Le Gardien

6.050 signes

Assoupi à flanc de colline, gorgé de soleil, le temple s’arrondissait en gradins éclatants autour du parvis circulaire pavé de blanc. Les lourdes plaques d’obsidienne dont ils avaient été revêtus s’étaient descellées par endroits, dessinant d’inquiétants sourires ponctués de buissons malingres. Sur les dernières rangées, quelques eucalyptus, d’immenses pins millénaires étendaient leurs doigts arthritiques, indifférents aux criaillements moqueurs de quelques mouettes isolées.

Au loin s’étendait la mer, à peine devinée, dans le gris-bleu tremblant d’une chaleur brumeuse.

J’ai été là. Immobile au bord d’un bassin au fond pierreux oublié des eaux mêmes du ciel. J’ai attendu. Et je suis là encore. Immobile, invisible à quiconque pourrait passer, si quiconque passait un jour. Les renards, les furets, les insectes mêmes l’ont su mais eux aussi l’ont oublié et sont revenus. Ainsi, s’il passait, ce promeneur solitaire, ne verrait-il là qu’une ruine. Une ruine si parfaitement ordinaire qu’il n’y discernerait rien de l’absolue solitude qui y règne et sur laquelle je veille depuis si longtemps qu’aucune légende ne garde trace de moi. Moi, le Gardien, le veilleur de l’éternité.

J’ai été là lorsque Caius l’a découverte sur la plage. Je l’y avais tirée et l’avais veillée jusqu’à ce qu’il s’en approche. Je savais qu’il viendrait parce qu’il descend jusqu’à la plage presque chaque jour sans que je sache pourquoi. Il m’a vu de loin et je me suis retiré sachant qu’il aurait peur. Ainsi n’a-t-il vu de moi que ce qu’il a cru en voir, un grand chien noir à côté d’une quelconque épave. Mais si j’ignore pourquoi il vient, je le sais curieux de tout. Il ramasse parfois quelque galet poli, un morceau de bois, un coquillage… Je sais aussi qu’il est bon et qu’il ne pourrait la laisser là abandonnée.
Il s’est approché, intrigué par cette chose immobile et, d’un coup, il s’est jeté à genoux sur les cailloux, vérifiant anxieusement le plus léger signe de vie, avant que, brusquement, son cœur ne s’enfle d’espoir et de reconnaissance. Avant même ses paroles, ses pensées s’élevaient vers les dieux en bénédictions, ne démêlant pas bien s’il fallait se réjouir qu’ils aient écarté ce chien efflanqué et lugubre ou lui rendre grâce d’avoir attiré ses regards.

Oui, j’étais là lorsqu’il l’a soulevée avec délicatesse pour repartir, en courant presque, ayant laissé ses paniers en vrac sur la plage. Oui, Caius est curieux et il est bon. C’est un bon esclave aussi, et celui d’un bon maître, car la faute qu’il a commise, même sans savoir si elle lui serait pardonnée, ne signe pas un cœur étriqué. Il est fort aussi, car, si légère soit-elle, ce n’était pas un mince exploit de la ramener aussi vite dans la colline. Et il fut pardonné. Ou ignoré ? le domaine abrite tant d’esclaves… encore que les soins que reçut l’enfant ne pouvaient passer inaperçus. Je n’aurais pas permis qu’il en fut autrement. Pourtant, le maître de Caius aura certainement souri : il ne l’a jamais puni ou dissuadé de recueillir les chiens pelés, les chats galeux, les oiseaux blessés…
Elle a guéri, son séjour sur la plage avait été bref, j’y avais veillé et l’eau n’est jamais glaciale en cette saison. Et puis son petit corps s’accrochait à la vie. Aurais-je pu ne pas la recueillir quand elle s’est jetée à la mer au large des côtes parce que des marins l’avaient découverte… et ses derniers mots avaient été pour moi.

Caius s’est toujours affligé qu’elle fût muette mais, la barrière de la langue estompée, que lui eût-elle dit d’une sordide enfance à Subure où sa mère avait été vendue comme esclave. Du moins cette mère était-elle belle, et magicienne, même si ce fut insuffisant à protéger son enfant ou seulement sa vie.
Que deviennent les princesses égyptiennes dont les maîtresses ont déplu ? Et leurs filles ? De petites créatures qui meurent ou qui s’enfuient et, parfois, par une grâce étrange, une petite servante muette dans un grand domaine étranger.
Elle y avait trouvé sa place, celle que Caius lui avait assignée dans un coin de la bibliothèque du maître, à tailler des calames bien pointus, à lisser des tablettes ou des peaux, à écouter.
C’était là qu’elle passait la quasi-totalité de ses journées. C’était là que le maître passait les siennes. Il lisait. Il étudiait. Il recevait des amis avec lesquels il discutait. Il écrivait aussi. Lorsqu’il réfléchissait, souvent à voix haute, son regard effleurait parfois la silhouette menue, quasiment invisible dans son silence. Peut-être était-elle magicienne après tout car, lorsqu’elle l’écoutait, sa réflexion se faisait plus claire, ses raisonnements plus incisifs, sa pensée plus vaste. Leurs regards s’étaient croisés, rarement, et il avait eu l’intuition qu’elle percevait ses pensées presque mieux que lui-même, au point qu’il lui avait adressé parfois quelques mots, comme oubliant qu’elle ne pouvait répondre.
Et qu’aurait-elle répondu ? Esclave protégée d’un esclave et dont les affreux souvenirs s’étaient peu à peu enfouis, délités, pour laisser place à une forme de bonheur dans ce vaste domaine planté d’oliviers et de vignes au flanc de collines couronnées de pins tranchant sur le ciel toujours bleu.
Mais, moi, je savais qu’elle ne m’avait pas oublié, dans ses regards qui guettaient les ombres, dans les pensées affectueuses que le sommeil laissait échapper de ses lèvres, dans l’amicale reconnaissance qu’elle portait à Caius, même si elle ne se manifestait que par des riens. Et je m’émerveillais que sa beauté, qui éclipserait bientôt celle de sa mère, fût à ce point enclose en sa raison qu’elle semblait voilée par magie.

Mais même moi, qui savait tout de son cœur, l’avenir m’était caché. Et j’ai été là lorsqu’elle a hurlé, d’une voix rauque et cassée de n’avoir pas servi. Et là encore lorsque Caius s’est précipité et que le médecin accourut à ses cris mais il n’y avait plus rien à faire.
La cérémonie funéraire serait belle et grandiose, les pleureuses nombreuses et le maître laisserait bien des regrets et bien des serviteurs, mais pas cette petite esclave à peine utile à tailler des roseaux car j’étais là quand elle s’est enfuie et je n’avais plus rien à faire ici.
Elle est descendue vers la plage puis elle m’a vu et a tendu les bras comme pour conjurer sa vision et, moi, je l’ai regardée s’enfoncer dans les eaux bleues, si bleues, d’un turquoise laiteux qui se fondait au cobalt du large. Je savais qu’elle échouerait à nouveau sur les galets, que Caius y reviendrait mais que, cette fois-ci, il ne remonterait pas en courant mais en pleurant, après avoir glissé une obole entre ces lèvres glacées qui auraient gardé l’arrondi de l’enfance.

Même les dieux s’inclinent devant le destin, aussi, cette fois ai-je accompli mon devoir et lorsque je me suis retrouvé auprès d’elle pour la guider, elle n’a pas eu peur. Nous savions tous deux que son âme serait légère devant la plume de Maât.

Voilà pourquoi je suis revenu ici pour attendre. Tôt ou tard, ils reviendront. Ils découvriront ces ruines et il y aura bien alors un Caius pour veiller à ce qu’ils se rencontrent. J’y veillerai, et, s’ils ne me voient pas, lui me reconnaîtra sans doute. Qui oublierait le Chien des enfers ?

Doom at Your Service (2021)

16 épisodes de 60+ minutes

Elle1 est atteinte d’une maladie incurable et va mourir. Lui1 est la Mort.
Cela faisait quelques temps que la série me faisait de l’oeil, s’invitant dans les suggestions que me faisait Netflix, mais je peinais à la lancer : un personnage principal qui va mourir, c’est un sujet qui n’est pas simple et ça peut donner du très bon comme du très mauvais…

Et puis l’ennui des journées d’été m’a fait franchir le pas. Heureusement.

Elle1 a une vie de galères. Orpheline, responsable de Lui4, son jeune frère, elle travaille comme éditrice, mais le PDG est toxique et incompétent et elle découvre que son petit ami était… marié.
L’annonce de sa maladie (et de sa mort prochaine) ne semble qu’un élément de plus dans cette vie ingrate qui peut bien finir.
Elle attire alors l’attention de la Mort.

Le thème est classique : la Mort, désabusée ou sans empathie, découvre sous un jour nouveau l’humanité.

Ce qui fait le charme de Doom at Your Service nait de tout un tas de petits détails.
Par exemple, l’effet 4e mur : Elle1 travaille avec d’autres éditeurices et auteurices. Lorsqu’elle veut déjouer le contrat qu’elle a passé avec la Mort, elle va demander à chacun·e la solution narrative pour une Happy End.
Il y aura une romance et son traditionnel triangle amoureux, mais, comme il aurait été peu approprié d’imaginer la Mort avec un rival masculin, ce sont les personnages secondaires qui vont s’y coller : Elle2, la meilleure amie d’Elle1, tiraillée entre Lui3, son premier amour, et Lui2 (le physique de Lee Su-hyeok, très froid, est clairement bien exploité).
Et, comme dans les romances, en plus d’un triangle amoureux, il faut un prétendant très riche, pour l’effet Prince Charmant, on aura bien un homme riche au casting, mais, pour une fois, pas le fils caché d’un conglomérat improbable, mais juste un riche “crédible” (un fils de propriétaire, quoi).
Le récit est “sain” : les personnages ne valident pas, par exemple, le management toxique sous prétexte qu’il faut travailler et se taire.

Puis, je l’avoue, dès que les histoires se passent autour d’éditeurices, d’écrivain·es, de romans… je suis captif.

Je ne vais pas vous spoiler, donc je me contenterais d’écrire que les rebondissements narratifs m’ont convaincu, que j’ai apprécié le sens du détail et le soin sur les (nombreux) personnages secondaires (mention spéciale aux deux vieilles dames qui “hantent” l’hôpital) et mon seul bémol sera sur le personnage de Dieu que j’ai moins aimé, mais ce n’est pas le personnage le plus évident à traiter, faut l’admettre.

Au final, on a donc du fantastique qui marche autour de la Mort à la découverte de l’humanité, avec une romance en bonus qui s’y lie tout à fait bien.

Ce billet est également paru sur la #TribuneVdR.

Il faut savoir écrire le mot FIN

7.770 signes
TW suicide

Marie et Paul restèrent un instant à se regarder, installés à la table de la salle à manger. Ils avaient couché les enfants qui devaient s’être endormis maintenant et les restes du repas étaient toujours là.
— Ce n’est peut-être pas utile de tout ranger, fit enfin remarquer l’homme avec un sourire qu’il espérait heureux.
— C’est quand même mieux quand c’est tout propre, répondit Marie sans soutenir davantage son regard.
Elle avait parfaitement conscience qu’il y avait quelque chose de ridicule dans ce souhait, mais elle commença à débarrasser et son mari l’imita. Ils chargèrent le lave-vaisselle, il passa l’éponge sur la table tandis qu’elle donnait un rapide coup de balai. Ils n’arrivaient plus à se parler, ils avaient trop fait d’efforts tant que les enfants étaient réveillés.
Les enfants. Un gentil garçon, une gentille fille. Une vraie histoire de conte de fées.
— Il y a un film que tu as très envie de revoir ?
Ils avaient tout rangé et il n’y avait rien d’autre à faire. Elle prit une profonde inspiration et le regarda enfin bien en face :
— Est-ce que tu m’en veux si je préfère… tu sais… c’est fini, maintenant…
— Je comprends, fit-il simplement.
Ses yeux se gonflèrent de larmes qu’il fut incapable de retenir. Le cœur lourd, il se dirigea vers son bureau et il entendit qu’elle se rendait à l’étage. Il n’avait pas besoin de la voir pour savoir exactement ce qu’elle faisait : elle était entrée dans la chambre de Julia et avait déposé un baiser sur son front, puis elle avait eu exactement les mêmes gestes pour Thomas. Ensuite, elle s’était rendue dans leur chambre où elle l’attendait, en se forçant à ne pas pleurer pour qu’il ne soit pas plus triste qu’il ne l’était déjà. Il n’avait pas son courage.
Toutes ces années comme médecin, il n’avait jamais pu se forger une opinion définitive sur l’euthanasie. Et aujourd’hui…
Elle ferma les yeux avant qu’il n’enfonce l’aiguille, après qu’ils se soient dit “au revoir”. Ce n’était pas évident d’être le dernier, mais il était médecin, ce n’était pas elle qui allait faire ça…
Ils partaient juste un peu en avance parce qu’elle était chercheuse dans le bon laboratoire et avait su plus tôt. Les gouvernements ne pourraient pas cacher l’information très longtemps et ils ne seraient pas là pour voir la suite. C’était la fin du monde et les humains ne pouvaient plus réparer leurs erreurs. Marie et Paul étaient sincèrement désolés pour ceux qui assisteraient à la fermeture.

La queue semblait s’étirer à l’infini et Marie interpella l’homme qui se trouvait devant eux :
— Vous attendez depuis longtemps ?
Le vieillard la regarda avec de grands yeux étonnés : personne ne parlait dans cette interminable file d’attente, c’était la première voix qu’il entendait une autre voix humaine depuis qu’il était là.
— Et où sont les enfants ? enchaîna la chercheuse, cette fois à l’intention de son mari.
Paul regardait autour de lui : ils étaient au milieu de… nulle part ? dans une queue infinie…
— Il n’y a aucun enfant ici, remarqua-t-il enfin, sans savoir si c’était rassurant ou non.
Sa femme n’avait pas attendu et remontait déjà l’étrange file, demandant à chacun s’il avait vu ses ou des enfants. Une créature apparut. Elle avait des caractéristiques humaines, mais elle ne faisait pas la queue et…
— Vous êtes un ange ? Vous pouvez me renseigner ? demanda aussitôt la femme, anxieuse.
La créature lui sourit gracieusement et répondit aimablement :
— Les enfants n’attendent pas ici, ils ne sont pas jugés.
Marie eut le sentiment qu’on retirait un énorme poids de ses épaules : ils étaient en paix, tout irait bien pour les deux êtres qu’ils chérissaient tant.
— Vous devriez reprendre votre place dans la file, continuait la sentinelle, avec la fin du monde, les délais vont augmenter et chacun doit attendre son tour.
L’humaine acquiesça d’un signe de tête et repartit vers son mari. Il y aurait un jugement et ensuite ? Plongée dans ses pensées, elle ne remarqua pas que l’ange venait d’être rejoint par un collègue et mit quelques secondes à réaliser qu’il l’appelait :
— Marie ? Venez avec moi, c’est une erreur, vous ne devriez pas être dans la file.
— Je vous demande pardon ?
— C’est la file d’attente avant jugement et réincarnation. Ce n’est pas votre place.
— Vous voulez dire que je suis condamnée, n’est-ce pas ? J’ai demandé à mon mari de tuer mes enfants et je ne mérite que l’Enfer ?
Le nouveau venu écarquilla les yeux, interloqué, et agita les mains :
— N’allez pas penser d’aussi vilaines choses, vous n’êtes pas punie du tout, vous avez fini votre cycle de réincarnations !
— Je ne comprends pas, répondit la chercheuse.
— Marie, de toute votre vie actuelle, avez-vous jamais menti ? Avez-vous jamais eu le moindre geste mesquin ? Avez-vous jamais nui à quiconque ? Vous avez toujours dit la vérité, combattu l’injustice même quand cela pouvait vous porter tort, vous vous êtes investie dans plusieurs causes, vous avez donné de l’amour à vos proches, mais également à de parfaits inconnus… Nous vous attendions et vous n’avez pas à faire la queue…
— Vous vous trompez, j’ai forcément fait des erreurs. Et Paul… il est dans la file d’attente, je ne peux pas le laisser seul.
— Votre mari n’a pas terminé… et, avec cette fin du monde… tous les humains seront bientôt là et tous les univers ne sont pas prêts, nous avons énormément de travail et ce n’est vraiment pas votre place…
— Je ne peux pas laisser Paul tout seul ! C’est mon âme sœur !
L’ange sourit, se voulant rassurant.
— Il vous rejoindra plus tard, quand ce sera son moment…
— Vous ne comprenez pas ! plaida Marie et sa voix étant monté dans les aigus, l’inquiétude s’emparant d’elle. Vous me dites que je suis parfaite, mais vous voulez me faire vivre en abandonnant mon âme sœur derrière moi ? Ce n’est pas une récompense, c’est une punition !
La chercheuse s’attendait à rencontrer une résistance et son cerveau carburait à plein rendement, cherchant des arguments logiques dans une réalité qui ne l’était probablement pas, mais l’ange haussa les épaules et s’en fut, sans débat. Son collègue, probablement aussi surpris que l’humaine qui rejoignait son mari en leur lançant de timides coups d’œil, le suivit quelques pas :
— Si elle ne devrait pas être ici, pourquoi tu ne fais rien ?
— Tu as déjà eu le sentiment de vivre en boucle la même journée sans pouvoir rien y changer ? lui répondit le second ange en lui désignant Marie d’un geste discret du menton.
— Que veux-tu dire ?
— Cette humaine… Cela fait je-ne-sais-combien de vies que je viens la chercher dans la file d’attente. Au cours de ses réincarnations, elle n’a jamais menti, trahi, toléré les injustices. Elle n’a jamais blessé un autre être vivant volontairement. A chaque vie, elle s’attache à de nouvelles personnes qu’elle ne peut se résoudre à abandonner dans la file et que, pourtant, elle ne reverra jamais car elle n’est pas leur âme-sœur, elle a juste changé leur karma, en bien, le temps qu’elle a passé avec eux. Les premières fois, j’ai essayé de la convaincre que sa véritable âme-sœur l’attend depuis trop longtemps, mais ça fait quelques files que j’ai abandonné.

Pensif, il regarde le dossier qu’il tient en main. Sur la tranche, le nom de l’ange a été calligraphié soigneusement comme cela se faisait à l’aube des temps sur les tout premiers dossiers. Sans gêne, son collègue, venu le rejoindre à la machine à café, le bouscule et lui arrache le dossier des mains, commence à le feuilleter.
— C’est quoi ? lance-t-il avant de s’interrompre en découvrant le CV. Et d’enchainer :
— Ouah, je n’ai jamais vu une affectation aussi longue au service des files d’attente ! C’est incroyable !
— Ce dossier est assez fascinant en fait, répond le premier, amusé et songeur. Cet ange échoue depuis des milliers d’années à guider une seule sainte…

Les chagrins d’amour ne durent que le jour

9.070 signes
Le premier jet de cette nouvelle a été rédigé à l’occasion du match d’écriture de la Convention Nationale de SF 2016.

Samedi 9:47
Dans la cuisine, les aiguilles de l’horloge cliquètent et le narguent. Comme chaque samedi. Il reste encore quelques minutes, mais il est prêt, que peut-il faire de plus ? S’il reprend un café, il sera trop nerveux et il l’est déjà bien assez.
Elle ne sortira pas de chez elle avant dix heures. Elle n’est pas du matin. Elle ne sort jamais avant dix heures. Elle descend jusqu’au marché aux fleurs dans l’idée de s’acheter un bouquet “puisque personne ne lui en offre jamais”. C’est là qu’il l’abordera. Sous un prétexte futile. Il en a plein en stock et, au final, il pourrait réutiliser le même à chaque fois, il ne change que pour lui puisqu’elle…
Il la bouscule par hasard et il est vraiment désolé. Ou il lui sourit en croisant son regard. Ou… Il a réalisé que ce n’était au fond pas très important parce qu’il lui plait et qu’elle a envie de se laisser faire. Pour elle, cela fait désormais plusieurs années qu’elle n’a pas eu d’histoires et il y a quelque chose en lui qui…
Alors…
Alors il va l’aborder, il lui offrira les fleurs qu’elle est venue s’acheter, ils prendront un café puis ils se baladeront le long de la mer, tout à côté, sauf l’été car le soleil tape beaucoup trop fort et elle ne veut pas s’y exposer.
Vers midi, il l’invitera à déjeuner. Il sait bien sûr ce qu’elle aime, mais il essaie de varier un peu les restos, déjà pour que les serveurs ne s’habituent pas trop à eux. Il s’est d’ailleurs toujours demandé ce qui se passerait si l’un d’eux les interpellait, genre reconnaissait les “amoureux” qu’il voit souvent le samedi midi.
Chaque après-midi ensuite est un peu différente. Parfois, au printemps par exemple, ils montent la colline du château et s’assoient sur un banc. Ils regardent la mer, les bateaux, la ville qui s’étend et se répand sur les collines alentour. En décembre, elle est plutôt shopping car elle a tant de gens à gâter ! Elle doit trouver le cadeau idéal pour ses deux neveux qu’elle adore, mais aussi pour des oncles et des tantes, des copines chéries, des collègues appréciés…
Il admire sa générosité, son sourire quand elle parle de sa famille, de ses amis… Elle se confie très vite “comme s’ils se connaissaient depuis toujours” et il aime ça, à chaque fois. Il connaît par cœur le nom de ses sœurs, du collègue du bureau d’en face, du petit voisin qui rigole tout le temps, des chats du deuxième étage… Il la connaît si bien, mais il l’écoute toujours comme s’il la découvrait, il repose les mêmes questions, il rit aux mêmes remarques…
Il l’aime. Chaque samedi un peu plus.
Chaque samedi, il se lève avec cette même anxiété : et si elle se levait plus tôt ? Ou si elle ne se levait pas car elle avait fait la fête la veille au soir et s’était couchée trop tard ? Si elle ne descendait pas au marché aux fleurs ? Si elle ne répondait pas à son sourire ?
Si elle avait rencontré quelqu’un depuis le précédent samedi ?
C’est déjà arrivé, d’ailleurs, qu’elle s’absente de la ville pour quelques jours. Qu’elle ait la grippe et ne sorte pas. Ces samedis-là, il a compris que ne pas la voir était forcément bien pire que de recommencer. Ne pas la voir. Ne pas savoir si…
Une fois par semaine. Pas plus. Le samedi.
Pourquoi le samedi d’ailleurs ?
C’était un samedi, déjà, la première fois. Il l’avait rencontrée au marché aux fleurs. Il sortait d’une histoire et, sur le moment, il aurait bien juré que c’était une rupture difficile dont on ne se remet pas. Oui, il a juré.
Il n’a pas dû faire que jurer… Qui a-t-il offensé ? Il s’en souvient, le con, on n’oublie pas ce genre de choses. Qui a-t-il apostrophé ?
“L’amour n’existe pas ! Ça n’est qu’un leurre ! Plus jamais !”
On est si définitif quand on pleure.
Il était tout juste dix heures, c’était un samedi d’automne et les rideaux métalliques des commerces grinçaient en se levant comme de vieux messieurs qui s’étirent d’une nuit trop courte. La boutique était au bout du marché, la première quand on arrivait, mais il ne l’avait jamais remarquée avant ?
Il est entré parce que, dans la vitrine, on lui promettait des remèdes miracle et des grigris et qu’il était un de ces jours où on doit croire un peu tout et n’importe quoi, et surtout n’importe quoi. Il a demandé un “truc pour ne plus jamais aimer”.
Le vieux monsieur, derrière son comptoir, lui a vendu une affreuse petite fiole, tout à fait kitch, forcément inoffensive au vu de sa laideur. Une potion de désamour.
“Buvez-la quand vous serez prêt et vous n’aimerez jamais plus.”
Il l’a fourrée au fond de la poche de son jeans, s’est promis de la boire dès qu’il serait rentré chez lui et…
C’est donc ce samedi même où il a acheté cette stupide et affreuse potion qu’il l’a rencontrée la première fois. Plus exactement, ils se sont tamponnés parce qu’il est sorti trop vite de la boutique et… Le coup de foudre, c’est vraiment un truc qui n’existe pas, absurde, idiot, mais il l’a tamponnée, a bafouillé une excuse et… elle a juste souri. Elle a juste souri et…
Parce qu’il sortait d’une histoire dont il ne pouvait pas se remettre ? Il l’a invitée à prendre un café, puis a déjeuné, puis…
Ce soir-là, il l’a simplement raccompagnée chez elle. Il n’était pas si tard, mais il n’avait pas besoin de plus car, après un samedi aussi merveilleux, elle allait forcément le rappeler et n’avaient-ils pas tout leur temps ?
La semaine a passé, il a laissé la fiole de désamour posée sur une étagère de la cuisine, sans être tenté de la boire et… elle ne l’a pas rappelé. Elle ne l’a jamais rappelé.

Il n’a pas voulu pleurer parce que “ne te raconte pas d’histoires, tu la connais à peine !” Il a hésité à vider la prometteuse fiole, s’est accordé un jour de plus et… le samedi matin, au marché aux fleurs…
Elle ne l’a pas reconnu. Honte ? Regret ? Elle ne le connaissait vraiment pas ! Il a commencé à lui parler. Elle se moquait de lui ? Elle l’avait oublié… Il l’a laissée là, meurtri, blessé, il est rentré et a beaucoup pleuré. S’est promis que, après une claque pareille, il n’avait besoin d’aucune potion magique pour comprendre la leçon. Il a voulu oublier et, un samedi suivant, au marché aux fleurs, il l’a croisée.
Il lui a souri — c’était plus fort que lui –, elle a répondu à son sourire… comme s’ils se rencontraient pour la première fois. Il lui a offert un café, puis ils ont déjeuné… Ce soir-là, il a conclu, parce que, bon, pas le premier soir ? Et pourquoi pas le premier soir ? Il n’est reparti de chez elle que dans l’après-midi du dimanche.
Elle ne l’a pas rappelé. Elle ne l’a jamais rappelé.

Son cœur est mort. Encore. Il a beaucoup pleuré. Il a laissé passer quelques samedis et, un matin, au marché aux fleurs… Elle ne l’a pas reconnu. Elle ne se souvient pas de lui. Elle ne se souvient jamais de lui.
Une maladie ? Un souci de mémoire à court terme ? A long terme ? Elle n’a aucun souci ! Elle vit heureuse, elle a des amis, une famille aimante, un bon job. Elle regrette juste d’être célibataire depuis quelques années maintenant, elle ne fait jamais de rencontres.
Le lundi matin, au bureau, quand chacun raconte son week-end autour du premier café, elle parle de ses vendredis soirs, parfois de ses dimanches… Le samedi ? Honnêtement, elle ne se souvient plus. Elle a forcément dû faire quelques courses et le ménage, car voilà bien ce qu’on fait le samedi, mais elle a oublié, ça ne devait pas être bien important. Ou elle est peut-être allée au ciné ?
Chaque samedi, il la rencontre. Il lui sourit, il la fait rire, il la séduit. Il lui fait découvrir de nouveaux restos, il lui offre des fleurs, parfois même une petite robe ou… Ils vont au cinéma, ils font et refont le tour de la ville. Elle se souvient du film qu’ils ont vu, mais… n’était-elle pas seule ? Parfois, le samedi soir, elle lui ouvre sa porte et… oh… Il a beau la connaître, il a beau savoir tout ce qu’elle aime…
Qu’il reparte le matin, à midi ou le dimanche soir… elle ne rappellera pas. Elle ne le rappelle jamais.

Tous les dimanches soirs, il meurt. Le chagrin le dévore et lui brise le cœur. Il regarde la fiole, se dit qu’il serait temps de mettre fin à cette souffrance, qu’il n’y survivra pas une semaine de plus, mais l’idée de ne plus la revoir, l’idée de ne plus l’entendre rire… stoppe son geste.
Allez, une fois de plus et ce sera la dernière ?

Lundi 6:00
Le réveil sonne. Il est temps de se préparer pour partir au boulot. Elle ne te rappellera pas ! Sèche tes larmes et passe à autre chose ! Elle ne peut pas se souvenir de toi !

Samedi 9:47
Dans la cuisine, les aiguilles de l’horloge cliquètent et le narguent. Comme chaque samedi. Il reste encore quelques minutes, mais il est prêt, que peut-il faire de plus ? S’il reprend un café, il sera trop nerveux et il l’est déjà bien assez.
Elle ne sortira pas de chez elle avant dix heures. Elle n’est pas du matin. Elle ne sort jamais avant dix heures. Elle descend jusqu’au marché aux fleurs dans l’idée de s’acheter un bouquet “puisque personne ne lui en offre jamais”. C’est là qu’il l’abordera. Sous un prétexte futile. Il en a plein en stock et, au final, il pourrait réutiliser le même à chaque fois, il ne change que pour lui puisqu’elle…

The Sound of Magic (2022)

6 épisodes de 60/70+ minutes

C’est assez curieux car, ces jours-ci, avec les derniers préparatifs pour #NiceFictions22 qui se tient le week-end prochain, je n’avais certainement pas prévu de bloguer, à quelque sujet que ce soit.

Je n’ai pas la moindre idée de pourquoi j’ai cliqué sur cette série, probablement parce qu’il y avait “Magic” dans le titre… mais impossible de ne pas dire un mot sur cette excellente surprise.

Attention, l’histoire est parfois cruelle (meurtre, agressions sexuelles…).

Elle1 (Choi Seong-eun) est lycéenne et vit avec sa jeune soeur. Abandonnées par leurs parents, Elle1 doit enchainer les petits boulots pour qu’elles ne meurent pas de faim tout en cachant aux adultes qu’elles n’ont plus de tuteur légal.
Lui1 (Ji Chang-wook) est un marginal qui vit dans un parc d’attraction désaffecté et se présente comme magicien. Et il apparait “comme par magie” à des moments cruciaux pour Elle1.
Lui2 (Hwang In-yeop) est le voisin de classe d’Elle1. Premier de la classe, sauf en maths où Elle1 le surpasse, il suit la voie tracée par ses parents, sans aucun rêve propre.

La narration est vraiment originale : il y a quelques chansons, mais pas assez pour qu’on la qualifie de “comédie musicale”.
Le fil conducteur est une intrigue policière, mais pas assez présente pour qu’on soit dans le “polar”.
Je n’ai aucune idée si c’est du “fantastique” et si les étrangetés se produisent réellement ou pas. Je dirais que oui…

Le tout intrigue, on se demande où on est emmenés… et, en réalité, le sujet est l’étrangeté même, la psychophobie de la société qui rejette ceux qu’elle décrète “fous”, la notion de la marginalité et la seule vraie question au monde : pourquoi/pour qui je vis ?

Je ne crois pas qu’il faille en dire plus, sinon “regardez !”

Ce billet est également paru dans la #TribuneVdR.

Le Peuple Loup (2020)

En sortant du cinéma, Fils m’a fait remarquer que ce serait bien de faire un petit mot pour ce film dont on entend à peine parler. Et je me suis dit qu’il avait raison 😉
— Et, du coup, si tu es allée le voir, c’est bien qu’on t’en a parlé ?
Parler ? Non. On a juste vu les affiches, en ville, mais, sorti ce mercredi, aucune séance dans les “grosses” salles, juste un passage furtif dans le petit-ciné-des-films-confidentiels.

Au 17e siècle, une ville irlandaise occupée par les Anglais, décidés à détruire toute la forêt environnante pour développer l’agriculture et, pour se faire, à tuer tous ses loups qui obéissent à une mystérieuse wolfwalker qui a des pouvoirs de guérisseuse.
Deux enfants se rencontrent : Robyn est l’anglaise qui rêve d’aventure, arrivée là car son père, veuf, a été recruté comme chasseur ; Mebh est la fille de la wolfwalker.

Je ne pense pas avoir besoin d’en dire plus, l’histoire est assez simple (souvent, les bonnes histoires sont simples) et l’ensemble est très poétique : le dessin, original, sert vraiment la narration, mélange d’aventures et de symboles.

Tout simplement à voir.

1h43
Sortie : 20 octobre 2021

Ce billet est également paru dans la Tribune des Vagabonds du Rêve.

Men are Men (2020)

Cette série est disponible sur Netflix et Viki sous le titre To All the Guys who Loved Me, titre qui, à mon sens, ne se justifie pas. Comme dans beaucoup de romances, deux hommes se disputent l’amour de l’Héroïne : on est très loin du “all the guys”…

!!! Attention, ce billet va contenir plein de SPOILERS de façon complètement aléatoire !!!

Or doncques, je viens de finir ce drama et… j’ai plein de choses à vous dire !
Tout d’abord, je lui en veux un peu car, au premier épisode, il me promettait beaucoup et, même s’il n’est pas mauvais, avec tant d’espoirs, hélas, il n’a pas été tout à fait à la hauteur.

Comme vous le savez (ou pas), j’aime le fantastique et les histoires d’amour et j’aime particulièrement le fantastique qui se glisse dans le quotidien et met en lumière notre monde.
Men are Men est donc complètement dans le créneau pour me séduire.

Enfants, Elle1 (incarnée par Hwang Jung-eum : She was pretty – Kill me, heal me – Mystic Pop-up bar) et Lui1 (Yoon Hyun-min, vu dans My Holo Love, ne me convainc pas du tout : il est… raide ?) manquent de se noyer et, lors de cet accident, le souvenir de leurs trois précédentes vies remonte à leurs mémoires.
Naturellement, les parents d’Elle1, pensant qu’elle délire, lui font suivre une thérapie à l’issue de laquelle elle efface ses souvenirs, en les prenant pour de mauvais rêves, tandis que Lui1 aura parfaitement conscience que c’est bien réel. (Pourquoi ??? La famille et l’enfance de Lui1 ne sont quasi pas évoquées ou expliquées…)
Ca, c’est la partie Fantastique.

Côté regard sur la société, Elle1 est une femme qui ne veut pas se marier (c’est la seule chose qu’elle conserve des souvenirs remontés : le mariage n’est définitivement pas pour elle). Elle n’a pas 20 ans, mais est bien ancrée dans la trentaine et elle est entourée de trois amies :
Elle2 est mariée, sans emploi, et se retrouve dépendante de son époux alors qu’elle adore faire du shopping. Elle2 va se disputer, trouver un travail et puis décider que les tâches ménagères, yep, ça se partage ;
Elle3 a quitté son ex-mari parce que sa belle-famille la maltraitait. Elle veut bien ressortir avec lui, mais pas se remarier… et elle fréquente deux hommes, en toute transparence ;
Elle4 veut vraiment avoir des enfants… mais pas de mari. Son personnage n’est pas assez exploité, mais on laisse entendre qu’elle devrait accomplir son projet.

Dans leurs vies passées, Elle1 et Lui1 sont tombés trois fois amoureux l’un de l’autre, mariés deux fois, fiancés une… et, à chaque fois, leur histoire s’est mal terminée.
La première fois par manque de chance, mais, les deux fois suivantes, Lui1 a caché des choses à sa dulcinée “pour la protéger” et, au final, ça a fait plus de mal que de bien.

La question des vies passées est délicate : comment se reconnait-on ?
Là, les scénaristes ne se sont pas foulés : les personnages gardent la même tête…

Aujourd’hui, Elle1 est une éditrice de webtoons et Lui1, riche industriel, combine pour l’embaucher et la mettre à la tête de sa propre plateforme de diffusion.
Sauf que, dans leur vie précédente, ils sont morts jeunes, 40 ans plus tôt, car Elle5, la Très Méchante, follement amoureuse de Lui1, leur a fait du tort et a précipité leur fin.
Et, comme ils ont gardé le même visage, Elle5 les reconnait et son obsession est intacte. Elle se met en tête de marier Lui1 à sa propre fille et, de fil en aiguille, va monter dans les tours.

Sur le chapitre de la romance, Lui1 a pour rival Lui2, plus jeune, orphelin, qui a grandi aux côtés d’Elle1. Elle le voit comme un frère, lui est très épris.

Alors, en fait… absolument tout est réuni pour en faire une vraiment bonne histoire.
Le fantastique et le mystère : comment gère-t-on nos vies passées ? Pourquoi Lui1 a-t-il fait échouer trois fois leur union alors qu’il est très amoureux ?
Les motivations de la Méchante fonctionnent : la jalousie l’a rongée au fil des années et elle en a perdu ses (faibles) repères moraux.
Les quatre amies représentent quatre chemins de femmes, différents, intéressants.
L’humour est là sous les traits des parents d’Elle1 qui sont vraiment réussis : ils sont… improbables, drôles, décalés…

Mais quelque chose ne fonctionne pas. Le rythme n’est pas génial. Lui1 est… aussi intéressant qu’un pot de fleurs (sans les fleurs). Des tas d’éléments sont passés sous silence : Lui1 a deux frères qu’on ne verra par exemple jamais. Même la résolution du mystère (Elle5 est forcément coupable de quelque chose dans leur vie précédente) ne passionne pas.

— Et, du coup, si tu n’es pas emballée, pourquoi tu nous en parles ?

Parce que, en fait, malgré ses défauts, cette série reste tout à fait regardable/un bon divertissement et j’aime beaucoup la “liste” qu’elle déroule :
le fantastique, les vies antérieures ;
un féminisme “évident” : outre les quatre amies qui sont chacune légitime dans leur choix de vie, tu as également une jeune autrice de webtoons érotiques. Quand la mère de l’autrice découvre le métier de sa fille et veut lui interdire car “honteux”, Lui1 rappelle que des oeuvres, considérées comme licencieuses à leur parution, sont aujourd’hui des classiques ;
des petites touches qui fonctionnent bien, comme, par exemple, si Lui2 est très amoureux, il veut avant tout le bonheur de celle qu’il aime, pas la posséder.

Donc, oui, on peut faire du fantastique sans invoquer tous les effets spéciaux du monde.
Et on peut parler de sujets de société comme le féminisme en faisant une oeuvre de divertissement avec tous les codes du genre.

Ce billet est également paru dans la #TribuneVdR.

Kiss Goblin (2020)

 12 épisodes d’une 10aine de minutes (2 heures séquencées)

Alors j’ai cliqué dessus à cause du mot “goblin”, clairement. C’était assez court pour ne pas prendre de risques tout en me promettant du fantastique 😉
Kiss Goblin est un conte : une créature fantastique (un “monstre”) souhaite devenir humain et, pour cela, il doit embrasser dix humaines différentes et récupérer auprès de chacune d’elle un sentiment différent (bref, finir la quête avec tous les items).
Bien sûr, il tombe amoureux et, bien sûr, leur amour est impossible…
C’est mignon et je trouve l’usage de la mini-série au service du conte assez pertinent en fait.

While You Were Sleeping (2017)

On ne réussit pas forcément une recette avec tous les bons ingrédients, mais, quand on réussit, on ne peut que dévorer le résultat. Je viens donc de dévorer les 16+ heures de While You Were Sleeping.
Les ingrédients ?
Du fantastique (des rêves qui permettent de voir le futur entre des gens dont le destin est lié), le temps (les rêves sont un reflet exact du futur), de la romance (en bonne dose), du suspens et du polar (en bonne dose), des vrais bons sentiments avec le questionnement sur les choix, le pardon, la mémoire…

Lee Jong-suk (W, Pinocchio, Romance is a bonus book…) est Lui1, le Procureur.
Jung Hae-In (Something in the rain, One Spring Night, Tune in for love…) est Lui2, le Policier.
Qui pourrait choisir entre les deux ? D’ailleurs, il n’y a pas là de véritable triangle amoureux : les deux sont aussi bons et honnêtes l’un que l’autre et ne se disputeraient pas pour une femme.
Elle (Bae Suzy) est la Journaliste. Elle fait des rêves prémonitoires, mais, adolescente, ne parvient pas à sauver son père de la mort. Quoiqu’elle s’en veuille et parce qu’elle a pu le prévenir, en mourant, son père sauvera plusieurs vies…
Je ne m’étendrais pas sur l’intrigue, juste, pour compléter le trio des gentil·les (Procureur, Policier et Journaliste), le méchant sera bien sûr l’Avocat, qui a défendu de vilains criminels.

Alors… c’est clairement bourré de bons sentiments. Mais je n’en ai pas fait une overdose. Est-ce que parce que notre époque n’est pas assez enjouée pour qu’on s’en prive ou est-ce que parce que l’intrigue fonctionne ? Je penche pour la deuxième réponse. L’intrigue marche. La morale est bonne. Les persos sont attachants.
Donc un gros coup de cœur dans le genre simple et efficace.

Ce billet est également paru dans la Tribune des Vagabonds du Rêve.

Familiar Wife (2018)

Dans les qualités que je trouve (en général) aux dramas coréens, il y a l’utilisation/exploitation du fantastique et le traitement de soucis ordinaires.
Familiar Wife réunit ces deux qualités.

Lui est un connard ordinaire. Il était amoureux d’Elle1, l’a épousée, mais, maintenant qu’ils ont deux enfants en bas âge et chacun un boulot, il lui laisse sans ciller toute la charge mentale.
Pendant qu’elle s’épuise alors que l’état de santé de sa mère se dégrade, Lui regrette qu’elle ne lui fasse pas à manger ou qu’elle prenne mal qu’il passe du temps sur la console de jeux.
Fatiguée, elle crie.
Et quand il croise Elle2, un béguin rencontrée à la fac, fraiche car aucun mari ne l’épuise, il souhaite échanger de femme.

Ici, la magie (matérialisée par un péage sur une route peu fréquentée) permet de revivre un moment-clé du passé. Le voilà le jour de leur rencontre, il l’ignore et conclut avec Elle2.
Changement d’épouse.

Comme de bien entendu, le destin va se charger de lui : non seulement Elle2 ne lui correspondait pas spécialement, mais Elle1 recroise sa route et, sans lui, hé bien… elle est toujours la fille merveilleuse qu’il a aimée.

Difficile, dans ce genre d’histoires, de parler plus longuement de l’intrigue sans spoiler.
Je dirais juste que j’ai trouvé la narration bien équilibrée parce qu’elle passe par plusieurs phases : au début, Lui est détestable, puis il apprend… Globalement, c’est assez poignant parce que le sujet abordé est l’échec, les effets de la négligence, la question des choix… mais il reste quelques moments drôles et l’on n’est pas entrainé vers le fond.

J’ai lu quelque part que la série abordait le thème de “l’usure dans la couple”. Non.
Ce n’est pas deux personnes qui s’éloignent car le temps a passé et leurs sentiments se sont usés.
Ca parle clairement de la charge mentale. Ca dit très crûment : ta femme ne peut pas sourire et te faire à manger si elle en bave au quotidien.
Le dernier épisode est un poil mou et moralisateur (il appuie un peu trop sur le message bien reçu), mais sans défaut majeur.

Donc on a du voyage dans le temps/réécriture du présent et un message basique, mais essentiel : prends soin des autres si tu veux qu’ils prennent soin de toi.
J’ai aimé l’histoire et les choix narratifs. Je ne peux pas classer ça en romance.
Dans la romance, il y a il me semble une sorte de magie amoureuse où l’on s’éprend soi-même des personnages, où l’on aimerait bien être l’un des deux : là, on est forcément compatissant, Lui a merdé, il en prend conscience avec humilité, mais… il ne fera pas battre votre coeur 😉

Bref, un bon sujet bien traité.

Ce billet est également paru dans la Tribune des Vagabonds du Rêve.