Fais confiance à ton mec pour te gâcher le week-end

5.000 signes

Ça commence toujours de manière anodine : le café s’est renversé ou le chat a vomi. T’es un peu agacée, mais ce n’est pas si grave, tu peux gérer. Puis la journée avance et, de petites contrariétés en petites contrariétés, ta vie part en sucette sans que tu l’aies vu venir.
Nous venions de nous disputer. Encore.
Il avait fini par me lâcher qu’il n’avait jamais été amoureux de moi, que j’avais le caractère le plus épouvantable du monde et qu’il me détestait, probablement, aussi, mais, avec le recul, ce n’était vraiment pas la première fois qu’on avait ce genre d’échanges et tout était encore sauvable.
Nous étions samedi matin, nous aurions dû être en route pour la merveilleuse petite auberge romantique dans laquelle il nous avait réservé une nuit et nous étions assis dans sa voiture, garée au sous-sol, en train de nous dire des horreurs. Du coup, la matinée elle-même n’était pas sauvable à proprement parler, mais nos deux vies, dans leur ensemble, n’en semblaient pas pour autant compromises.

J’avais beaucoup crié, dans l’espace trop étroit de sa petite Peugeot, j’avais même pleuré, puis, décidée à donner une belle force dramatique à mon départ (après tout, il venait de me dire qu’il ne m’avait jamais aimée), j’ai voulu m’extirper de la voiture, genre départ de la scène, je claque la porte, on ne se reverra plus jamais.
J’ai ouvert la portière, je me suis prise les jambes dans la bandoulière de mon sac à main dont le contenu s’est renversé sur le sol de béton du parking, j’ai commencé à courir après mes clés qui s’enfuyaient en roulant. Il a voulu sortir de la voiture pour m’aider, il a marché sur mon étui à lunettes qui a lâché un sinistre crack, on s’est rentré dedans dans la panique.
Le télescopage m’a obligée à le regarder en face et, là, mon cœur a loupé un battement : il avait les larmes aux yeux.

A ce moment, je sais ce que vous vous dites : ils s’embrassent, ils s’excusent, leur week-end va finalement plutôt se dérouler mieux qu’il n’a commencé…
Vous vous trompez.
Alors que, embarrassés parce que je l’avais vu pleurer, parce qu’il savait que je l’avais vu pleurer, nous continuions vainement à rassembler le contenu de mon sac, la porte du parking, à plusieurs mètres de la voiture, s’est ouverte sur un groupe de jeunes. Bruyants. Eméchés ?
Hé, les gars, il est dix heures du mat’, il est trop tard pour revenir de boîte !
Nous ne leur avons pas prêté attention, au début, nous étions bien trop absorbés par nos propres émotions, mais ils s’approchaient et il nous a bien fallu les regarder.

C’est lui qui a réagi en premier.
– Cours ! m’a-t-il crié.
Il m’a attrapé par la main et… je l’ai suivi, en mode automatique, sans comprendre. Derrière nous, nous avons tous laissé : mon sac renversé, mon téléphone, mon portefeuille, mes lunettes écrasées… On s’est engouffrés dans la sortie suivante du parking et on a monté les escaliers en courant, on a débouché sur la rue comme des fous, haletant.
Le ciel était d’un bleu magnifique, les murs blancs des immeubles étaient lumineux.
– Putain, il se passe quoi ? a-t-il sifflé entre ses dents serrées.
Autour de nous, la ville était normalement pleine comme un samedi matin : les rideaux des boutiques allaient se lever pour des consommateurs qui devaient avoir dépensé leur quota avant le déjeuner.

Mais les consommateurs autour de nous étaient…
– Ne me dis pas que ce sont des zombies ? ai-je enfin fini par articuler.
Chacun de notre côté, nous avons repassé mentalement ce début de journée. Il avait essuyé le café chaud renversé sur son sac de voyage, j’avais nettoyé le vomi du chat, nous n’avions même pas regardé la météo, donc forcément encore moins les actualités…
– On ne peut pas retourner à la voiture… a-t-il fait remarquer. Et on ne sait même pas si c’est local ou…
– Dans les films, Brad Pitt serait là pour me sauver, ai-je chouiné, désemparée.
Mais il n’y avait pas grand-chose d’intelligent à dire, alors on a commencé à marcher.

Heureusement, les zombies autour de nous étaient affreusement lents et, s’ils nous voyaient passer et tentaient de nous suivre, aucun ne nous a rattrapés. Nous n’avons croisé personne de sain, nous nous sommes servis à manger et à boire en passant dans une supérette, ouverte, mais laissée sans surveillance.
Nous avons marché longtemps, à en avoir mal aux pieds, et, en milieu d’après-midi, dans une ville voisine, nous avons enfin trouvé une équipe de la Sécurité civile qui nous a parlé de l’épidémie, du nuage toxique, des rares chanceux qui n’avaient pas été contaminés car ils s’étaient trouvés en sous-sol pendant l’Evènement.

Alors que nous partagions une soupe avec quelques pompiers, le soir venu, en écoutant les derniers bulletins à la radio, je me suis tournée vers un grand jeune homme maigre, tout à côté de moi :
– N’empêche, vous vous rendez compte, je lui ai fait, me dire qu’il n’a jamais été amoureux de moi tout ça parce que j’ai une nature un peu colérique ?
– Trop dur, a acquiescé mon voisin improvisé, tu m’étonnes que ça gâche un week-end…

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