Le bad boy est-il un homme toxique ?

Si la fiction peut éclairer le réel, si la fiction peut souvent avoir pour objectif de nous en parler, à sa façon, elle ne le décrit pas de manière réaliste et fidèle. Le premier exemple tout bête est que les personnages ne vont pas aux toilettes, sauf si cela sert l’histoire (les ralentit, les piège, ouvre un rebondissement).
Dans une romance, on peut faire une demande en mariage en public et tout le monde de s’émouvoir et d’applaudir. Alors que, dans la réalité, c’est un truc ultra-cringe puisque la personne sollicitée ne pourrait alors pas refuser sans être embarrassée devant des tas de témoins. Ce qui ne signifie pas qu’il ne faut plus utiliser ce genre de scènes en fiction, mais bien que cela ne doit juste pas être reproduit dans la réalité. De même que Superman vole, mais c’est un ET.
D’ailleurs, le genre de la romance a ceci de particulier qu’on aurait tendance à le comparer à la réalité, ce qu’on ne ferait pas pour une histoire d’Horreur ou de Super-Héros. Or la romance est une fiction comme les autres.

Mercredi, je vous parlais du drama Lost You Forever (attention, je vais spoiler aussi dans ce billet) et je suis en train de lire le roman (traduit en anglais du chinois par un amateur). Etant donné les conditions de traduction, je n’en jugerai pas le style, mais le drama semble fidèle au roman où je retrouve le sens du timing / de la narration qui en fait une œuvre parfaitement addictive (dans le bon sens du terme).
Hier, par hasard, je tombe sur une vidéo (de la toute nouvelle chaine Décalée) qui parle / décrypte le personnage de Xiang Liu, le démon à 9 têtes.
Et je vous laisse la regarder :

Si je ne rejoins juste pas le propos sur l’idée que le démon n’est qu’un personnage secondaire (mais, bon, la question de qu’est-ce qu’un personnage secondaire mériterait, à mon sens, un billet dédié), elle rappelle que le personnage du bad boy (démon tentateur) n’est pas et n’a pas à être réaliste. C’est un fantasme dans un monde de fantasy.

Petit retour en arrière :

Dans la série culte Buffy contre les vampires (que j’ai adorée et revue plusieurs fois), le premier rapport sexuel entre Buffy, l’héroïne, et Spike, le bad boy, a lieu après un combat assez impressionnant (ils font s’effondrer une maison autour d’eux). La scène est à la fois violente et… érotique.
Si la violence ne serait pas du tout acceptable dans d’autres circonstances, elle est ici partie du récit car les deux protagonistes sont… deux forts guerriers, des Super-Héros. Buffy et Spike sont à peu près de force / puissance équivalentes et il n’y a donc aucun rapport de dominant / dominé, mais juste une pulsion sexuelle qui nait lors d’un affrontement (ou quelque chose comme ça).

Récemment, j’ai eu l’occasion de revoir Blade Runner, la version finale que je ne pense pas avoir vu auparavant, sur grand écran. J’aime ce film pour des tas de raisons, notamment l’esthétique cyberpunk et il y a des scènes assez violentes (combats) en lien avec la narration. Elles ne m’ont donc pas dérangée alors que la scène d’amour entre Deckard et Rachel m’a dégoûtée.
Je ne pense pas que cela m’avait fait cette impression les premières fois.
A l’époque, la consentement de la femme n’existait tout simplement pas. C’était ainsi dans la société et cette réalité sociale baignait la fiction.
(Et je ne m’aventurerais pas sur le chemin « Oui, mais, quand même, à l’époque, y’avaient des mecs instruits qui avaient conscience de ce que c’était le consentement » car, encore aujourd’hui, ce n’est pas une notion qui semble si évidente pour tout le monde…)

Bref, si la scène dans Blade Runner me fait horreur car, clairement, un homme plus fort abuse d’une femme, la scène dans Buffy reste érotique car elle n’a jamais été basée sur l’abus d’un plus faible, mais sur la dimension épique de la rencontre entre deux guerriers.

Vous voyez où je veux en venir ?
Spike incarne le bad boy alors que Deckard est un homme toxique « ordinaire » (dans une scène qui se veut romantique).

Lost You Forever fait couler beaucoup d’encre numérique et, dans les commentaires, deux teams s’affrontent : Xiang Liu vs Tu Shan Jing.
Si Xiang Liu incarne le bad boy, Tu Shan Jing représente l’homme amoureux, fidèle et dévoué. C’est d’ailleurs lui qui finira avec l’héroïne car il incarne la sécurité.
Narrativement, ce choix est tout à fait cohérent : c’est expliqué plusieurs fois, ce que Xiao Yao recherche dans une relation de couple. Elle le propose même à Xiang Liu : s’il abandonne tout pour elle, elle part avec lui.

(J’ouvre ici une parenthèse :
La fin choisie par l’autrice obéit à une pulsion monogame. Pour que l’héroïne devienne monogame, l’un des deux prétendants doit mourir.
Je n’ai pas fini la lecture du roman, donc je n’affirme pas à 100 %, mais je ne crois pas qu’elle soit amoureuse du 3e homme — son cousin qu’elle voit comme un frère. Elle est néanmoins clairement polyamoureuse de deux hommes qui ne se ressemblent pas du tout. Et, d’ailleurs, le traitement de ce polyamour me semble satisfaisant.
Dans un monde où les nobles peuvent avoir une épouse et des concubines, il n’était pas impossible qu’une princesse épouse le plus noble des deux (Jing), mais prenne en concubin le second — puisque le démon a une autre identité, celle d’un noble qui lui a laissée.
Si cette happy end avait été choisie, nous aurions là une belle romance polyamoureuse plutôt qu’un drame un poil excessif et je ne peux pas cacher ma déception sur ce point.)

La question n’est donc pas vraiment qui, nous, spectateurs, préférons puisque Xiang Liu a clairement tous les atouts pour lui, mais bien que Xiao Yao a balisé ses attentes très clairement.
Or les fans s’affrontent autour d’arguments « du réel » : ceux qui préfèrent Jing disqualifient Xiang Liu car c’est un… bad boy.
Souhaiterions-nous une relation toxique à l’une de nos amies ?

Pause.
Xiao Yao n’est pas une de nos amies. C’est une princesse, une divinité, dont le sang peut guérir un démon. Ce n’est pas une personne réelle, mais le pivot central d’un drame.
Quand elle chute d’un arbre, ce n’est pas une humaine qui chute, mais une divinité.
Xiang Liu incarne le bad boy. Complètement.
C’est un démon, il est beau, il est puissant, mais aussi délicat et élégant. Il a les attributs du vampire (il va sucer le sang de l’héroïne pour se soigner). C’est moins explicite dans le drama, mais tout a fait dit dans le roman : Xiao Yao ressent, lorsqu’il boit son sang, une excitation (sexuelle), elle se laisse faire, elle n’est pas effrayée.

Que ce soit Spike (dans Buffy) ou Xiang Liu, si, au début, leurs motivations sont assez égoïstes, au fil du récit, leur amour passionnel prend le dessus et ils vont se sacrifier pour l’héroïne.
Le bad boy en fiction n’est pas l’homme toxique de la réalité. Il ne le représente pas. Il n’a aucun lien avec lui donc il n’a pas pour objectif de nous mettre en garde.

Hélas, dans la réalité, l’homme toxique est sordide. Il ne va pas changer par amour, il n’aime pas. Sa « partenaire » est sa victime — pas son amoureuse ! — qu’il va isoler, dénigrer, violenter. L’objectif de ce billet n’est pas de s’étendre sur ce phénomène, fort bien documenté par ailleurs, mais de remettre l’église au centre du village : le personnage-type du bad boy ne représente pas et ne doit pas représenter l’homme toxique.
L’homme toxique (inspiré de la réalité) est un méchant en fiction : un criminel que l’on va arrêter, un ex-petit-ami qui menace l’héroïne ou l’une de ses amies, un patron abusif…
Le bad boy n’est pas l’un des méchants : comme l’explique la vidéo que je vous ai linkée plus haut, il est là pour réveiller des choses (pouvoirs, sexualité…) chez l’héroïne. Il est souvent sympathique ou drôle, il est very very hot, il va changer en bien, il va souvent résoudre une situation grave (Spike permet de gagner le combat final, Xiang Lu va sauver l’héroïne de la mort).

— Mais où veux-tu en venir ?

Il y a une critique des bads boys qui seraient un mauvais exemple pour la jeunesse et les femmes. Cela les inciterait à aimer des hommes toxiques en se persuadant qu’ils vont changer par amour.
Je n’ai pas lu 50 nuances de bidule et 365 jenesaisquoi et je vais être honnête : je n’ai pas le courage de me les infliger, mais, du coup, ce que je dis est peut-être erroné. De ce que j’en ai compris, ces romans mettent en scène des hommes toxiques (manipulateurs, harceleurs) et c’est un souci qu’ils soient donc les héros et pas les méchants qui se font punir à la fin.
Attention, je ne dis pas qu’on n’a pas le droit d’écrire des histoires glauques. Seulement, si l’on écrit une histoire où un méchant n’est pas puni, mais récompensé, on ne peut pas vendre ça sous l’étiquette Romance, il doit y avoir un avertissement de sécurité ou une catégorisation sans ambiguïté.
Mais ces hommes toxiques ne rentrent pas dans l’archétype du bad boy : le bad boy est un amoureux sincère qui va changer par amour. De même qu’il amène l’héroïne à l’âge adulte, l’héroïne lui permet de devenir mature / responsable dans ses relations affectives.

Parce que, quand je lis que Xiang Liu ne doit pas finir avec l’héroïne parce que leur relation est toxique, j’ai envie de hurler : leur relation n’est pas « toxique », leur relation est épique. C’est un gigantesque monstre marin à neuf têtes !!!
Il y a d’ailleurs une réplique où Xiao Yao lui dit qu’il n’est un monstre que parce que la norme est d’avoir une seule tête, mais qu’elle serait elle un monstre si la norme était d’en avoir 9.
S’il la fait fouetter au début de l’histoire car il est un général rebelle et il pense qu’elle est une espionne, une fois qu’il sera amoureux d’elle, il ne s’en prendra jamais à elle et n’outrepassera jamais son consentement.

— Mais, attends, Cenlivane, j’ai une question : c’est toi qui distingues le bad boy de l’homme toxique, qui te dit que tu ne fais pas un contresens sur le premier terme ?

Peu importe. Si bad boy n’est pas le terme approprié, je n’ai pas de souci à ce qu’on m’apprenne le bon.
Si bad boy désigne bien Xiang Liu ou Spike, c’est qu’il n’est pas synonyme d’homme toxique et, s’il est synonyme, on ne peut pas leur mettre cette étiquette.

(A noter que je reparle de Lost You Forever dans un 3e billet.)

Appel à textes – Cibylline présente

Cela fait un moment (des années ?) que l’idée me trotte dans la tête et voici le moment venu…
Parce que j’aime le court, parce que j’aime les nouvelles, parce que… sous le forme d’une rubrique dans la Tribune des Vagabonds du Rêve, Cibylline présente publiera des textes d’imaginaire très très courts.

Taille (tout à fait) maxi : 15.000 signes espaces comprises
Genre : l’imaginaire en général (fantastique, fantasy, science-fiction…)
Format : Word, OpenOffice, LibreOffice… mais pas de PDF

La publication fera l’objet d’une mise en ligne dans la webrevue, sous forme d’un article de blog et d’un PDF téléchargeable, accompagnée de la présentation de son auteurice.
Certains textes feront sans doute l’objet d’une lecture audio.
Une publication en recueil ? Peut-être, mais ce n’est pas encore décidé. Dans tous les cas, les auteurices seront consulté·es pour tous les formats.

La publication ne sera pas rémunérée puisque la webrevue est gratuite et ne génère aucun profit. Les auteurices gardent leurs droits sur leurs textes.
S’il y avait par la suite une publication en recueil (papier ou numérique) commercialisé, il y aurait la mise en place de droits d’auteur (évidemment !).
Dans tous les cas, ce serait discuté ensemble.

Le titre de cette rubrique est un peu égocentrique (trop pour mes habitudes en tout cas), mais l’idée est de publier des textes qui me plaisent et pour lesquels j’apporterai mon regard critique et un travail éditorial.
Mon objectif est d’offrir un espace aux écrivain·es qui ont envie de manier cette forme très courte, mais n’osaient pas y consacrer du temps parce qu’iels se disaient que personne ne les lirait, que ça n’a pas de débouchés, que…
Je ne pense pas que ça puisse cadrer à un modèle économique (pérenne, viable…) d’où le choix délibéré du bénévolat, mais je serais ravie d’avoir à changer d’avis.
Si vous n’avez pas le temps pour écrire des textes non rémunérés, je le comprends aisément, chacun·e dispose d’un temps limité.
Si vous rêvez de vous y essayer ou si vos tiroirs en sont pleins sans que vous ayez su quoi en faire, c’est sans doute le moment de vous lancer 😉

Voilà, c’est une expérimentation et un pari : que racontez-vous en si peu de temps ?
Et, comme il s’agit d’expérimenter, vous pouvez tenter de m’envoyer de la bande dessinée (très courte), de la poésie, une histoire à épisodes (mais, dans ce cas, merci de joindre les deux premiers textes et un synopsis de l’ensemble)…

Pour adresser vos soumissions ou pour toute question, une seule adresse mail : cibylline[at]outlook.com
Attention, ne m’envoyez pas plus de deux textes en même temps et attendez mon retour avant de m’en adresser d’autres 😉

Où elle monologua sur les couvertures, mais pas que

Lorsque j’ai débuté dans le fanzinat (début des années 1990), je me suis demandée pourquoi certains fanzines (et jeux aussi !) mettaient des illustrations dans leurs pages.
Je sais qu’il vaut mieux dire « ça ne me plait pas » plutôt que « c’est moche », mais c’était juste moche en fait. Ce n’est pas parce que tu mets des traits sur une feuille que ça devient un dessin.
Je n’ai jamais eu la réponse. Au lieu de trucs moches, ils auraient pu juste mettre des titres gros et bien écrits. Surtout que les fanzines s’achetaient par correspondance, sur leur contenu. Si on cherchait un scénar ou une aide pour son jeu préféré, c’était le nom du jeu qui allait déclencher l’achat.
Puis les photocopies valaient une blinde, on avait plus intérêt à réduire qu’à augmenter la surface occupée par le contenu…

Le temps a passé et les produits ont carrément changé.
Dans le jeu (de rôle, de plateau, vidéo…), il y a une culture de l’illustration et je comprends. On veut proposer une ambiance, on s’immerge.
Bon, ça me déçoit toujours quand un jeu de plateau a des illus trop mignonnes et qu’il est naze, mais je comprends.
Le jeu est lié au visuel.

Dans les littératures de genre, les couvertures doivent être illustrées.
POURQUOI ???
Vraiment, pourquoi ?

Je peux entendre plein d’arguments :
– il faut se démarquer en librairie : oui, parce que les autres le font donc on craint d’être « différent » sur le rayonnage… dont le livre disparaitra très vite, en fait ;
– c’est plus joli : OK… mais c’est un livre, pas un tableau ; dans la bibliothèque, on ne verra plus que la tranche ;
– parce que, du coup, le bouquin sera instagramable. Sérieux ? C’est les réseaux sociaux qui sont les arbitres de l’élégance ?

… non, en fait, je sèche, je ne sais pas pourquoi.

Le seul usage que j’imagine, c’est en festival ou sur la table du libraire, pour déclencher l’envie d’être pris. Lae lecteurice saisit le bouquin, mais l’achètera-t-iel s’iel n’est pas convaincue par le 4e de couv’ ou les premières pages ?
Quand je vois certaines couvertures de littérature blanche avec des photos random, genre des vieux tableaux ou des objets posés là « comme ça », je doute que ça ait décidé l’acheteur·se.

En fait, je bloque quand je ne vois pas l’intérêt de quelque chose.

Alors, oui, bien sûr, quand une illustration spécifique a été réalisée pour une œuvre parce qu’une illustrateurice a lu le texte, l’a aimé et en sort ce que cela représente pour elle/lui, ça a du sens… mais on sait que ce n’est pas la configuration principale, non ?
Combien de fois la couverture nous évoque réellement le texte ?

Le dernier livre que j’ai acheté en librairie est un Pratchett. Je voulais ce titre spécifiquement, en poche pour qu’il ne me soit pas trop cher et en papier car je n’ai pas de liseuse. Le nom de l’illustrateur est marqué en tout petit, si petit qu’on dirait qu’on a simplement voulu l’effacer.
J’ai googlé son nom (après avoir réussi à le lire en le photographiant pour l’agrandir).
Si je m’en étais tenue à l’illustration de cette couverture, toute petite, ben… j’oublierais immédiatement ce gars. Je découvre ses œuvres sur son site et, clairement, si je parcourais une expo de lui, irl ou virtuelle, je prendrais le temps de regarder.
Bref, cette couverture ne m’a pas donné envie d’acheter (quand tu vas acheter un Pratchett, aujourd’hui, tu sais quel titre et pourquoi) et ne m’a pas fait découvrir l’artiste (bon, OK, si, du coup, mais parce que je suis en train de rédiger ce billet et que le livre est posé sur mon bureau).

— Hé, mais qu’est-ce que tu nous racontes ? Tu as bien édité des livres avec des couvertures illustrées et tout !
— C’est vrai.

Par exemple, pour l’anthologie Terre 2.0, nous avons repris en couverture l’illustration de l’affiche réalisée par Guillaume Tavernier pour Nice Fictions.
Cela avait un sens car c’était l’antho du festival, donc le lien était direct.
Ou, pour Rébellion saurienne, je suis très heureuse d’avoir fait appel à une illustratrice que j’apprécie, qui a lu le texte et l’a vraiment illustré (au sens littéral : elle a illustré ce qu’elle avait lu et n’a pas fait un dessin selon mes instructions éditoriales).
Mais, en dehors de ces rencontres spécifiques, j’ai le sentiment qu’on tombe juste dans l’exercice imposé « il faut une illustration ».

En tant qu’éditrice, mon travail est de trouver des textes, de les sélectionner, de les faire retravailler, de les corriger…
Mon travail n’est pas de publier des illustrations (côté littérature — ça ne s’applique pas au jeu de rôle ou si je publiais des romans graphiques/bandes dessinées, hein).

C’est encore plus évident pour le livre numérique dont la couverture se déclinera en N&B sur une liseuse.
Autant je peux croire que lae lecteurice soit attirée par la couverture du format papier posé sur sa table de chevet, autant cela n’a plus de sens (me semble-t-il) quand le livre devient un titre dans une longue liste numérique.

Parce que je tourne la question dans tous les sens et je reviens toujours au même point.
Le livre restera peu sur un stand ou une table en librairie, il sera surtout acheté après les recommandations d’une critique, d’une blogueur·se, d’une influenceur·se, d’une ami·e…
Et il finira sur la tranche.

Alors, certes, certaines collections sont très harmonieuses, leurs couvertures étalées côté à côté, mais… entre des essais parfois réussis et une véritable obligation, systématique… il n’y a pas tout un monde ?

J’ai la même frustration d’incompréhension avec Instagram.
Je ne dénie pas l’utilité des réseaux sociaux surtout si, comme moi, on est investi dans plusieurs projets/associations, mais, au lieu que leur usage soit calqué sur leurs performances, il se fait par tranche d’âge.
— Si tu veux toucher les jeunes, tu dois être sur Insta. Y’a que les vieux sur FB !
— OK…
mais what ???

Je ne suis pas mannequin, photographe, illustratrice…
Je n’ai même pas de photos de plats à partager !
Alors, oui, j’ai bien un compte Insta car je joue le jeu de l’expérimentation, mais à quel moment cela a du sens d’y être présent en tant qu’auteurices ?
Et, oui, j’ai regardé des comptes d’écrivain·es et… je trouve ça… insensé, en fait.

Pour le coup, pour une écrivain·e, Twitter me semble limite plus pertinent.
— Ouais, enfin, comme chaque tweet est limité en signe, iels font des enfilades de tweets et s’arrachent les cheveux parce que le 1er d’une file de 25 a une faute d’orthographe qu’iels ne pourront jamais corriger !
— Yep…

— Mais, du coup, pour Nice Fictions, tu cherches bien une nouvelle illustrateurice pour chaque édition ?
— Comme je l’ai écrit plus haut, j’aime comprendre le sens de ce que je fais.
Nice Fictions est un festival où les arts plastiques sont présents. L’illustrateurice de l’affiche expose sur place. Son œuvre est visible, se déclinera en affiches/posters. Lae specteurice est invitée à sa rencontre spécifique.
Sur les murs de ma chambre, à côté d’affiches de Nice Fictions, j’ai l’affiche des Utopiales 2019. Parce que j’ai aimé l’illustration et que cela marque un moment.

Ma mère étant peintre et illustratrice, depuis toute petite, je l’ai vue avec des crayons, des pinceaux (bon, elle a une tablette now) et j’aime le dessin, la peinture, la photo… mais je ne comprends pas qu’on l’immisce de force dans l’écriture/littérature.
J’ai très envie de faire des webtoons par exemple, mais j’y pense en tant que tel, pas pour mettre des illustrations « pour en mettre », mais bien en me demandant comment cela transformerait ma narration (mais, bon, c’est mort, je n’ai pas de coéquipier·e en vue).
Ca me fait le même effet que certains restos qui te servent des desserts alors qu’ils n’ont pas de pâtissier. Tu as mangé un délicieux plat, tu vois une liste de desserts, tu te laisses tenter et tu te retrouves avec une pâtisserie Picard (ne vous y trompez pas, j’aime plusieurs de leurs desserts, mais, quand j’en ai envie, je vais m’en acheter, j’attends une autre expérience en resto) ou carrément moins bien.

Voilà, tout ça pour vous avouer que cela fait plusieurs années que je tente de convaincre l’équipe des Vagabonds qu’on peut sortir un livre sans illustration sur la couverture.
— Mais ne crains-tu pas la réaction du public, en mode « ce n’est pas un vrai bouquin de genre » ?
— Si, forcément. Quand tu vas sortir de la norme, tu sais qu’il va y avoir des réactions inconfortables.
Mais je prétendrais que c’est parce que c’est de la littérature générale.

D’ailleurs, tiens, c’est quoi cette distinction entre littérature générale et littérature de genre ?
La littérature, c’est de la littérature.
Tout texte appartient à un ou plusieurs genres selon sa nature et ce qu’il raconte (forme poétique ou théâtrale, drame ou comédie, romance ou polar…).
— Du coup, si tout n’est que littérature, pourquoi, en tant qu’éditrice ou organisatrice d’évènementiel, tu t’es spécialisée ?
— Quand tu ouvres un restaurant, tu ne mets pas tout ce que tu aimes/sais faire au menu. Tu décides de ce que tu as envie d’apporter dans le quartier/la ville où tu t’installes.

Mais parler de « littérature de genre » (oui, OK, je l’ai écrit en début de billet) est un non-sens…
Et imposer des normes arbitraires dans une catégorie qui n’existe même pas… très peu pour moi.

Bref, je ne me forcerai plus 😉

Et si, ce soir, vous changiez un ou deux persos ?

L’art n’est pas sacré. Il est vivant. Biologique.
Il y a quatre ans, j’écrivais un billet sur ce blog : Avez-vous peur des quotas ?
Je le relis aujourd’hui et mon opinion n’a pas changé. Le plus simple, au moins pour se lancer, ce sont les quotas.
Depuis ce billet/l’été 2016, je n’ai quasi plus écrit et, au moment même où je rédige ce mot, je n’en mène pas large, en attente d’une injection de fer… Ces quatre années écoulées ont été difficiles, pour plein de raisons, et je n’ai donc plus écrit. J’ai aussi peu lu, peu joué…
Je pourrais me lamenter en mode « ma Muse a fui, je ne suis plus une écrivaine », mais je n’ai pas de penchant pour l’auto-flagellation. La vérité, c’est que l’inspiration, c’est comme le désir sexuel : il y a des périodes fastes et des périodes creuses. Quand vous ne bandez plus pour un amoureux parce que vous êtes accablée de souci, vous ne vous dites pas « je ne l’aime plus ». Vous attendez que ça passe/de meilleurs moments.
Alors, même si je n’ai quasi plus écrit, j’ai continué à penser/cogiter… à ce que je voulais raconter, comment…
Si mettre plus de femmes ou plus de personnes LGBT+ dans mes textes me semble un exercice facile (pour moi, mais, si si, je t’assure, tu peux le faire aussi !), je continuais à m’interroger sur la diversité ethnique. Et je suis encore partagée.
Je décris peu physiquement mes personnages et cela me convient : c’est à la fois « ce qui me vient », mais c’est ce qui permet également à chaque lecteurice de s’identifier sans se poser de questions. En même temps, si le personnage est soi, il n’est pas un Autre…
Bref, à ce stade de ma réflexion (i.e. expérience personnelle ni statistique ni représentative), j’ai décidé de faire varier les prénoms, de regarder à travers le monde ceux qui me plaisent et d’y piocher allègrement.
– Ouais, mais, tu vois, quand j’écris mon texte, l’héroïne s’appelle Claire et je la visualise parce que, quand j’étais petit, j’étais très épris d’une Claire et, si je change son prénom, ce ne sera pas elle et je ne pourrais pas mener à bien mon Oeuvre.
– Alors, mon chéri, tu sais, c’est tout simple : tu écris ton texte, en rêvant à la Claire de ton enfance, et, quand tu as fini, que tu as utilisé toute ta nostalgie dans tes dialogues, ben… Claire et toi, vous devenez Giulio et Medhi. Ils se sont rencontrés sur les bancs de l’école, perdus de vue et…
– Ah, ben, non, c’est carrément pas la même histoire !!!
– En quoi ?
J’ai écrit la Princesse et le Roturier pour les 30 ans d’un gars dont j’étais amoureuse. Il était né en novembre et la nouvelle se déroulait un jour où la nuit tombe rapidement. Pour le projet de recueil Nice Parallèles où je souhaitais placer dans mon texte un chapeau qui s’envole, je me suis relue et j’ai systématiquement changé l’hiver en été. Ça peut être des soirées qui s’étirent, une héroïne en short plutôt qu’emmitouflée dans une douce écharpe… L’art n’est pas sacré. C’est le résultat du travail d’un humain qui, suivant les moments de sa vie, peut changer d’idées, d’envies, de discours.
Prétendre que l’art est sacré ou immuable, comme si une production humaine pouvait être plus précieuse que des vies, des sentiments… c’est alimenter l’idée qu’on a le droit d’être de vieux cons ou que les traditions sont forcément bonnes.
Nous changeons, nous devons changer, nous adapter. Déjà pour survivre. Mais également pour être heureux quand nos certitudes s’effondrent et que nos petits prés carrés doivent être partagés.
Alors, dans une période où la muse boit des mojitos sur une plage à l’autre bout du monde pendant qu’on est confiné à se lamenter sur sa faible production, on peut par exemple se dire : tiens, je vais reprendre ce texte et changer un ou deux persos, la saison, le lieu…
Ça vous semble dingue ?
Quand un·e illusteurice décline un même personnage en changeant ses habits, son chapeau… vous pensez qu’iel est dingue ou que c’est un processus naturel ? Ça ne vous choque pas d’acheter la version avec le chapeau de sorcier tandis que votre copine prend la version avec une casquette 😉
Bref… et si, ce soir, vous changiez juste quelques personnages, sans toucher à l’intrigue ni rien ?

Pourquoi publies-tu des livres ?

Commençons, comme il se doit, par un petit résumé des épisodes précédents :
Dans les milieux du livre (bande dessinée incluse), on apprend que le marché est en surproduction et que les auteurices sont les grand·es perdant·es.
Récemment, quelqu’un·e me faisait remarquer que, plus jeune, il y avait peu de livres de fantasy et qu’elle pouvait suivre plus ou moins la production, mais que, désormais, quand il flânait dans une librairie, elle ne savait que choisir entre les centaines de versions d’une même quête, du même assassin sombre qui…, du…
Je pose toute suite un bémol : liberté, choix, c’est cool. Si l’on a vraiment le choix, i.e. accès de la même façon à tout. Et on sait bien que ça n’est pas le cas : nos choix vont être contraints par les campagnes de com’ et le placement en librairies.

Je suis écrivaine. C’est une donnée comme ma taille, mon poids, la couleur de mes cheveux.
J’ai mis longtemps à réaliser pourquoi ça me définissait, mais ça me modèle énormément : que j’écrive un billet de blog ou un statut sur un réseau social, je me relis mille fois en me demandant si ce sont les bons mots. Que je raconte la moindre histoire à un pote croisé dans la rue et je me demande s’il peut comprendre, si j’ai situé les personnages, si l’anecdote est assez intéressante. Je décortique les films, les séries, les gens dans la rue (hein ? what ???).
Bref, j’aime écrire, j’aime la narration. Je dévore les histoires car c’est ce que je préfère (hormis le chocolat, disons).

Nous voici au cœur de la question. J’ai bien conscience que je suis candide, que je dois avoir oublié des milliers de paramètres, mais… pourquoi mes ami·es, mes collègues écrivain·es continuent-il/elles ?
Je ne parle pas d’écrire, hein, mais de proposer leurs écrits aux éditeurs.
Il me semble que se faire éditer a du sens si, tout à la fois (ou au moins l’un des deux), on en retire un revenu et on se fait connaître (on écrit pour raconter une histoire aux autres).
Je mets volontairement de côté les faux écrivains, vrais enfoirés, qui sont publiés alors qu’ils n’intéressent personne parce qu’ils font partie d’un milieu qui s’auto-entretient.
La/le vrai·e écrivain·e. Pas non plus celle qui est si connue qu’elle se retrouve dans les meilleures ventes.
Non, celui qui a une bonne histoire, un style assuré, mais dont le roman restera seulement quelques jours en rayon parce que la surproduction presse derrière.

Parce que, sur un coup de chance, le livre pourrait se dégager du lot ?
Qui mise sur la chance ?
Parce qu’il n’y a pas d’autres solutions ?

Je suis très embarrassée parce que je ne comprends pas.
Sans les auteurices, graphistes… il n’y a pas de livres, non ?
Sans artiste, au mieux, l’éditeur ne peut qu’embaucher des pigistes pour une commande. Soit ce produit satisfait le lectorat et, tant pis, c’est la loi du marché. Soit le lectorat n’est pas dupe et il retournera vers les artistes, où qu’ils se trouvent… non ?

Alors, oui, cela demande beaucoup de courage, de solidarité.
Parce que, pour que ça fonctionne, il faudra de la patience (en années, pas en mois), il faudra des visionnaires (parce qu’il n’est pas toujours aisé d’inventer de nouvelles solutions), il faudra de l’entraide, des écrivain·es un peu connu·es qui s’affichent aux côtés des talents émergents.
Mais n’est-ce pas plus réconfortant de tenter une aventure qui peut avoir une issue favorable plutôt que de suivre un chemin tout tracé qui ne conduit qu’à l’échec ?

— Ouais, mais, là, en gros, tu condamnes des tonnes de métiers, quoi : imprimeurs, libraires, éditeurs… ?
— Alors pas forcément et, si oui, quelle importance ?
Tous les métiers évoluent, c’est comme ça. Maintenir des emplois, c’est veiller à construire une société où chacun·e puisse évoluer professionnellement, pas entretenir des métiers qui ne servent à rien.
Et où est-il écrit que les artistes devraient se sacrifier pour entretenir une chaîne du livre qui ne fonctionne pas ? Parce que je n’ai lu nulle part qu’elle fonctionnait.
J’ai lu des articles sur des auteurices qui ne s’en sortaient pas, mais également sur des éditeurs et des libraires.

En 2000, j’avais une petite maison d’édition, Oxalis éditions. Parce que j’adore fabriquer des livres. Sérieux, c’est vraiment agréable. J’ai découvert la chaîne du livre, les retours des libraires…
Je me suis posée et je me suis dit : « Putain, Cenli, ce n’est juste pas viable du tout, ça n’a pas de sens ! »
C’était il y a 20 ans. Depuis, je n’ai rien vu qui laisse penser que cette économie soit devenue sensée, hormis pour quelques grosses boîtes élues. Je vois surtout des éditeurs qui ferment.
Quand on a lancé les Vagabonds du Rêve, on a volontairement choisi la forme associative : aucun employé, aucun local, aucune charge fixe. Les artistes sont rémunéré·es en droit d’auteur, donc sur les ventes. Et la littérature n’est vendue que sur la boutique en ligne. Le jeu de rôle est distribué en magasins spécialisés parce que, dans le jeu de rôle, ce sont des ventes fermes.
— OK, ça, c’est en tant qu’éditrice, mais en tant qu’écrivaine ?
— Ben, déjà, la nature m’a fait partir avec un gros handicap : je suis nouvelliste.
Forcément (on doit être nombreux dans ce cas), je suis passée par plein d’étapes, genre « et si j’écrivais un roman ? » ou « quelqu’un va bien finir par remarquer mes nouvelles ! »
Écrire un roman ? Pas forcément une œuvre à laquelle je tienne, non, un produit simple, formaté, un exercice relativement facile quand on peut aligner plus de 5.000 signes/heure. En quatre mois, tu as un premier jet. Mettons que tu t’accordes le même temps de relecture. En moins d’un an… et puis ? Tu ajoutes un titre de plus dans une surproduction qui te noie toi-même en tant que lectrice ? Ça te fait vraiment vibrer ?
En tant qu’écrivaine, pour l’instant, je pense qu’il n’y a rien d’attirant dans la chaîne du livre. Je vais continuer à poser des questions candides, continuer à suivre l’actualité, continuer à observer.
— Mais tu n’écris plus ? Tu ne vas plus proposer d’histoires aux gens ?
— Ben, si, il y a ce blog.
— Personne ne le lit !
— Et ? Quelle différence avec un livre posé quelques jours en librairie et que personne ne verra ?

PS : Je ne lis l’article qu’aujourd’hui, mais il date du 6. Samantha Bailly répond à ActuaLitté.
L’idée est de faire évoluer le milieu. Je pose ça là car c’est intéressant et je soutiens clairement la démarche en lui souhaitant le meilleur. Juste que, entre l’intervention de l’État pour remettre toute la chaîne du livre d’aplomb et la recherche de voies alternatives, perso, je me reconnais plus dans la voie d’à côté. Mais c’est sans doute que je suis accro au changement 😉

Et ton roman, il en est où ?

En 2014, je me fendais d’un billet pour mettre par écrit les raisons qui faisaient que je n’écrirai pas de roman. Cinq ans ont passé et il suffit que je fasse un tour dans une librairie ou que j’aille quelques jours dans un festival pour que l’envie me reprenne, l’envie basique, toute simple, de voir mon nom dans les piles étalées devant moi, d’imaginer un lecteur curieux qui découvre l’une de mes histoires.
Le festival se déroule. Le soir, avant de m’endormir dans ma chambre d’hôtel, je me dis que je suis bien bête, que, si j’écris 2.000 signes, mettons, tous les soirs, j’en ai 200.000 au bout de 100 jours, moins de 4 mois, que… L’idée s’installe et se renforce et puis je rentre chez moi et il ne faut que quelques jours pour que la Réalité reprenne le dessus. Un roman ? Lequel ? Depuis quand as-tu envie d’écrire un roman, toi ?
Allez, tu pourrais bien écrire UN roman, c’est pas méchant, ne serait-ce que pour l’exercice.
Et ensuite ? Une fois que mon nom serait arrivé là, sur la pile, dans la librairie, il faudrait en faire un 2e pour revenir sur la pile et…
Ce qui est ennuyeux, en final, ce n’est pas que cette pensée soit récurrente sans que je puisse la maîtriser car, de la même façon, parfois, je me dis que j’aimerais bien avoir une voiture ou un sèche-linge ou un petit ami ou… Ce qui est ennuyeux, c’est que, les jours où cette pensée me taraude, j’en oublie de laisser vagabonder mon esprit à la rencontre d’histoires que, elles, je veux vraiment écrire.
L’idée de devoir écrire un roman est une prison qui tue l’inspiration.
Alors, pour une fois, je ne sais pas bien si l’idée de ce billet est de partager avec vous une pensée que j’avais ou si je ne la pose pas plutôt là pour mon moi du futur, en guise de rappel salutaire.
A dans cinq ans.

Conclure 2 : le retour

Parce que Mère Dragon m’en a dit le plus grand bien, hier, j’ai commencé à regarder la série coréenne W: Two Worlds Apart.
N’en étant qu’aux premiers épisodes, je ne risque pas de vous spoiler. L’Héroïne, médecin, est la fille d’un Auteur, rendu célèbre avec une BD « W » qui raconte l’histoire d’un jeune Héros dont la famille a été brutalement assassinée et qui devient riche et célèbre pour retrouver le coupable. Mais, en réalité, Auteur n’a aucun idée du coupable et, ne s’en sortant pas de son intrigue, décide de tuer brutalement son Héros… qui va être sauvé par Héroïne, happée dans l’histoire via la tablette graphique de son père.
Si l’Héroïne a été happée par l’histoire elle-même, j’avoue que j’ai été happée très vite par l’intrigue. Parce que j’adore le côté méta : Héros a conscience que ce qui lui arrive manque de contexte (Auteur le fait poignarder, empoisonné par une infirmière qui n’a aucun mobile, lance un énorme camion sur lui) et qu’il ne peut pas retrouver les coupables car il n’y a jamais de mobile. Auteur est pris à la gorge car, au fond, il le sait, son histoire n’a aucun sens.
Et, quand Auteur et Héros se confrontent (oui, oui, assez tôt dans la série puisque je n’en suis qu’au début), Auteur avoue que la famille du Héros n’est morte que pour le côté dramatique, sans aucune vraie raison.

Mais pourquoi je vous parle de tout ça, moi, ce matin ?
Dans un précédent billet, je m’interrogeais déjà sur les fins et je pense toujours que la fin d’une histoire d’amour ne peut pas être la même, par exemple, que la fin d’un polar.
Mais, en fait, surtout, je pense qu’il devrait exister un Enfer pour les auteurs qui commencent une histoire sans en connaître la conclusion (à côté de l’Enfer de ceux qui font « répondre à tous » et de l’Enfer de ceux qui mettent des tableaux inclus dans leurs méls et non en PJ exploitable). Et ils sont nombreux.
Parce qu’ils ont un contexte et des personnages, ils pensent que ça suffit, que la fin viendra bien toute seule, qu’ils verront quand ils y seront. Et, toi, au final, lecteur/spectatrice, tu te retrouves, après des heures de lecture/visionnage, à hurler toute seule dans ton salon : « WTF ??? »
Parce que, non, ça ne donne jamais rien de bon si tu ne connais pas la fin. Je ne dis pas que tu n’as pas le droit de te laisser un peu de temps pour la trouver, mais je dis que tu ne peux pas présenter ton travail tant que ce n’est pas fait.

J’écris peu. Parfois, honnêtement, j’en souffre parce que je suis conditionnée comme les autres à mesurer mon taf à la taille. Et on sait bien que c’est la taille qui compte.
Mais, en réalité, je sais que, quelques soient les personnages qui viennent me visiter le soir avant que je ne m’endorme, quelques soient les contextes, les bouts de dialogue… qui s’imposent à moi… je ne vais pas au bout tant que je n’ai pas une fin qui me satisfasse.
Je peux avoir des goûts de m…, mes fins peuvent être nazes et tout ce qu’on veut, mais, pour moi, je veux connaître la fin.

En y repensant, quand j’étais petite, je lisais toujours les dernières pages des romans policiers, à la grande incompréhension de Mère Dragon. Et je n’ai pas fondamentalement changé. Il y a quelques jours, j’ai vu la moitié de Cheese in the Trap que j’ai abandonné là sans remords car, en jetant des coups d’œil sur la fin, j’ai réalisé que c’était l’histoire d’une relation toxique et que le héros s’en repentait bien trop tardivement.

Vous pouvez retourner à vos achats de Noël.

Et si on parlait d’amour ?

On dirait que les vacances d’été commencent à faire leur effet et que je suis un peu moins fatiguée… et du coup un peu plus bavarde.. Alors, en verve et la soirée avançant, je vais papoter un peu longuement d’un truc qui me trotte dans la tête 😉
J’aime l’Amour.
Oui, oui, celui avec un grand A car plusieurs de mes textes ont eu de très bons retours à cause de cet ingrédient. Ingrédient narratif, littéraire, déclinable de tant de façons…
Je ne pourrais pas dater les choses, mais je sais que, bien avant ma vie de « femme amoureuse », il m’était évident qu’il y avait l’Amour, cet ingrédient artistique tout à fait cool, et l’amour. L’amour irl que personne ne peut te définir et sur lequel tout le monde a une opinion. Et sur lequel, du coup, ben, je n’avais rien à dire : moi, je raconte des histoires pour t’émouvoir.
Le temps a passé, j’ai continué de raconter l’Amour, mais, en parallèle, ben… après la vision enfantine de « un monsieur et une dame s’aiment donc ils baisent ensemble d’une manière exclusive », il y a eu… la vraie vie : c’est pas forcément un monsieur et une dame, ils peuvent s’aimer sans baiser, baiser sans s’aimer, ils peuvent se tromper ou être dans une relation libre, ils peuvent se marier dix fois et ne jamais aimer, etc.
Alors, comme j’aime aussi les histoires irl, j’écoute, j’écoute, j’écoute… et, plus j’écoute, plus l’ingrédient narratif semble finalement pauvre par rapport à la réalité car les humains se font des nœuds dans la tête et c’est tellement plus… riche ? dingue ? étrange ? effrayant ?
Lors d’une conversation, quelqu’un m’a dit : « Je ne me sens pas légitime à m’exprimer car je suis asexuel. »
Ça m’a alors semblé une évidence et je lui ai répondu : « En quoi es-tu moins légitime que les autres ? Il y a quelqu’un qui a eu des relations avec cent individus bien répartis statistiquement et qui a des réponses absolues ? »
Il y a CeluiA qui t’aime très fort, qui te le montre autant qu’il peut, mais qui ne peut pas te le dire parce que le mot est galvaudé et on ne l’a pas défini et…
Il y a CeluiB qui t’aime, qui te le dit, mais, finalement, quand tu termines la relation, il est déjà dans les bras d’un autre.
Il y a Celui qui pense que CeluiA est le vraiment aimant et Celui qui pense que l’amour n’existe pas s’il n’est pas dit donc que CeluiB est plus amoureux…
Il y a Celui qui est amoureux de son conjoint, mais qui ne sait absolument rien de lui, de ses peines ou de ses humeurs et tu cherches en vain de qui il est vraiment amoureux…
Il y a… autant de Celui que d’humains sur Terre.
Comme j’aime raconter les histoires avec un début, des rebondissements et tout, en privé, il m’arrive parfois de me confier sur la vraie vie (si elle existe, un écrivain a-t-il une vraie vie ?). Même s’ils n’ont aucune valeur statistique, la majorité des retours que j’ai eus, sur des histoires qui ne me semblaient pas bien grandioses, était que c’était « beau » ou « plus vrai » ou tout autre qualificatif émouvant et positif.
Alors je me suis dit que c’est juste que je devais mieux raconter l’histoire.
Et j’ai bouclé : la réalité est bien plus dingue que la fiction, mais, en général, elle est beaucoup moins bien racontée 😀
Voilà, voilà…
Je viens de m’étendre parce que j’ai pas mal réfléchi au bouzin ces derniers temps : je suis arrivée à ce moment où tu as trop de données, trop d’émotions, trop de pistes et où tu te dis que, du coup, tu n’écriras plus jamais sur le sujet car tu n’arriveras jamais à rendre tout ce qu’il y aurait à en dire. Et, en même temps, raconter une histoire, ça n’a rien d’exhaustif : le but, c’est d’émouvoir même si tu embellis ou mens ou biaises ou…
Puis, en même temps, on s’en fout un peu de tout ça, le lecteur attend des histoires, pas mes considérations sur les histoires 😉

Oh, Temps, mon amour !

En 1999, au début d’Un Rêve étrange…, j’ai écrit :
« Elle […] attrapait son petit sac à dos noir, dans lequel un volumineux portefeuille écrasait un vieux carnet de photos qu’elle n’osait plus regarder ».
Aujourd’hui, elle saisirait juste son smartphone, blindé de toutes les photos de…
De temps en temps, quand je relis un de mes textes, j’aime bien trouver ces références à des habitudes qui sont devenues obsolètes, en si peu de temps au fond… car je me souviens très bien que, cette année-là, je rêvais d’un bel organisateur en cuir, avec ses lourds anneaux de métal, que j’aurais rempli de cartes de fidélité, de rendez-vous notés au crayon et de photomatons.
Désormais, si je peux rester de longues minutes devant les beaux agendas vendus aux rayons Carterie, cela ne me viendrait pas à l’idée de trimballer autre chose que l’iPhone qui me sert d’agenda, d’album, de baladeur et d’appareil photo.
J’aime ces détails qui ancrent nos fictions, nous rappellent ce que nous aimions/rêvions à ces moments-là, calés devant nos claviers…
J’aime noter que Buffy se sert d’un téléphone fixe à Sunnydale quand Angel, quelques kilomètres plus loin, dans Los Angeles, se sert d’un portable,
me rappeler qu’il était mal vu que la sonnerie d’un portable trouble le bruit ambiant du bureau alors que, aujourd’hui, nous sommes tous greffés d’une oreillette,
songer que l’époque où il était autorisé de fumer dans les espaces clos ne me manque pas,
m’amuser devant un vieux téléphone filaire, mais ne pas craquer sur cet achat en songeant qu’il me serait désormais insupportable de ne pas avoir toutes les fonctions de filtrage sur un appareil (nom qui s’affiche, possibilité de se mettre en « ne pas déranger » ou de bloquer certains numéros)…

Nous sommes nos souvenirs, évidemment, recomposés, réécrits… perpétuellement,
mais nous sommes aussi nos habitudes, nos façons d’aborder un moment, un évènement.
Quand je relis Un Rêve étrange…, je sais que, aujourd’hui, les phrases seraient différentes, mais je suis attachée à cette temporalité de l’art. Une œuvre est un propos, mais c’est aussi une année, un moment…
Je crois 😉

Avez-vous peur des quotas ?

Hier soir, avant de rejoindre Morphée, j’ai lu cet article : Guide à l’usage des auteurs qui écrivent des livres sexistes (mais qui font pas exprès). Le propos est simple et très pratique : par exemple, effectivement, on peut déjà commencer par mettre moitié de femmes dans nos figurant·es.
Et la conclusion reste pleine de bon sens : « Je sais aussi que ce n’est pas facile de déconstruire ce que la société nous a martelé depuis notre enfance, mais s’il vous plait, essayez à défaut de réussir. »

Je réalise au matin que je veux revenir sur ce point.
Oui, la société nous a construits sexistes, tou·tes autant que nous sommes, car nous sommes des animaux éduqués. Mais nous sommes aussi extraordinairement plastiques et nous pouvons nous reprogrammer.
Spontanément, peut-être allons-nous avoir tendance à garder des hommes forts et braves, des femmes douces et… (‘fin, là, pour le coup, je ne me sens pas du tout incluse dans ce « nous » générique, je l’avoue), mais on peut… s’imposer des quotas, tout simplement.

Ça vous semble ridicule ?
Dans la réalité, le gros argument « anti-quota » est qu’on doit choisir une personne en fonction de ses compétences et non de son genre. Ça se défend (mouais…), même si, personnellement, je pense que, à un niveau macro, imposer des quotas fait bouger les lignes.
Mais, en fiction, l’argument ne tient plus : les compétences de nos personnages ne sont déterminées que par nous-mêmes. Si le personnage doit être… un brillant scientifique ? il n’appartient qu’à nous qu’il soit brillante.

Votre dernière histoire racontait l’idylle entre un homme et une femme ?
Faites que la prochaine soit entre deux hommes ou deux femmes.
Ça ne serait pas la même histoire ?
En réalité, si, complètement si. Peu importe le genre de celleux qui se roulent une pelle, se déchirent, se disputent ou se déclarent « je t’aime » avec des yeux qui brillent. Les péripéties sont les mêmes.
Sauf univers particuliers du passé ou de fantasy.

Et les personnes racisées ?
Je reprends le propos de l’article cité plus haut : moins vous décrivez une femme de manière stéréotypée, plus vous échappez au sexisme.
J’ajouterai que, si elle est « agréable à regarder » plutôt que pourvue « de jambes interminables », vous laissez au lecteur le choix de ce qui est agréable et peut-être que, pour lui, la dame est joliment ronde.
Mais cela s’applique également aux couleurs de peau : à moins d’être « blond comme les blés » et la peau « plus pâle qu’un vampire », il est rare de préciser l’ethnie.

Imposez-vous des quotas. Si cela ne vous semble pas évident au démarrage, voyez-le comme une obligation de vous renouveler.

Pour ma part, je l’avoue, j’ai tendance à privilégier la présence de femmes dans mes textes, discrimination positive que j’assume puisque la fiction est majoritairement masculinisée.
Et je ferai une seule exception au comptage des persos : quand on raconte une histoire très proche de ce que l’on a vécu. Là, par plaisir et nostalgie, on peut garder les vrais protagonistes… si l’on ne fait pas ça en permanence 😛

(Ce billet a été écrit sans smilies, histoire de… et qu’est-ce qu’on a le réflexe d’en mettre !)