Pourquoi publies-tu des livres ?

Commençons, comme il se doit, par un petit résumé des épisodes précédents :
Dans les milieux du livre (bande dessinée incluse), on apprend que le marché est en surproduction et que les auteurices sont les grand·es perdant·es.
Récemment, quelqu’un·e me faisait remarquer que, plus jeune, il y avait peu de livres de fantasy et qu’elle pouvait suivre plus ou moins la production, mais que, désormais, quand il flânait dans une librairie, elle ne savait que choisir entre les centaines de versions d’une même quête, du même assassin sombre qui…, du…
Je pose toute suite un bémol : liberté, choix, c’est cool. Si l’on a vraiment le choix, i.e. accès de la même façon à tout. Et on sait bien que ça n’est pas le cas : nos choix vont être contraints par les campagnes de com’ et le placement en librairies.

Je suis écrivaine. C’est une donnée comme ma taille, mon poids, la couleur de mes cheveux.
J’ai mis longtemps à réaliser pourquoi ça me définissait, mais ça me modèle énormément : que j’écrive un billet de blog ou un statut sur un réseau social, je me relis mille fois en me demandant si ce sont les bons mots. Que je raconte la moindre histoire à un pote croisé dans la rue et je me demande s’il peut comprendre, si j’ai situé les personnages, si l’anecdote est assez intéressante. Je décortique les films, les séries, les gens dans la rue (hein ? what ???).
Bref, j’aime écrire, j’aime la narration. Je dévore les histoires car c’est ce que je préfère (hormis le chocolat, disons).

Nous voici au cœur de la question. J’ai bien conscience que je suis candide, que je dois avoir oublié des milliers de paramètres, mais… pourquoi mes ami·es, mes collègues écrivain·es continuent-il/elles ?
Je ne parle pas d’écrire, hein, mais de proposer leurs écrits aux éditeurs.
Il me semble que se faire éditer a du sens si, tout à la fois (ou au moins l’un des deux), on en retire un revenu et on se fait connaître (on écrit pour raconter une histoire aux autres).
Je mets volontairement de côté les faux écrivains, vrais enfoirés, qui sont publiés alors qu’ils n’intéressent personne parce qu’ils font partie d’un milieu qui s’auto-entretient.
La/le vrai·e écrivain·e. Pas non plus celle qui est si connue qu’elle se retrouve dans les meilleures ventes.
Non, celui qui a une bonne histoire, un style assuré, mais dont le roman restera seulement quelques jours en rayon parce que la surproduction presse derrière.

Parce que, sur un coup de chance, le livre pourrait se dégager du lot ?
Qui mise sur la chance ?
Parce qu’il n’y a pas d’autres solutions ?

Je suis très embarrassée parce que je ne comprends pas.
Sans les auteurices, graphistes… il n’y a pas de livres, non ?
Sans artiste, au mieux, l’éditeur ne peut qu’embaucher des pigistes pour une commande. Soit ce produit satisfait le lectorat et, tant pis, c’est la loi du marché. Soit le lectorat n’est pas dupe et il retournera vers les artistes, où qu’ils se trouvent… non ?

Alors, oui, cela demande beaucoup de courage, de solidarité.
Parce que, pour que ça fonctionne, il faudra de la patience (en années, pas en mois), il faudra des visionnaires (parce qu’il n’est pas toujours aisé d’inventer de nouvelles solutions), il faudra de l’entraide, des écrivain·es un peu connu·es qui s’affichent aux côtés des talents émergents.
Mais n’est-ce pas plus réconfortant de tenter une aventure qui peut avoir une issue favorable plutôt que de suivre un chemin tout tracé qui ne conduit qu’à l’échec ?

— Ouais, mais, là, en gros, tu condamnes des tonnes de métiers, quoi : imprimeurs, libraires, éditeurs… ?
— Alors pas forcément et, si oui, quelle importance ?
Tous les métiers évoluent, c’est comme ça. Maintenir des emplois, c’est veiller à construire une société où chacun·e puisse évoluer professionnellement, pas entretenir des métiers qui ne servent à rien.
Et où est-il écrit que les artistes devraient se sacrifier pour entretenir une chaîne du livre qui ne fonctionne pas ? Parce que je n’ai lu nulle part qu’elle fonctionnait.
J’ai lu des articles sur des auteurices qui ne s’en sortaient pas, mais également sur des éditeurs et des libraires.

En 2000, j’avais une petite maison d’édition, Oxalis éditions. Parce que j’adore fabriquer des livres. Sérieux, c’est vraiment agréable. J’ai découvert la chaîne du livre, les retours des libraires…
Je me suis posée et je me suis dit : « Putain, Cenli, ce n’est juste pas viable du tout, ça n’a pas de sens ! »
C’était il y a 20 ans. Depuis, je n’ai rien vu qui laisse penser que cette économie soit devenue sensée, hormis pour quelques grosses boîtes élues. Je vois surtout des éditeurs qui ferment.
Quand on a lancé les Vagabonds du Rêve, on a volontairement choisi la forme associative : aucun employé, aucun local, aucune charge fixe. Les artistes sont rémunéré·es en droit d’auteur, donc sur les ventes. Et la littérature n’est vendue que sur la boutique en ligne. Le jeu de rôle est distribué en magasins spécialisés parce que, dans le jeu de rôle, ce sont des ventes fermes.
— OK, ça, c’est en tant qu’éditrice, mais en tant qu’écrivaine ?
— Ben, déjà, la nature m’a fait partir avec un gros handicap : je suis nouvelliste.
Forcément (on doit être nombreux dans ce cas), je suis passée par plein d’étapes, genre « et si j’écrivais un roman ? » ou « quelqu’un va bien finir par remarquer mes nouvelles ! »
Écrire un roman ? Pas forcément une œuvre à laquelle je tienne, non, un produit simple, formaté, un exercice relativement facile quand on peut aligner plus de 5.000 signes/heure. En quatre mois, tu as un premier jet. Mettons que tu t’accordes le même temps de relecture. En moins d’un an… et puis ? Tu ajoutes un titre de plus dans une surproduction qui te noie toi-même en tant que lectrice ? Ça te fait vraiment vibrer ?
En tant qu’écrivaine, pour l’instant, je pense qu’il n’y a rien d’attirant dans la chaîne du livre. Je vais continuer à poser des questions candides, continuer à suivre l’actualité, continuer à observer.
— Mais tu n’écris plus ? Tu ne vas plus proposer d’histoires aux gens ?
— Ben, si, il y a ce blog.
— Personne ne le lit !
— Et ? Quelle différence avec un livre posé quelques jours en librairie et que personne ne verra ?

PS : Je ne lis l’article qu’aujourd’hui, mais il date du 6. Samantha Bailly répond à ActuaLitté.
L’idée est de faire évoluer le milieu. Je pose ça là car c’est intéressant et je soutiens clairement la démarche en lui souhaitant le meilleur. Juste que, entre l’intervention de l’État pour remettre toute la chaîne du livre d’aplomb et la recherche de voies alternatives, perso, je me reconnais plus dans la voie d’à côté. Mais c’est sans doute que je suis accro au changement 😉

My Holo Love (2020)

Une fois n’est pas coutume, je peux m’imaginer que je suis l’actualité puisque My Holo Love est sortie vendredi dernier sur Netflix, Netflix qui la présente comme une « mini-série ».
Alors je ne veux pas être trop psychorigide (si, si, je le suis et j’assume !), mais en quoi 12 épisodes au lieu des 16 en moyenne peut justifier le qualificatif de « mini » ?

Lui est un informaticien de génie, hacker, qui souffre d’un handicap qui l’empêche de se lier aux autres (enfant, il ne parlait pas — il est persuadé que sa mère s’est suicidée car il était un fardeau). Son meilleur ami est donc Holo, une IA-hologramme qu’il développe et qu’il va bientôt commercialiser.
Elle souffre de prosopagnosie. Pour ne pas être moquée, elle cache sa maladie, mais, du coup, elle passe pour une égoïste pimbêche.
« Par hasard », elle se retrouve bêta-testeuse d’Holo, implantée dans des lunettes, et cela lui change littéralement la vie (puisque l’IA lui indique qui est qui). Puis elle finit par s’en éprendre car Holo est attentionnée et se comporte comme un véritable ami.
Le Grand Méchant, forcément, veut voler cette technologie.

Et on obtient une sympathique série de SF parce que le tout est agréablement équilibré :
la SF, le rapport à la technologie : comment elle peut nous épauler, mais également comment elle peut nous accaparer (Holo, lancée sur le marché, se révèle très addictive pour les utilisateurs) ;
l’amitié et l’amour, IA et humains : Elle est-elle amoureuse d’Holo ou de son créateur qui l’a conçue à son image ? Les sentiments de l’IA sont-ils réels ?
le mystère : pourquoi la mère de Lui est-elle morte ? qui veut voler l’IA ?

Bref, rien à dire de plus sinon : faites vous plaisir, regardez 😉

Ce billet est également paru dans la Tribune des Vagabonds du Rêve.

Tempted (The Great Seducer)

Je vais commencer par un préambule : je veux des happy ends. OK, il y a tout un tas de bons arguments pour démontrer qu’une happy end n’est pas indispensable, mais, perso, je n’ai pas envie de me farcir seize heures (longueur moyenne d’un drama) avec des persos pour que, à la fin, ils meurent écrasés par un tractopelle. Notez qu’en plus je ne suis pas difficile : je prends les fins ouvertes (difficile, vu mes propres histoires, de les renier) et mourir en sauvant la galaxie est une happy end. Juste, voilà, ne me faites pas vivre des heures auprès de gens pour les massacrer à la fin.
Tout ça pour dire que, même si Tempted est librement inspiré des Liaisons dangereuses, aucun personnage ne meurt de MST à la fin 😉

Au départ, je n’avais pas prévu de parler de cette série car elle m’a laissée une impression mitigée et puis, au final, en y repensant, l’impression qui me reste, qui domine, est une sorte de tendresse à partager.
Si-hyeon, Su-ji et Se-ju (oui, la similitude des deux noms est visiblement voulue, mais c’est une vraie galère à suivre 😛 ) sont trois amis, trois jeunes adultes fusionnels, cruels et tristes. Leur trio est leur force, face à la vie, aux difficultés, mais les enferme aussi, forcément.

Lorsque Gi-yeong (le seul vrai salopard de l’histoire) éconduit cruellement Su-ji, celle-ci demande à Si-hyeon, pour se venger, de séduire Tae-hee, le grand amour du méchant, pour ensuite la larguer.
Si-hyeon s’exécute, par affection pour son amie, et… forcément, s’éprend de Tae-hee.
Su-ji, qui était en réalité amoureuse de Si-hyeon, va en souffrir ; Se-ju, qui était amoureux de Su-ji…
Bref, rien de trop original a priori.
Le charme prend par la juxtaposition des générations : si les vingt-ans souffrent et sont mal, c’est également parce que la génération de leurs parents souffre et va mal. Les histoires s’entremêlent donc dans une sorte de malaise mélancolique dont personne ne trouve la sortie.

Tae-hee (et son père) représente la sage au milieu des fous. Intelligente, sure d’elle, elle est presque un peu too much au milieu des losers. (A noter que les deux persos sont ceux qui ont vécu « ailleurs » — en Allemagne — comme si cela les avait insensibilisés aux soucis locaux de bien marier son enfant, par exemple.)
Si-hyeon (je dirais que lui est le héros alors que Tae-hee endosse plus le rôle de la quête) est extrêmement touchant, rongé par la culpabilité : que vaut sa relation puisqu’il a abordé celle qu’il aime de mauvaise façon (il a enquêté sur elle pour l’arnaquer) pour de mauvaises raisons ?

Au final, je crois que j’ai été touchée par la façon dont les gens se perdent dans leurs propres nœuds. A un moment, Tae-hee dit quelque chose comme “les secrets n’ont d’importance que pour les gens qui veulent les préserver”, genre tout le monde s’en fout de ce que vous voulez dissimuler.

Une série ni drôle ni gaie, touchante, pas addictive, mais bien jouée/réalisée.