Le français va très bien, merci (2023)

J’avais acheté cet essai il y a quelques semaines, mais il s’était entassé sur ma Pile à Lire.
Puis, là, en lisant un article ALC qui n’hésitait pas à prétendre que lesdits linguistes n’étaient que des idéologues (quand quelqu’un affirme que la science est une idéologie, c’est un bon gros red flag), je me suis dit qu’il était temps de le lire pour vérifier de quoi ça parle.
(Je n’avais parcouru que le site qui est déjà pas mal intéressant.)

C’est un essai assez court.
Je ne pense pas que son objectif soit de nous apprendre quelque chose, mais bien plutôt de rappeler quelques points, de prendre le temps de se remettre en perspective.

Je suis né au début des années 1970. Même si j’aimerais que ce ne soit pas le cas, j’ai été formaté comme tout le monde et j’ai cru à une langue « belle et pure » pendant une période de ma vie.
J’ai adhéré d’autant plus facilement à cette croyance que, pour une raison que j’ignore, j’étais doué en orthographe (je pense que toutes ces règles me plaisaient, comme une sorte de jeu de société un peu improbable, avec son lot de devinettes et d’essais foireux), mais cette croyance n’a pas résisté à mon amour de l’écriture. Rien que pour les dialogues, il m’était indispensable de m’emparer des formes orales.
Bref, comme j’aime notre langue, je l’aime vivante et plurielle (parce que, bon, dire « je t’aime, mais je veux te voir mort », ce n’est pas trop mon kink).

Essai donc qui permet de se remettre dans le bain, de se rappeler un peu les règles que je veux m’imposer (ou non) en tant qu’écrivain ou éditeur… et que je vous invite à lire pour vous sentir plus à l’aise quand de vieux mâles dépassés veulent vous faire croire qu’ils sauraient mieux causer la France que vous 😉

Men are Men (2020)

Cette série est disponible sur Netflix et Viki sous le titre To All the Guys who Loved Me, titre qui, à mon sens, ne se justifie pas. Comme dans beaucoup de romances, deux hommes se disputent l’amour de l’Héroïne : on est très loin du « all the guys »…

!!! Attention, ce billet va contenir plein de SPOILERS de façon complètement aléatoire !!!

Or doncques, je viens de finir ce drama et… j’ai plein de choses à vous dire !
Tout d’abord, je lui en veux un peu car, au premier épisode, il me promettait beaucoup et, même s’il n’est pas mauvais, avec tant d’espoirs, hélas, il n’a pas été tout à fait à la hauteur.

Comme vous le savez (ou pas), j’aime le fantastique et les histoires d’amour et j’aime particulièrement le fantastique qui se glisse dans le quotidien et met en lumière notre monde.
Men are Men est donc complètement dans le créneau pour me séduire.

Enfants, Elle1 (incarnée par Hwang Jung-eum : She was pretty – Kill me, heal me – Mystic Pop-up bar) et Lui1 (Yoon Hyun-min, vu dans My Holo Love, ne me convainc pas du tout : il est… raide ?) manquent de se noyer et, lors de cet accident, le souvenir de leurs trois précédentes vies remonte à leurs mémoires.
Naturellement, les parents d’Elle1, pensant qu’elle délire, lui font suivre une thérapie à l’issue de laquelle elle efface ses souvenirs, en les prenant pour de mauvais rêves, tandis que Lui1 aura parfaitement conscience que c’est bien réel. (Pourquoi ??? La famille et l’enfance de Lui1 ne sont quasi pas évoquées ou expliquées…)
Ca, c’est la partie Fantastique.

Côté regard sur la société, Elle1 est une femme qui ne veut pas se marier (c’est la seule chose qu’elle conserve des souvenirs remontés : le mariage n’est définitivement pas pour elle). Elle n’a pas 20 ans, mais est bien ancrée dans la trentaine et elle est entourée de trois amies :
Elle2 est mariée, sans emploi, et se retrouve dépendante de son époux alors qu’elle adore faire du shopping. Elle2 va se disputer, trouver un travail et puis décider que les tâches ménagères, yep, ça se partage ;
Elle3 a quitté son ex-mari parce que sa belle-famille la maltraitait. Elle veut bien ressortir avec lui, mais pas se remarier… et elle fréquente deux hommes, en toute transparence ;
Elle4 veut vraiment avoir des enfants… mais pas de mari. Son personnage n’est pas assez exploité, mais on laisse entendre qu’elle devrait accomplir son projet.

Dans leurs vies passées, Elle1 et Lui1 sont tombés trois fois amoureux l’un de l’autre, mariés deux fois, fiancés une… et, à chaque fois, leur histoire s’est mal terminée.
La première fois par manque de chance, mais, les deux fois suivantes, Lui1 a caché des choses à sa dulcinée « pour la protéger » et, au final, ça a fait plus de mal que de bien.

La question des vies passées est délicate : comment se reconnait-on ?
Là, les scénaristes ne se sont pas foulés : les personnages gardent la même tête…

Aujourd’hui, Elle1 est une éditrice de webtoons et Lui1, riche industriel, combine pour l’embaucher et la mettre à la tête de sa propre plateforme de diffusion.
Sauf que, dans leur vie précédente, ils sont morts jeunes, 40 ans plus tôt, car Elle5, la Très Méchante, follement amoureuse de Lui1, leur a fait du tort et a précipité leur fin.
Et, comme ils ont gardé le même visage, Elle5 les reconnait et son obsession est intacte. Elle se met en tête de marier Lui1 à sa propre fille et, de fil en aiguille, va monter dans les tours.

Sur le chapitre de la romance, Lui1 a pour rival Lui2, plus jeune, orphelin, qui a grandi aux côtés d’Elle1. Elle le voit comme un frère, lui est très épris.

Alors, en fait… absolument tout est réuni pour en faire une vraiment bonne histoire.
Le fantastique et le mystère : comment gère-t-on nos vies passées ? Pourquoi Lui1 a-t-il fait échouer trois fois leur union alors qu’il est très amoureux ?
Les motivations de la Méchante fonctionnent : la jalousie l’a rongée au fil des années et elle en a perdu ses (faibles) repères moraux.
Les quatre amies représentent quatre chemins de femmes, différents, intéressants.
L’humour est là sous les traits des parents d’Elle1 qui sont vraiment réussis : ils sont… improbables, drôles, décalés…

Mais quelque chose ne fonctionne pas. Le rythme n’est pas génial. Lui1 est… aussi intéressant qu’un pot de fleurs (sans les fleurs). Des tas d’éléments sont passés sous silence : Lui1 a deux frères qu’on ne verra par exemple jamais. Même la résolution du mystère (Elle5 est forcément coupable de quelque chose dans leur vie précédente) ne passionne pas.

— Et, du coup, si tu n’es pas emballée, pourquoi tu nous en parles ?

Parce que, en fait, malgré ses défauts, cette série reste tout à fait regardable/un bon divertissement et j’aime beaucoup la « liste » qu’elle déroule :
le fantastique, les vies antérieures ;
un féminisme « évident » : outre les quatre amies qui sont chacune légitime dans leur choix de vie, tu as également une jeune autrice de webtoons érotiques. Quand la mère de l’autrice découvre le métier de sa fille et veut lui interdire car « honteux », Lui1 rappelle que des oeuvres, considérées comme licencieuses à leur parution, sont aujourd’hui des classiques ;
des petites touches qui fonctionnent bien, comme, par exemple, si Lui2 est très amoureux, il veut avant tout le bonheur de celle qu’il aime, pas la posséder.

Donc, oui, on peut faire du fantastique sans invoquer tous les effets spéciaux du monde.
Et on peut parler de sujets de société comme le féminisme en faisant une oeuvre de divertissement avec tous les codes du genre.

Ce billet est également paru dans la #TribuneVdR.

Mâle, mon héros

Je suis née dans les années 1970. J’ai été amoureuse d’Indiana Jones et d’Han Solo. (De Raistlin, également, et de Sherlock Holmes, mais c’est une autre histoire 😉 ) Je n’ai pas été horrifiée que Jones capture une petite poulette de son fouet. Je voudrais bien vous raconter que, très tôt, j’ai remis en cause le modèle du couple monogame hétérocentré, mais ça n’est pas du tout le cas. C’était le Modèle et même si, confusément, je sentais bien qu’il ne me correspondait pas, à moi, personnellement, ça venait forcément de moi. J’ai aimé les bad boys. En fiction, parce que, irl, faut pas déconner non plus.
Ma première grosse claque narrative, je pense que c’est Buffy contre les vampires. Il y a eu un avant et un après.
Et puis un jour, après des années à se farcir la télévision classique et ses programmations déplorables (épisodes dans le désordre, diffusion tardive…), la bonne qualité des connexions internet a changé tout ça.
Et puis il y a eu Netflix : on peut pester contre les grandes compagnies, mais il y a eu là aussi un avant et un après. J’ai probablement souscrit à l’abonnement pour The Good Place à l’été 2018. Tout de suite, je suis tombée sur Love in the Moonlight et A Korean Odyssey.
Si j’ai trouvé le premier charmant (je n’ai jamais caché mon attrait pour les comédies romantiques), le deuxième a été une nouvelle claque : j’ai pris davantage conscience de mon inculture (non, je ne savais rien de la Pérégrination vers l’Ouest et, oui, j’ignorais que le petit garçon avec une queue de singe dans Dragon Ball était le roi-singe), mais j’ai aussi été littéralement séduite par cette fantasy mythologique et le questionnement sur l’amour. Lui est un dieu qui veut la manger, Elle, mais en est empêché seulement par un objet magique qui l’oblige à tomber amoureux. Que vaut cet amour forcé ?

70 dramas plus tard…
Tandis que, vendredi soir, une académie de vieux mâles blancs sacrait l’un des siens, indifférente à la saine indignation que cela allait déclencher à travers le monde, je binde-watchais Her Private Life. Le genre de comédies romantiques sur lesquelles je n’aurais pas fait un billet. Parce que c’est mignon, mais ça me fait plaisir à moi, je n’ai rien à en dire particulièrement.
Sur les réseaux sociaux, on parlait de ces prédateurs dont le visage monstrueux ne nous saute aux yeux que désormais, après #MeToo, et, de l’autre, j’avançais dans une série tendre où le héros… hé bien… est juste… un homme ? Pas un prédateur, un homme.

Pause
Je n’ai remis en question le Modèle que très récemment.
#MeToo a été une révélation pour moi car, comme la majorité d’entre nous, j’avais considéré normaux des comportements qui ne l’étaient carrément pas. Et, comme pas mal d’entre nous, j’ai lu la mauvaise foi au fil des commentaires imbéciles : comment peut-on séduire si on n’a plus le droit de contraindre l’autre ?
Les baisers volés ? J’avais toujours eu en tête les paroles d’Alain Souchon.
Et puis, y’a pas longtemps, parce qu’un garçon me plaisait vraiment beaucoup, des (plusieurs) copines (bien intentionnées) m’ont demandé pourquoi je ne lui volais pas un baiser, justement. Pourquoi je ne lui offrais pas un verre ou deux, m’habillant « légèrement »…
Pourquoi ?
Parce que, du coup, pour établir la confiance avec ledit gars, je le sentais super moyen.
« J’ai envie de t’embrasser ; est-ce que c’est réciproque ? Et, même si c’est réciproque, mais que tu ne peux pas, pour des raisons qui t’appartiennent, ben, ça s’arrête là. »

70 dramas plus tard…
Je ne parle pas de société. Je ne connais pas (vraiment) la société coréenne et je me doute qu’elle n’est pas forcément tellement plus tendre que la nôtre envers les femmes.
Je parle de fictions. De narrations.
Parce que nos modèles commencent avec les fictions.
Je ne sais pas combien j’ai pu regarder de films et de séries depuis ma naissance, lire de livres… mais je fais le pari que la majorité était française ou américaine.

70 dramas coréens plus tard…
Alors, oui, Lui est très riche. Le syndrome de Cendrillon ? Je ne trouve pas. En général, Elle est méritante, intelligente, cultivée malgré le coût des études.
Lui pleure, facilement, souvent. Il est beau et érotisé, mais il n’est pas un objet sexuel.
Il ne l’embrasse pas de force. Il lui demande sa permission, il attend.
Même s’il a très très envie d’Elle car ils sont très très amoureux, il s’assure qu’Elle sait bien ce qu’ils vont faire, qu’Elle est pleinement d’accord.
Comment peut-on séduire si on n’a plus le droit de contraindre l’autre ?
Alors j’ai un secret pour vous : la question est totalement autre.
Comment se fait-il que les modèles occidentaux ne soient plus séduisants du tout après quelques dramas ?

A l’est, Her Private Life.
C’est une « simple » comédie romantique.
Elle travaille dans une galerie d’art, Il devient son chef et ils tombent amoureux et… Le genre de comédie que j’apprécie, mais dont je me doute que ça n’intéresse pas grand monde ici 😉
Sauf que le héros est l’anti-prédateur et que ça fonctionne super bien.
Elle a un secret : sur son temps libre, elle est la fan la plus investie d’une idole qu’elle suit partout, prend en photo… ce qu’elle ne veut surtout pas qu’on découvre, de crainte de casser son image « lisse » de conservatrice.
Lui, sur un malentendu, pense que son secret est qu’elle est lesbienne (en couple avec sa meilleure amie) et il va donc protéger cette vie privée qu’il pense menacée.
Bien sûr, ce malentendu est un prétexte pour démarrer leur histoire de façon humoristique, mais, en fait, au delà du malentendu cocasse, le traitement en est très tendre : pas un instant, tant qu’il la croit lesbienne, il ne la voit en tant que femme et il veut s’assurer de protéger son employée comme minorité menacée par une société conservatrice. Et, quand il découvre qu’elle est hétéro, ils ne se sautent pas dessus.

– Ben, quoi, c’est normal, non ?
– Oui, c’est normal. Mais cette normalité est agréable. Cet homme est complètement un anti-prédateur et c’est juste incroyablement romantique.
– Ouais, ben, moi, je trouve ça juste normal.
– Tu as raison. Mais j’aime les comédies romantiques tendres bourrées de consentements.

A l’ouest, Cinquante Nuances de Grey.
Bon, oui, je sais, je n’ai ni lu le livre ni lu le film. Sorry.
Je suis pleine de préjugés.
De préjugés qui me disent que ça ne parle pas de respect et de consentement.

La Matrice
Quand on a ouvert les yeux, on ne peut plus revenir en arrière.
Je suis de celles qui, longtemps, n’ont pas vu ce qui clochait. Parce qu’il y avait un Modèle et c’était comme ça. Et même s’il n’était pas le mien, c’était celui qui était. Je devais me protéger, moi, perso, mais je n’avais aucune idée du Système. Aucune idée que les fictions peuvent le nourrir ou le rendre obsolète.
Aucune idée que, un jour, je ne pourrais plus du tout mettre les mêmes idées derrière « comédie romantique ».
Est-ce tout simplement pour cela que la pop-culture coréenne séduit autant les jeunes femmes ? En tout cas, si certains vieux mâles occidentaux ne voient pas comment on peut draguer, elles, elles le visualisent très très bien !

Aujourd’hui, je ne renie pas Indiana Jones, je l’ai aimé. Mais j’aurais probablement un petit sourire gêné face à lui et je déclinerais poliment son invitation à dîner.
Et, ça, je ne l’avais vraiment pas vu venir.
Ceux qui n’évoluent pas disparaissent. La masculinité va changer. Elle sera respectueuse et tendre et ceux qui rateront le virage se mangeront un mur.

Rendez-vous dans quelques années 🙂
Pour ma part, je ne sais vraiment pas comment j’écrirai l’amour demain, mais je sais que plus rien ne sera jamais comment avant…
/musique de fin

W: Two World Apart (2016)

Le résumé disait : « Après avoir été aspirée dans le monde du webtoon de son père, une interne en chirurgie se retrouve prise dans une mystérieuse histoire de meurtre impliquant le héros. »
Je l’avais repéré, mais sans plus et puis, y’a pas longtemps, Mère Dragon me dit qu’elle a adoré, que c’est vraiment bien… alors j’ai commencé à regarder… jeudi soir ? et j’ai fini hier soir.
Et c’est juste un très gros coup de cœur.
Pour refaire un peu le résumé, un auteur tente de tuer son héros après l’avoir mené en bateau depuis des années (i.e. l’auteur ne sait absolument pas qui est le tueur sur lequel le héros enquête), mais le héros s’accroche à la vie… et à la fille, médecin, de l’auteur qui passait près de la tablette graphique de son père.
Et c’est juste absolument… super bon.
Y’a les mondes parallèles, le héros, doté de tonnes de qualités, qui émet des hypothèses sur les liens entre les mondes pour s’en sortir, la problématique de l’auteur-dieu, du suspens, des méchants très méchants…
Le truc, en fait, pour vous donner un ordre de grandeur sur l’échelle de mes goûts, c’est que j’ai regardé les deux premières saisons de Stranger Things quand elles sont sorties… parce que, en fantastique, perso, je pense qu’il n’y a pas grand chose à se mettre sous la dent.
Genre je les ai regardées faute de mieux, avec les mondes parallèles, toussa. Parce que, au fond, moi, ce que j’aime, c’est le fantastique. Je n’ai toujours pas regardé la saison 3.
Elle est dans ma liste, hein… mais, quand je vois une série comme W: Two World Apart, ben… Stranger Things m’ennuie, tout simplement.
Après, clairement, j’apprécie pas mal de choses dans les séries coréennes, les méthodes narratives, le découpage assez fréquent en 16 épisodes de 60+ min. et puis on boucle, etc.
Bref, je ne vois pas comme un écrivain pourrait ne pas aimer ce truc 😉

Ce billet est également paru dans la Tribune des Vagabonds du Rêve.