais déjà sur les fins et je pense toujours que la fin d’une histoire d’amour ne peut pas être la même, par exemple, que la fin d’un polar.
Mais, en fait, surtout, je pense qu’il devrait exister un Enfer pour les auteurs qui commencent une histoire sans en connaître la conclusion (à côté de l’Enfer de ceux qui font « répondre à tous » et de l’Enfer de ceux qui mettent des tableaux inclus dans leurs méls et non en PJ exploitable). Et ils sont nombreux.
Parce qu’ils ont un contexte et des personnages, ils pensent que ça suffit, que la fin viendra bien toute seule, qu’ils verront quand ils y seront. Et, toi, au final, lecteur/spectatrice, tu te retrouves, après des heures de lecture/visionnage, à hurler toute seule dans ton salon : « WTF ??? »
Parce que, non, ça ne donne jamais rien de bon si tu ne connais pas la fin. Je ne dis pas que tu n’as pas le droit de te laisser un peu de temps pour la trouver, mais je dis que tu ne peux pas présenter ton travail tant que ce n’est pas fait.

J’écris peu. Parfois, honnêtement, j’en souffre parce que je suis conditionnée comme les autres à mesurer mon taf à la taille. Et on sait bien que c’est la taille qui compte.
Mais, en réalité, je sais que, quelques soient les personnages qui viennent me visiter le soir avant que je ne m’endorme, quelques soient les contextes, les bouts de dialogue… qui s’imposent à moi… je ne vais pas au bout tant que je n’ai pas une fin qui me satisfasse.
Je peux avoir des goûts de m…, mes fins peuvent être nazes et tout ce qu’on veut, mais, pour moi, je veux connaître la fin.

En y repensant, quand j’étais petite, je lisais toujours les dernières pages des romans policiers, à la grande incompréhension de Mère Dragon. Et je n’ai pas fondamentalement changé. Il y a quelques jours, j’ai vu la moitié de Cheese in the Trap que j’ai abandonné là sans remords car, en jetant des coups d’œil sur la fin, j’ai réalisé que c’était l’histoire d’une relation toxique et que le héros s’en repentait bien trop tardivement.

Vous pouvez retourner à vos achats de Noël.

Et si on parlait d’amour ?

On dirait que les vacances d’été commencent à faire leur effet et que je suis un peu moins fatiguée… et du coup un peu plus bavarde.. Alors, en verve et la soirée avançant, je vais papoter un peu longuement d’un truc qui me trotte dans la tête 😉
J’aime l’Amour.
Oui, oui, celui avec un grand A car plusieurs de mes textes ont eu de très bons retours à cause de cet ingrédient. Ingrédient narratif, littéraire, déclinable de tant de façons…
Je ne pourrais pas dater les choses, mais je sais que, bien avant ma vie de « femme amoureuse », il m’était évident qu’il y avait l’Amour, cet ingrédient artistique tout à fait cool, et l’amour. L’amour irl que personne ne peut te définir et sur lequel tout le monde a une opinion. Et sur lequel, du coup, ben, je n’avais rien à dire : moi, je raconte des histoires pour t’émouvoir.
Le temps a passé, j’ai continué de raconter l’Amour, mais, en parallèle, ben… après la vision enfantine de « un monsieur et une dame s’aiment donc ils baisent ensemble d’une manière exclusive », il y a eu… la vraie vie : c’est pas forcément un monsieur et une dame, ils peuvent s’aimer sans baiser, baiser sans s’aimer, ils peuvent se tromper ou être dans une relation libre, ils peuvent se marier dix fois et ne jamais aimer, etc.
Alors, comme j’aime aussi les histoires irl, j’écoute, j’écoute, j’écoute… et, plus j’écoute, plus l’ingrédient narratif semble finalement pauvre par rapport à la réalité car les humains se font des nœuds dans la tête et c’est tellement plus… riche ? dingue ? étrange ? effrayant ?
Lors d’une conversation, quelqu’un m’a dit : « Je ne me sens pas légitime à m’exprimer car je suis asexuel. »
Ça m’a alors semblé une évidence et je lui ai répondu : « En quoi es-tu moins légitime que les autres ? Il y a quelqu’un qui a eu des relations avec cent individus bien répartis statistiquement et qui a des réponses absolues ? »
Il y a CeluiA qui t’aime très fort, qui te le montre autant qu’il peut, mais qui ne peut pas te le dire parce que le mot est galvaudé et on ne l’a pas défini et…
Il y a CeluiB qui t’aime, qui te le dit, mais, finalement, quand tu termines la relation, il est déjà dans les bras d’un autre.
Il y a Celui qui pense que CeluiA est le vraiment aimant et Celui qui pense que l’amour n’existe pas s’il n’est pas dit donc que CeluiB est plus amoureux…
Il y a Celui qui est amoureux de son conjoint, mais qui ne sait absolument rien de lui, de ses peines ou de ses humeurs et tu cherches en vain de qui il est vraiment amoureux…
Il y a… autant de Celui que d’humains sur Terre.
Comme j’aime raconter les histoires avec un début, des rebondissements et tout, en privé, il m’arrive parfois de me confier sur la vraie vie (si elle existe, un écrivain a-t-il une vraie vie ?). Même s’ils n’ont aucune valeur statistique, la majorité des retours que j’ai eus, sur des histoires qui ne me semblaient pas bien grandioses, était que c’était « beau » ou « plus vrai » ou tout autre qualificatif émouvant et positif.
Alors je me suis dit que c’est juste que je devais mieux raconter l’histoire.
Et j’ai bouclé : la réalité est bien plus dingue que la fiction, mais, en général, elle est beaucoup moins bien racontée 😀
Voilà, voilà…
Je viens de m’étendre parce que j’ai pas mal réfléchi au bouzin ces derniers temps : je suis arrivée à ce moment où tu as trop de données, trop d’émotions, trop de pistes et où tu te dis que, du coup, tu n’écriras plus jamais sur le sujet car tu n’arriveras jamais à rendre tout ce qu’il y aurait à en dire. Et, en même temps, raconter une histoire, ça n’a rien d’exhaustif : le but, c’est d’émouvoir même si tu embellis ou mens ou biaises ou…
Puis, en même temps, on s’en fout un peu de tout ça, le lecteur attend des histoires, pas mes considérations sur les histoires 😉

Oh, Temps, mon amour !

En 1999, au début d’Un Rêve étrange…, j’ai écrit :
« Elle […] attrapait son petit sac à dos noir, dans lequel un volumineux portefeuille écrasait un vieux carnet de photos qu’elle n’osait plus regarder ».
Aujourd’hui, elle saisirait juste son smartphone, blindé de toutes les photos de…
De temps en temps, quand je relis un de mes textes, j’aime bien trouver ces références à des habitudes qui sont devenues obsolètes, en si peu de temps au fond… car je me souviens très bien que, cette année-là, je rêvais d’un bel organisateur en cuir, avec ses lourds anneaux de métal, que j’aurais rempli de cartes de fidélité, de rendez-vous notés au crayon et de photomatons.
Désormais, si je peux rester de longues minutes devant les beaux agendas vendus aux rayons Carterie, cela ne me viendrait pas à l’idée de trimballer autre chose que l’iPhone qui me sert d’agenda, d’album, de baladeur et d’appareil photo.
J’aime ces détails qui ancrent nos fictions, nous rappellent ce que nous aimions/rêvions à ces moments-là, calés devant nos claviers…
J’aime noter que Buffy se sert d’un téléphone fixe à Sunnydale quand Angel, quelques kilomètres plus loin, dans Los Angeles, se sert d’un portable,
me rappeler qu’il était mal vu que la sonnerie d’un portable trouble le bruit ambiant du bureau alors que, aujourd’hui, nous sommes tous greffés d’une oreillette,
songer que l’époque où il était autorisé de fumer dans les espaces clos ne me manque pas,
m’amuser devant un vieux téléphone filaire, mais ne pas craquer sur cet achat en songeant qu’il me serait désormais insupportable de ne pas avoir toutes les fonctions de filtrage sur un appareil (nom qui s’affiche, possibilité de se mettre en « ne pas déranger » ou de bloquer certains numéros)…

Nous sommes nos souvenirs, évidemment, recomposés, réécrits… perpétuellement,
mais nous sommes aussi nos habitudes, nos façons d’aborder un moment, un évènement.
Quand je relis Un Rêve étrange…, je sais que, aujourd’hui, les phrases seraient différentes, mais je suis attachée à cette temporalité de l’art. Une œuvre est un propos, mais c’est aussi une année, un moment…
Je crois 😉