Du prix du livre, de l’édition d’imaginaire, du JdR et de la CNL…

Hier, l’émission La Science, CQFD recevait Jérôme Vincent (ActuSF), Mireille Rivalland (l’Atalante) et Olivier Girard (le Bélial).
Si ActuSF a fermé ses portes début septembre, Jérôme annonce qu’il y a actuellement l’examen de deux offres de repreneurs et ces trois maisons d’édition sont plus que représentatives de l’édition indépendante en littérature de l’imaginaire.
L’émission, titrée « Littératures de l’Imaginaire : des éditions sur le fil », est plutôt technique car elle parle surtout du métier, des chiffres…

Le fait est assez connu, mais de récentes discussions sur les réseaux m’ont fait douter des idées répandues sur le sujet alors j’ouvre une parenthèse :
En France, nous avons la loi sur le prix unique du livre. Je vous mets le lien vers la fiche sur le site de Service-public.
C’est une spécificité nationale et, concrètement, il en découle que
en tant que lecteurice, peu importe où tu achètes le produit (petite librairie de quartier, grande surface, site en ligne…), le prix sera toujours le même donc tu n’as aucune raison de comparer les prix : tu vois, ça te plait, tu peux acheter… donc tu vas volontiers acheter dans un magasin de quartier ;
la rémunération de l’auteurice est un pourcentage du prix public du livre donc, peu importe où tu l’achètes, lae créateurice est rémunérée de la même façon.
Concrètement, c’est donc une mesure qui permet principalement que les librairies continuent d’exister puisqu’elles restent concurrentielles : la différence, pour l’acheteur·se ne se fait jamais sur le tarif, mais sur les services associés (conseils, accueil, praticité…).

Dans l’émission, les 3 éditeurices abordent la question du retour des livres. Iels expliquent bien le truc donc je ne vais pas m’étendre dessus et, sur la fiche de Service-public, il y a un onglet sur ce point.

Dans le secteur ludique, il y a des boîtes de jeux de société, mais il y a également des livres de jeux de rôle. Ce qui entraine une petite spécificité : les livres de JdR sont des livres, donc sont soumis à cette loi sur le prix unique, mais sont diffusés par des boutiques de jeux et non des librairies.
Pourquoi je vous glisse cette info ici ? Parce que les boutiques et les librairies ne sont pas dans la même chaine économique et je vais vous en reparler un peu plus en détails plus bas, mais, déjà, au niveau des Vagabonds du Rêve, nous avons fait le choix d’avoir un distributeur pour nos jeux, mais pas pour nos livres.

Le Centre National du Livre (CNL) est un organisme d’Etat pour soutenir le livre et la lecture. Si l’on va sur son site et que l’on regarde les domaines littéraires soutenus, on y lit explicitement que les jeux de rôle n’en font pas partie.
La Fédération Française de Jeu de Rôle (FFJdR, dont je suis l’une des administratrices au moment où je rédige ce billet) a décidé de s’attaquer à cette question.
Pourquoi le livre de JdR ne serait pas subventionnable comme n’importe quelle autre création littéraire ?
Ici, je ne vais pas préjuger de la suite. Je pense que c’est un dossier sur le long terme, je ne sais pas s’il aboutira ou non, mais l’essai me semble tout à fait légitime.

Une chose très curieuse s’est produite.
Lorsque la FFJdR a communiqué sur ce projet (qui peut ne pas aboutir, mais qui ne nuit strictement aux intérêts de personne), des gens se sont offusqués :
Leur point de discorde était que, si le JdR devenait subventionnable par le CNL, la politique des retours s’appliqueraient désormais au jeu.
Hein ? WHAT ???
La loi sur le prix unique du livre s’applique déjà aux livres de JdR, la question des retours est en lien avec cette loi et ça n’a absolument rien à voir avec ce que le CNL soutient ou pas.

Le souci actuellement avec la décision du CNL, c’est que cela revient à classer les JdR avec les manuels et autres dictionnaires, comme s’ils rendaient compte de faits et comme si ce n’était pas des œuvres artistiques — alors que c’est ce qu’ils sont.

Mais, du coup, pourquoi les livres de JdR ne sont pas soumis aux retours ?
« Le droit de retour est un usage commercial qui autorise un libraire à renvoyer un livre non vendu. »
C’est un usage commercial, pratiqué par les librairies et les distributeurs qui travaillent avec les librairies — et lié au système particulier de l’office ; je vous mets le lien vers Wikipédia où c’est clairement expliqué.
Ce n’est pas une pratique du secteur ludique. Quand une boutique de jeux achète des jeux, elle achète des jeux de plateau, des boîtes, des cartes… et des livres, donc.

Ensuite… Lors de l’émission, Olivier explique que cette politique des retours est lié à la loi sur le prix unique, que cette loi protège les librairies, mais, comme l’émission en parle, les retours sont un souci structurel de la chaine du livre.

Je vais vous faire un aveu ? Je ne m’étais jamais posé la question.
Comme je ne fais que de la vente ferme avec les Vagabonds (donc pas de retours possibles), je ne suis pas allé regarder le détail des textes sur ce point. C’est ce que je vous précisais plus haut : si nous avions un distributeur pour notre activité Littérature, nous devrions nous soumettre à la politique des retours, ce que nous refusons catégoriquement (pour les raisons financières, éthiques, écologiques…).
Et, ce soir, je découvre :
« Les ouvrages invendus pouvant bénéficier du droit de retour sont les suivants : L’office (service d’envoi aux libraires par les diffuseurs de nouveautés ou de réimpressions), sauf exceptions (livres scolaires par exemple). Ces ouvrages figurent dans la grille d’office, qui indique la quantité voulue par le libraire pour chaque ouvrage.
Le noté (commande supplémentaire d’ouvrages faisant partie de l’office) bénéficie généralement des mêmes conditions que l’office. »
Les retours ne peuvent pas s’appliquer aux commandes « normales », i.e. quand on te contacte pour avoir quelques exemplaires parce qu’un·e client·e a parlé de ton bouquin.
Sauf que, en tant qu’éditrice, souvent, quand une librairie me contacte, elle me demande mes conditions et c’est à moi de lui opposer que nous ne faisons que de la vente ferme alors que… ça ne peut être que le cas !

Sinon, dans les autres points intéressants que j’ai notés, il y a une comparaison qui est faite entre les nécessités des éditeurs indépendants et celles des grands groupes et je vais extraire :

1/ Pour faire face à ce problème de risque d’emballement lié à cette existence des retours, Mireille et Olivier évoquent le fait que, chaque année, iels ne publient qu’un nombre limité (bien défini) de titres. Iels ne font pas de course à la trésorerie.
C’est à la fois sain, mais… impératif, je dirais.

2/ En parallèle avec ce 1/, il apparait que, contrairement aux autres secteurs du livre, la part du chiffre d’affaire liée au fond (en concurrence avec les nouveautés) est plus importante (50 % au lieu de 30 si j’ai bien entendu/retenu).

Je crois que c’est Olivier qui précise que l’édition indépendante doit donc travailler sur des années, voire des décennies, et il cité notamment le succès tardif de Game of Thrones.

Voilà, je vous ai livré ici quelques retours parce que cette émission est intéressante et cela fait également suite aux échanges que j’ai pu avoir à Octogônes, notamment avec des éditeurices et ma casquette FFJdR.

Plus haut, il y a des points techniques (juridiques ?) sur lesquels je peux avoir commis une erreur d’interprétation. Si c’est le cas, n’hésitez pas à me les signaler en commentaires (et j’éditerai au besoin).
Comme ce billet est crossposté sur mon blog et sur la #TribuneVdR, afin de ne pas perdre d’éventuelles discussions, les commentaires ne seront ouverts que sur la Tribune.

Dans le JdR, les illustrations générées par IA popent…

En ce moment, dans le monde du jeu de rôle, on voit fleurir des projets illustrés via des appli-IA.
Je n’ai rien contre l’IA (au sens donné dans ce contexte), a priori, c’est un outil et un outil n’est ni bon ni mauvais par essence. Le souci actuel de ces applis, c’est qu’elles volent le travail d’artistes1. Donc qu’on l’utilise pour un usage perso, genre illustrer sa partie de JdR entre potes, pourquoi pas ? Ou par curiosité…
Mais qu’on l’utilise sciemment pour commercialiser un produit, clairement, on franchit une ligne éthique.

— Oui, mais, moi, j’ai écrit un super JdR et je n’ai pas les moyens de payer un·e illustrateurice et, sans ça, mon projet n’est pas valide…

En fait… il n’y a rien qui va dans cette démarche.
On écrit un jeu de rôle, sachant que c’est un jeu qui va se transmettre à l’oral, via des mots.
En dehors des mots (et des tables de résolutions si besoin), il n’y a rien d’indispensable.

— Oui, mais, sans illustrations qui claquent, personne ne va venir vers mon stand en convention !

Quand on mène un projet, il faut savoir où l’on va.
Si l’objectif est d’écrire un jeu et, une fois qu’il est écrit, de le mettre à disposition du public, il n’y a absolument pas besoin de le faire illustrer. Parce qu’on ne vend pas des illustrations, on vend un matériel écrit (un monde, des idées de scénarios…).
Soit on estime que c’est suffisant, soit on pense qu’on a besoin d’illustrations pour s’immerger, pour compléter le propos… et on se met en quête : d’illustrateurices qui aiment notre jeu et veulent participer à l’aventure, d’un·e éditeurice qui y croit et investit…

Parce que, en vrai, quand on choisit de passer par une appli-IA pour doter son jeu de dessins tout en couleur qui pètent, on ne recherche pas une équipe, des artistes… pour bosser avec nous. On ne recherche pas un·e autre artiste qui va renforcer ou compléter notre propos.
On pense que le jeu ne vaut pas grand chose, on n’y croit pas vraiment et on cherche des visuels pour vendre des visuels aux joueur·ses. Parce que lae joueur·se lambda, iel va être impressionnée, iel va penser que c’est un « beau » produit.
Sauf que ce qu’iel achète, ça n’a rien à voir avec notre jeu.

Récemment, j’ai vu passer une aide de jeu ou monde (je n’ai pas fait attention) où, a priori, il y avait quelques textes et une blinde de visuels générés par IA. Et les joueur·ses étaient contentes parce que ça claquait et la personne productrice se présentait comme autrice-illustratrice de… deux/trois lignes ?

Et vous savez quoi ?
Je ne vais pas lancer de tomates sur ces auteurices qui veulent se croire aussi grosses que le boeuf (parce que, bon, déjà, au prix des tomates, je ne les lance sur personne !). Ce qu’ils font est vide ou ils le perçoivent comme vide.
S’ils n’ont pas assez confiance en leurs textes pour les présenter tels que, s’ils n’y croient pas, pourquoi y croirais-je à leur place ?

Ce qui me gêne, c’est l’attitude du consommateur.
Parce qu’on doit acheter de la nourriture et d’autres trucs indispensables et qu’on ne peut pas toujours consommer éthique, faute de moyens ou d’informations.
Mais, quand on choisit d’alimenter l’égo et le porte-monnaie de fake créateurices, on agit consciemment et pas pour un monde meilleur.

  1. Je précise que je parle ici des Midjourney-like et non d’applis alimentées de manière correcte. ↩︎