Kiss Goblin (2020)

 12 épisodes d’une 10aine de minutes (2 heures séquencées)

Alors j’ai cliqué dessus à cause du mot « goblin », clairement. C’était assez court pour ne pas prendre de risques tout en me promettant du fantastique 😉
Kiss Goblin est un conte : une créature fantastique (un « monstre ») souhaite devenir humain et, pour cela, il doit embrasser dix humaines différentes et récupérer auprès de chacune d’elle un sentiment différent (bref, finir la quête avec tous les items).
Bien sûr, il tombe amoureux et, bien sûr, leur amour est impossible…
C’est mignon et je trouve l’usage de la mini-série au service du conte assez pertinent en fait.

While You Were Sleeping (2017)

On ne réussit pas forcément une recette avec tous les bons ingrédients, mais, quand on réussit, on ne peut que dévorer le résultat. Je viens donc de dévorer les 16+ heures de While You Were Sleeping.
Les ingrédients ?
Du fantastique (des rêves qui permettent de voir le futur entre des gens dont le destin est lié), le temps (les rêves sont un reflet exact du futur), de la romance (en bonne dose), du suspens et du polar (en bonne dose), des vrais bons sentiments avec le questionnement sur les choix, le pardon, la mémoire…

Lee Jong-suk (W, Pinocchio, Romance is a bonus book…) est Lui1, le Procureur.
Jung Hae-In (Something in the rain, One Spring Night, Tune in for love…) est Lui2, le Policier.
Qui pourrait choisir entre les deux ? D’ailleurs, il n’y a pas là de véritable triangle amoureux : les deux sont aussi bons et honnêtes l’un que l’autre et ne se disputeraient pas pour une femme.
Elle (Bae Suzy) est la Journaliste. Elle fait des rêves prémonitoires, mais, adolescente, ne parvient pas à sauver son père de la mort. Quoiqu’elle s’en veuille et parce qu’elle a pu le prévenir, en mourant, son père sauvera plusieurs vies…
Je ne m’étendrais pas sur l’intrigue, juste, pour compléter le trio des gentil·les (Procureur, Policier et Journaliste), le méchant sera bien sûr l’Avocat, qui a défendu de vilains criminels.

Alors… c’est clairement bourré de bons sentiments. Mais je n’en ai pas fait une overdose. Est-ce que parce que notre époque n’est pas assez enjouée pour qu’on s’en prive ou est-ce que parce que l’intrigue fonctionne ? Je penche pour la deuxième réponse. L’intrigue marche. La morale est bonne. Les persos sont attachants.
Donc un gros coup de cœur dans le genre simple et efficace.

Ce billet est également paru dans la Tribune des Vagabonds du Rêve.

Familiar Wife (2018)

Dans les qualités que je trouve (en général) aux dramas coréens, il y a l’utilisation/exploitation du fantastique et le traitement de soucis ordinaires.
Familiar Wife réunit ces deux qualités.

Lui est un connard ordinaire. Il était amoureux d’Elle1, l’a épousée, mais, maintenant qu’ils ont deux enfants en bas âge et chacun un boulot, il lui laisse sans ciller toute la charge mentale.
Pendant qu’elle s’épuise alors que l’état de santé de sa mère se dégrade, Lui regrette qu’elle ne lui fasse pas à manger ou qu’elle prenne mal qu’il passe du temps sur la console de jeux.
Fatiguée, elle crie.
Et quand il croise Elle2, un béguin rencontrée à la fac, fraiche car aucun mari ne l’épuise, il souhaite échanger de femme.

Ici, la magie (matérialisée par un péage sur une route peu fréquentée) permet de revivre un moment-clé du passé. Le voilà le jour de leur rencontre, il l’ignore et conclut avec Elle2.
Changement d’épouse.

Comme de bien entendu, le destin va se charger de lui : non seulement Elle2 ne lui correspondait pas spécialement, mais Elle1 recroise sa route et, sans lui, hé bien… elle est toujours la fille merveilleuse qu’il a aimée.

Difficile, dans ce genre d’histoires, de parler plus longuement de l’intrigue sans spoiler.
Je dirais juste que j’ai trouvé la narration bien équilibrée parce qu’elle passe par plusieurs phases : au début, Lui est détestable, puis il apprend… Globalement, c’est assez poignant parce que le sujet abordé est l’échec, les effets de la négligence, la question des choix… mais il reste quelques moments drôles et l’on n’est pas entrainé vers le fond.

J’ai lu quelque part que la série abordait le thème de « l’usure dans la couple ». Non.
Ce n’est pas deux personnes qui s’éloignent car le temps a passé et leurs sentiments se sont usés.
Ca parle clairement de la charge mentale. Ca dit très crûment : ta femme ne peut pas sourire et te faire à manger si elle en bave au quotidien.
Le dernier épisode est un poil mou et moralisateur (il appuie un peu trop sur le message bien reçu), mais sans défaut majeur.

Donc on a du voyage dans le temps/réécriture du présent et un message basique, mais essentiel : prends soin des autres si tu veux qu’ils prennent soin de toi.
J’ai aimé l’histoire et les choix narratifs. Je ne peux pas classer ça en romance.
Dans la romance, il y a il me semble une sorte de magie amoureuse où l’on s’éprend soi-même des personnages, où l’on aimerait bien être l’un des deux : là, on est forcément compatissant, Lui a merdé, il en prend conscience avec humilité, mais… il ne fera pas battre votre coeur 😉

Bref, un bon sujet bien traité.

Ce billet est également paru dans la Tribune des Vagabonds du Rêve.

Another Oh Hae Young (2016)

Alors… avant toute chose… je vais SPOILER, largement SPOILER… Je suis obligée étant donné mon propos, donc, si vous ne voulez pas de spoilers, ben… passez votre chemin…

Je suis autrice de fantastique.
J’adore les boucles temporelles, les fantômes, le Destin… et, en découvrant les dramas coréens, ben… j’ai l’impression d’être redevenue une petite fille qui a tout à découvrir. J’écris peu depuis quelques temps, mes idées me semblent désormais fades…

Bref, Another Oh Hae Young est encore une bonne surprise.

Tout commence parce qu’Elle1 et Elle 2 portent le même nom (Oh Hae Young) et ont été au même lycée.
Elle1 a envié Elle2 parce qu’elle était la plus jolie et faisait craquer les garçons.
Elle2 a envié Elle1 parce qu’elle a grandi dans une famille aimante.
Lui1 se fait larguer le jour de leur mariage par Elle2. Il ne sait pas pourquoi, elle se barre à l’étranger.
Parce qu’elles portent le même nom, lorsqu’Elle1 et Lui2 doivent se marier, Lui1 (et son ami-qui-pousse-à-faire-des-bêtises) sabote leur mariage, persuadé que c’est celui de son ex.
Lui1 a des visions. Il croit d’abord voir l’avenir, mais… les regrets qu’il a lorsqu’il meurt sont si puissants qu’ils sont projetés dans son présent : il ne voit pas l’avenir, mais les moments qu’il regrettera le plus à sa mort.
Il voit donc Elle1 avant de la rencontrer et, petit à petit, parce qu’il sait ce qu’il va regretter… il change sa vie. (Le gars doit juste changer TROIS putains de phrases dans sa vie pour ne pas tout faire foirer… ou, plutôt, se retenir trois fois de dire des méchancetés.)

Ce que je retiens :
– le fantastique très léger, mais qui change tout : savoir tes plus gros regrets à l’avance
– la boucle temporelle (que j’ai déjà utilisée dans ma nouvelle Un Rêve étrange et que j’aime toujours) : il n’y a jamais de première rencontre puisque Lui1 connait Elle1 avant.

Après, j’aime beaucoup la « capacité de rédemption » contenue dans les dramas coréens : à tout moment, quand tu as vraiment merdé, tu peux te rattraper, l’idée forte que tu ne finis pas forcément en Enfer, tu peux t’arrêter dans tes conneries.
L’idée aussi que les choses ont un sens (le destin).

Bon, après, clairement, si Lui1 a besoin de voir ses regrets pour ne pas merder dans sa vie, c’est quand même qu’il part avec un gros handicapé affectif, hein.

Ce billet est également paru sur la Tribune des Vagabonds du Rêve.

Extraordinary You (2019)

Fin novembre, j’ai avalé d’une traite W: Two World Apart que j’ai adoré.
J’avais repéré Extraordinary You dans le même genre de thématique (les personnages sont ceux d’un univers fictif/d’une bande dessinée), mais je viens seulement de l’attaquer… et de la finir.
Elle, lycéenne riche, belle, intelligente, adorée de son père, mais atteinte d’une grave maladie, découvre… qu’elle n’est qu’un personnage secondaire dans une (mauvaise) bande dessinée, bourrée de clichés, de répliques réutilisées à l’infini… et, puisqu’elle doit probablement bientôt mourir d’une maladie cardiaque, elle décide que le temps qui lui reste ne peut pas être gâché à poursuivre un amour à sens unique qu’elle n’éprouve même pas.
Lui n’est même pas un personnage secondaire, c’est à peine un figurant sans nom et, parce qu’il est peu important, il échappe à l’attention de l’auteur et peut changer les évènements.
Seul le thème général est proche de W. Ici, il n’y a pas d’action (pas de meurtres, pas de courses-poursuites), on est dans la romance. Mais une drôle de romance puisque l’auteur force les personnages dans des relations qu’ils n’ont pas choisies. Pas non plus de passage entre monde fictif et monde réel : les héros affrontent un auteur qui leur veut du mal et qu’on ne voit pas, dont on sait seulement qu’il est assez médiocre, réutilisant clichés, répliques et personnages pour un tout sans intérêt. Donc pas vraiment de Grand Méchant ou alors le Grand Méchant ultime puisque c’est le dieu de ce monde…
L’ambiance est vraiment réussie : les décors sont « juste ce qu’il faut » de factice, avec un petit côté « scène de théâtre ».
Même si ma lecture en est loin (et donc très floue dans ma mémoire), j’ai beaucoup penser à Jasper Fforde/Thursday Next. Les personnages alternent vie sur scène où ils sont contraints dans leurs gestes et paroles, mais pas dans leurs pensées, et vie dans l’ombre/en coulisses où seuls les « conscients » se souviennent de ce qu’ils vivent.
Bref… à consommer de toute urgence si ce n’est pas déjà fait 🙂

Ce billet est également paru dans la Tribune des Vagabonds du Rêve.

Le Lecteur

14.000 signes

(panneau de gauche)

Depuis quand est-il là ? Et comment est-il entré, s’il est jamais entré ? Peut-être un jour par aventure a-t-il poussé la porte d’une superbe tour, ou d’un vaste mas ensoleillé ou d’une vague cabane au fond d’un jardin… Il est là, simplement, dans un vaste fauteuil, au centre d’une vaste salle aux murs couverts de livres. Par les hautes fenêtres étroites entre un jour clair et d’improbables ouvertures donnent sur d’autres salles emplies de livres, ou des escaliers courant vers d’autres salles et d’autres livres encore. Alors, peut-être n’est-il jamais entré ou n’a-t-il jamais voulu sortir ?
Dans ce fauteuil profond, auprès de cette table patinée, près de cette haute lampe qu’il allumera à l’approche du soir, est-il seulement conscient d’être heureux ? Heureux comme nul ne saurait jamais l’être. Parfois, une ombre de chagrin l’effleure pourtant : pourra-t-il jamais lire tous ces livres ? Il serait affreux de ne le pouvoir et il y en a tant ! À l’infini peut-être. Mais cette crainte demeure fugitive car il sait, de façon très confuse, que sa vie ne saurait s’éteindre qu’il ne les ait lus.

Parfois, il interrompt sa lecture, laisse errer son regard vers une riante campagne qu’on entrevoit au loin et ses pensées dériver vers des souvenirs. Des souvenirs qu’il a peut-être vécus s’il ne les a lus. Mais, toujours, il revient à ses livres. Certains alignent soigneusement leurs reliures nervurées dorées au fer, d’autres se poussent ou s’écrasent, parfois gonflés de feuillets de notes intercalaires qui dépassent un peu, d’autres même sont posés à plat, empilés avec une petite touche désordonnée qui leur donne ce charme si particulier.

Il s’est parfois tancé de cette exclusive passion et s’est décidé à sortir… le fameux esprit sain dans un corps sain. En a-t-il lu des livres pour l’affirmer ! Ces fois-là, il s’est levé, presque désorienté, avant de se diriger vers la porte. Celle de droite ? Celle de gauche ? Oui, celle-ci. Il a longé un couloir jusqu’à la toute dernière porte. La porte de sortie. Brune, d’un brun chaud et profond. Luisante, comme cirée et polie par des générations et des générations de ménagères appliquées. La porte de sortie vers le monde lumineux qu’assurent ses souvenirs. Il a tendu la main vers la poignée, soudain poussé par un murmure tout à la fois encourageant et un rien moqueur. Comme si tous ces livres le mettaient là au défi de sortir. Il fait si beau dehors, susurrait l’un. Te souviens-tu ? C’est comme ce passage, tu sais, où l’on évoque le velours de la brise qui vous effleure ou la caresse d’un tendre soleil de printemps… Va, disait l’autre, tu entendras ces oiseaux au chant mélodieux que tant de voyageurs ont contés. Et si t’attendait une tendre amie pour partager tes rêves, insistait un autre, ou t’emporter dans une passion brûlante et des aventures étranges, taquinait un autre encore.

Et, là, sur le seuil, voilà qu’il hésitait, qu’il se souvenait des émotions ressenties dans ces lieux mêmes qu’il allait quitter, à lire ces mots précieux qu’il entendait bruisser et, non, non, il ne pouvait pas. Avait-il peur ? Ou savait-il que la vie, qu’aucune vie, ne saurait être à la hauteur de ses rêves ? Alors, il revenait sur ses pas. Dans la première pièce, ou dans une suivante et, parfois, il avait l’impression que la bibliothèque tout entière le regardait d’un petit air railleur qui le mettait en rage.
Oui, parfois, il avait attrapé ces bouquins insolents et les avait jetés à travers la pièce à toute volée pour les voir s’écraser, misérables, déchirés, avec leurs dosserets effilochés et leurs mots pitoyables. Oui, c’était arrivé et, avant même d’en avoir honte, il avait pleuré, ramassant chaque page avec des gestes délicats, les lissant du plat de la main et les rangeant avec amour et pitié.
Des crises dont il sortait épuisé, vaincu, et qui se rallumaient parfois dans l’instant lorsque, prenant alors un livre pour retrouver un semblant de calme, il s’ouvrait, au hasard… sur une page moqueuse détaillant les ravages de la passion, les esclavages consentis, voire l’irrésolution de la nature humaine.

Mais, d’autres fois, alors que pantelant de fureur encore, il saisissait un de ces maudits ouvrages pour en fustiger la sordide commisération, son regard tombait sur des mots si doux, si consolants, qu’il fondait en larmes dont il n’aurait su dire si elles étaient chagrin ou pure tendresse…
Puis, avec le temps, ces velléités s’étaient estompées…

À travers ces couloirs, ces pièces et ces livres, il errait parfois, caressant là un cuir très doux, posant son regard sur un titre enchanteur, ou drôle, ou, non, pas celui-ci… ce n’est pas le moment le mieux choisi, ou l’heure, ou le jour… ou il fait gris et j’aimerais une lecture gaie, ou l’orage est proche et c’est un temps pour les contes, ou la chaleur est prenante et je feuilletterais d’un doigt négligent des images de voyages… ou même un merveilleux livre de cuisine illustré de sorbets, de gâteaux, ou un guide de jardins dissertant sur une infinie variété de roses…

Alors, sortir ? Peut-être avec le temps était-il devenu un peu plus raide, peut-être savait-il tellement de choses qu’aucun monde ne l’aurait enchanté ou peut-être vivait-il le véritable amour ?

Il avait lu tant de choses. Il lui semblait que tout ce que la misère humaine pouvait porter, il l’avait ressenti… Tant de choses pénibles, cruelles, horribles. Qui aurait pensé que la nature humaine pouvait abriter ceci ?
Il avait lu tant de choses belles, savantes, admirables. Qui aurait pensé que la nature humaine pouvait y atteindre ?
Oui, il savait qu’il lirait tout, bien que le nombre d’ouvrages au cœur duquel il vivait fût infini… il aurait le temps… tout le temps qu’il faudrait… exactement le temps qu’il faudrait…

Alors pourquoi se soucier, même s’il se sentait à présent fatigué, quand il suffisait de se lever et de prendre ce petit livre-là, juste là. Un très petit ouvrage qu’il n’avait jamais remarqué, relié de peausserie fine et veloutée, si douce, et qui ne portait pas de titre…
La lampe brûlait doucement d’une lumière rosée. La peau était veloutée, si douce… Il approcha le livre de son visage et l’ouvrit avant de s’assoupir en l’appuyant un peu contre sa joue. Il y avait un fond de chagrin autour de lui, de l’inquiétude aussi mais de la douceur plus encore ; il était tellement aimé…

Peu à peu, comme portés par un vent imperceptible, les étagères et les murs qui les avaient soutenues s’enroulaient en spirales, se mêlaient aux livres qui s’assemblaient, pièces par pièces, rangées par rangées, comme de tendres fantômes se rassemblant autour de lui, qui se fondaient en brume et se densifiaient… Sa bibliothèque… Plus belle qu’aucun homme ne l’avait jamais rêvée, qu’aucun livre ne l’avait jamais écrite, belle et sage comme il l’avait toujours sue, comme il l’avait toujours aimée.
Et parce qu’elle était sienne, elle baisa sa bouche et ses yeux de ses lèvres tendres et l’entoura de ses bras très doux avant de refermer sur eux la couverture.

Dans un coin du jardin déserté qu’embaumaient les glycines et les lilas, un livre était resté sur un banc. Il ne portait aucun nom d’auteur, mais seulement un titre, en lettres dorées : le Lecteur.

(panneau de droite)

En fait, personne ne sut jamais ce qu’il s’était exactement passé. Il est vrai qu’elle avait toujours vécu retirée. Sans doute est-ce le propre des sorcières. Mais qu’est exactement une sorcière ? Une femme sage et seule qui a lu les lignes du ciel, tiré le temps des nuages et guetté, jour après jour, les signes de chaque brin d’herbe.
Elle était ainsi. On la craignait un peu, certes, mais d’une crainte confuse mâtinée de quelque tendresse. Elle était celle qui errait parmi les saules brumeux et revêches au bord des étangs et savait faire tomber la fièvre. Elle était celle qui veillait sur les ventres arrondis auprès des femmes angoissées quand vient le temps où les hommes de la maison boivent ou se cachent. Elle était celle devant qui tremblaient les jeunes gens mais à laquelle ils apportaient le produit de leur chasse, un gâteau de leur mère, ou la quelconque offrande qui leur attirerait les grâces de la jeune fille convoitée. Justement celle qui avait apporté la veille un pain blanc, quelques œufs, des fleurs dans l’espoir que l’élu daignerait les regarder…
Cela marchait. Cela marchait toujours. Elle était la sorcière du village et les sorcières connaissent chaque cœur : les hommes ne sont ni plus complexes, ni plus difficiles à lire que les nuages ou l’herbe ou le vent. Ils ont leurs orages violents et leurs pluies douces et ces trouées ensoleillées où les plus humbles et les plus simples atteignent au firmament portés par des ailes du rêve, de la beauté ou de l’amour.
Cela marchait car elle savait les mots, ceux qui lient et ceux qui enchantent, ceux qui transforment la fille de ferme en princesse captive et le fils du meunier en chevalier…
La sorcière du village.

Non, personne ne sut ce qu’il s’était passé, même l’idiot, qu’elle avait mis en apprentissage chez le forgeron et qui, par la grâce du regard qu’elle avait un jour jeté sur lui, était devenu orfèvre. On l’appelait toujours « l’idiot », mais cet idiot-là, avec ses doigts de magicien, avait amené au village l’or des villes à l’entour et bien des dames étaient venues dans ce coin de la forge où se façonnaient des joyaux tels, disait-on, qu’on n’en avait jamais vus, même à la cour.
Et l’idiot était venu ce matin-là, très tôt. Elle n’était pas au bord de la rivière, battant le linge et essorant les songes. Elle n’était pas dans son petit potager à cueillir des simples, comme elle le faisait si souvent. Alors il avait juste poussé la porte qui n’était jamais fermée et elle était là, comme endormie, une main allongée sur la table, l’autre abandonnée sur ses genoux. Les hauts montants du vieux fauteuil qui l’avaient retenue de la chute ne l’avaient pas retenue ici… Ô dieux ! Cette femme-là, cette femme-là entre toutes pouvait mourir ? Mais elle était si jeune encore ! Les sorcières vivent vieilles, très vieilles ! Elles sont toutes racornies d’âge et de cœur. N’en est-il pas ainsi dans tous les villages et tous les contes ?
Elle ne pouvait les abandonner ainsi ! Il s’était enfui, aveuglé de larmes, volant jusqu’à la petite église parce qu’il n’y avait plus qu’à espérer un miracle…
Mais les miracles, il faut y croire très fort, et peut-on y croire lorsqu’il n’y a plus qu’un visage exsangue, une bouche ouverte dans une muette imploration, des yeux déjà tournés vers ailleurs…

Le prêtre était venu. Tout de suite. Aussi vite que ses vieilles jambes tordues l’avaient porté. Les prêtres évitent les sorcières, c’est bien connu, alors il ferait acte de repentir mais, maintenant, il courait. Il courait et il priait. Cela n’avait aucun sens ; il savait qu’elle était morte mais il priait, et il prierait encore, chaque jour de sa vie, c’était ainsi. Il pourrait toujours prétexter des onguents dont elle avait soulagé ses douleurs de vieillard… mais il savait qu’une part de l’âme de ce village était partie…
Elle était toute pâle, pas rigide encore, et il avait trouvé la force d’allonger ce corps qui ne pesait plus guère sur la paillasse de feuilles de châtaignier puis il avait pleuré et prié, sans oser fermer ces yeux qui n’étaient point ceux de la mort. Deux immenses flaques noires pailletées d’étoiles.
Quand il s’était retourné, l’idiot était là. Et sa mère. Et le forgeron. Et la vieille du chemin du bois, emmitouflée. Et le meunier. Et le sabotier. Et la femme du tanneur avec son petit dernier. Et… et…
Et, dehors, tout le village était là, craintif, respectueux et plein de chagrin. Et le prêtre ferma doucement la porte puis laissa l’idiot mettre le feu à la cabane, comme ce devait être, car c’est moins dur, hein, pour un idiot ? Il ne comprend pas vraiment… ou alors, justement, il comprend tellement…

Un jour l’herbe recouvrirait ce tout petit monceau de cendres ; les armoises, le thym redevenus sauvages se mêleraient aux grandes fleurs mauves de ciboule. Peut-être un curieux y trouverait-il un jour une longue fibule d’or, ou un chapelet pieusement déposé dans un timbre de pierre fendu et noirci.

Un jour… mais que lui importait puisqu’elle montait avec la fumée vers ces étoiles dont elle avait toujours rêvé. Ses yeux qui n’existaient plus s’emplissaient de ciels et de mondes avec d’autres soleils et de galaxies et d’univers.
Elle avait vécu dans un village et elle retournait à l’univers dont elle était issue. Elle se fondait à lui dilatant son âme à l’emplir tout entière. Puis au-delà encore. Des mondes et des mondes encore où tout avait existé, où tout existerait. Où les montagnes devenaient du sable et le sable des diamants, où les cendres de la mort enfantaient des roses et les roses des poètes. Des mondes où l’horreur était sublime et la beauté terrifiante.
Elle avait soigné des villageois par des simples et des paroles, sans savoir que ces simples n’étaient que la perfection aboutie de l’univers juste concentrée pour cette poussière d’univers où elle avait vécu. Sans savoir que ses paroles n’étaient que l’écho d’un chant qui relie chaque chose, chaque être de chaque monde à l’infini et elle était l’infini comme chacun d’eux.
Elle connaissait désormais toutes les folies et toutes les sagesses, toutes les raisons et toutes les passions, toutes les vies possibles et toute l’humanité. Et l’humanité tenait toute entière aussi bien dans un village que dans un prêtre, un idiot, une sorcière ou un lecteur perdu dans une bibliothèque…

Il y avait quelque part un homme dans un fauteuil, sous la clarté rosée d’une lampe, et il lisait. Il suffisait simplement d’oublier ce qu’elle avait été, de se percher au bord de longues étagères et de condenser tout ce qu’elle savait dans les précieux livres qui l’entouraient puis d’en créer d’autres et d’autres à l’infini, qu’il y puise sa vie car seuls les mots portaient la vie…
Elle l’accompagnerait et elle l’écrirait, quant au titre, il n’aurait aucune importance… Le lecteur, peut-être…

Guardian: The Lonely and Great God (2016)

En commençant à m’intéresser aux séries coréennes, j’ai très rapidement entendu parler de Goblin (l’autre titre de la série — c’est assez fascinant le nombre de titres qu’on trouve pour une même oeuvre) qui raconte l’histoire d’un dokkaebi (et pas du tout d’un gobelin — à quelle époque reculée quelqu’un a-t-il cru bon de traduire l’un par l’autre ???) et j’étais forcément curieuse d’une histoire portant le nom d’une créature mythique. Mais je suis paresseuse et la série n’est pas diffusée sur Netflix. Puis, récemment, j’ai pris un abonnement à Viki et j’ai donc enfin satisfait ma curiosité.

Alors… même si ce n’est pas l’histoire d’un gobelin, on est bien dans de la fantasy :
Il y a environ 900 ans, un Général était si puissant qu’il a fini par devenir un dieu (littéralement) de la guerre pour le peuple, mais le Roi, mariée à sa Sœur et conseillé par le très vilain Méchant, jaloux qu’un simple général puisse passer pour l’équivalent d’un dieu, le tue (et sa sœur aussi, il fait un lot groupé).
A sa mort, le Général est transformé en dokkaebi et la vie ne pourra lui être ôtée que par sa fiancée (i.e. s’il rencontre l’amour).
C’est simple, classique et ça fonctionne.
A notre époque, le Général sauve la vie d’une femme enceinte et de l’enfant qu’elle portait. Ledit enfant, par cette magie, devient sa Fiancée, fiancée qui n’est même pas inscrite dans les registres de la Mort puisqu’elle n’aurait pas dû venir au monde/n’avait même pas de nom.
La Fiancée échappe aux faucheurs, atteint le bel âge de 19 ans, rencontre le Dokkaebi qui vit désormais en coloc avec un faucheur…

Le tout forme un récit très sympa de fantasy, avec des trucs cools, genre le voyage à travers les portes (mais pourquoi parleraient-ils anglais au Québec et alors même que toutes les pancartes sont en français ?), le Dokkaebi qui fait pleuvoir dès qu’il est morose (et pourrit la vie des gens ordinaires), des interventions divines bien gérées…
A vrai dire, je ne peux que vous invitez à voir cette série sympa, mais… certaines choses m’ont pourtant vraiment agacées et font que, même si j’ai bien aimé, ce n’est pas le grand frisson. Sauf que, pour le coup, impossible à expliquer sans SPOILER donc je vous invite à stopper ici votre lecture si vous ne souhaitez pas en savoir plus pour le moment…

[SPOILERS EN APPROCHE]

 

 

Un des gros ressorts narratifs de cette histoire est donc la mort et la réincarnation.
On découvre (on devine assez tôt, je dirais) que le Faucheur est la réincarnation du Roi et, comme de bien entendu, il s’éprend de la réincarnation de la Sœur. Quand Roi et Sœur retrouvent leurs souvenirs, cela ne fait que confirmer leur amour, mais également l’impossibilité de le vivre : le pardon a des limites, disons, et le Roi a quand même assassiné sa femme.
Pour ces deux personnages, OK, la seule issue possible est la mort/réincarnation avec l’effacement des vies passées.

Mais ce n’est pas parce que ça marche pour eux que ça marche pour tout le monde !
Le Dokkaebi meurt une première fois quand sa Fiancée a 20 ans, mais, comme il est badass après tout, il erre dans un endroit qui n’est pas répertorié (un truc du genre — c’est idiot, mais ça me fait penser à l’un de mes propres textes, l’Ange sur la traverse, où le personnage est perdu, mais pas vraiment en Enfer) jusqu’à ce que sa Fiancée, dont la mémoire a été effacée, le rappelle quand même (parce qu’ils ont signé un contrat).
Il doit lui redonner ses souvenirs et, franchement, jusque là, j’ai marché.

Sauf que… le lendemain de leur mariage (elle vient d’avoir 29 ans), elle meurt dans un accident de voiture pour sauver plein de gentils petits enfants (et c’est très bien).
Sauf qu’elle refuse de boire le thé de l’oubli (que les faucheurs servent aux morts pour effacer leurs vies passées) et elle peut donc tranquillou se réincarner et retrouver son chéri (alors qu’il devrait y avoir des conséquences si on refuse de boire ce thé, non ???).
Je n’ai absolument rien contre les fins heureuses, hein… mais, par contre, je trouve insupportables les ressorts narratifs qui ne servent à RIEN : si elle n’a pas la mémoire effacée, qu’elle meurt ou pas, quel intérêt ? Genre le seul suspens, c’est si elle va mettre longtemps à se réincarner et, sérieusement, pour un gars qui a vécu plus de 900 ans, attendre 30 ou 40 ans, est-ce vraiment une différence notable ???
La Fiancée réapparaît quand même des années plus tard dans le même costume de lycéenne, hein ! Et elle lui demande s’il la reconnait. Sérieux ?

Bref, il y a vraiment des trucs bien sympas, mais il y a un manque de maîtrise, genre de chouettes idées, mais personne n’a relu ou un truc comme ça.
Ou un auteur qui n’a pas su poser le mot FIN. Parce que, par exemple, c’est très mignon que le Roi et la Sœur puissent s’aimer dans une vie prochaine, mais… on le sait déjà quand on les voit franchir la porte de la Mort main dans la main. On n’a pas réellement besoin de voir leur prochaine vie.

Voilà, très sympa, mais ça a manqué d’un stylo rouge qui coupe de gros morceaux… et, au fond, ça m’agace parce que ça pourrait être vraiment top sinon.

Ce billet est également paru dans la Tribune des Vagabonds du Rêve.

W: Two World Apart (2016)

Le résumé disait : « Après avoir été aspirée dans le monde du webtoon de son père, une interne en chirurgie se retrouve prise dans une mystérieuse histoire de meurtre impliquant le héros. »
Je l’avais repéré, mais sans plus et puis, y’a pas longtemps, Mère Dragon me dit qu’elle a adoré, que c’est vraiment bien… alors j’ai commencé à regarder… jeudi soir ? et j’ai fini hier soir.
Et c’est juste un très gros coup de cœur.
Pour refaire un peu le résumé, un auteur tente de tuer son héros après l’avoir mené en bateau depuis des années (i.e. l’auteur ne sait absolument pas qui est le tueur sur lequel le héros enquête), mais le héros s’accroche à la vie… et à la fille, médecin, de l’auteur qui passait près de la tablette graphique de son père.
Et c’est juste absolument… super bon.
Y’a les mondes parallèles, le héros, doté de tonnes de qualités, qui émet des hypothèses sur les liens entre les mondes pour s’en sortir, la problématique de l’auteur-dieu, du suspens, des méchants très méchants…
Le truc, en fait, pour vous donner un ordre de grandeur sur l’échelle de mes goûts, c’est que j’ai regardé les deux premières saisons de Stranger Things quand elles sont sorties… parce que, en fantastique, perso, je pense qu’il n’y a pas grand chose à se mettre sous la dent.
Genre je les ai regardées faute de mieux, avec les mondes parallèles, toussa. Parce que, au fond, moi, ce que j’aime, c’est le fantastique. Je n’ai toujours pas regardé la saison 3.
Elle est dans ma liste, hein… mais, quand je vois une série comme W: Two World Apart, ben… Stranger Things m’ennuie, tout simplement.
Après, clairement, j’apprécie pas mal de choses dans les séries coréennes, les méthodes narratives, le découpage assez fréquent en 16 épisodes de 60+ min. et puis on boucle, etc.
Bref, je ne vois pas comme un écrivain pourrait ne pas aimer ce truc 😉

Ce billet est également paru dans la Tribune des Vagabonds du Rêve.

Coming-out

– T’as appris pour Lucile ?
– Rien de récent, non.
– Elle se désolait que sa lignée s’arrête avec elle car la vie ne lui a donné que deux garçons.
– Oui ?
– Ben, son aîné lui a annoncé… qu’il se savait femme. Du coup, elle l’accompagne dans son parcours médical et elle n’arrête pas de se vanter partout qu’elle a une fille de vingt ans, qu’elle a une héritière…
– C’est plutôt chouette pour elle, non ? Même si ça doit faire grincer des dents. T’as pas mal de jeunettes qui rêvaient de sa succession.
– Ouais, c’est vrai que c’est chouette. Reste juste à gérer le coming-out…
– Quel coming-out puisque sa fille lui a dit ?
– Ben, son coming-out. Quand t’élèves ta môme depuis la naissance en lui expliquant qu’elle est une sorcière, ça passe crème. Mais comment tu annonces ça à une jeune adulte ?

C’est quoi ce sort ?

Coup d’un soir. Le titre me semble assez explicite, non ?
– Oui, OK, vu comme ça, mais il n’y a pas de description, c’est bizarre, non ? Ça va faire quoi ? Faire apparaître un mec magnifique ? Deux ? Un démon lubrique bardé de tentacules ?
– Tu m’agaces ! Tu vois bien que ce n’est pas documenté ! On prendra des notes après avoir testé.
– T’as pas peur du démon à tentacules, genre qui te dévore après t’avoir baisée ?
– Si la nana qui a noté ce sort avait été dévorée juste après, je pense que la suivante aurait décrit la manière dont elle a trouvé le grimoire.
– Arrête de rire ! Parfois, je me dis que t’es un peu inconsciente et que tu vas mal finir !
– Bah, je finirai tôt ou tard, tu sais, aucune de nous n’a vécu éternellement !
– A la place de coup d’un soir, t’as pas plutôt amour ? Ça serait plus pérenne, non ?
– Tu oublies toujours les bases ! La magie ne fonctionne pas avec les concepts, ça ne marche que sur le pratique. Si tu veux être riche, tu n’auras pas de formule pour « devenir riche », tu ne peux que faire apparaître de l’or ou tuer quelqu’un dont tu dois hériter…
– Tu parles de magie qui ne fait même pas apparaître l’amour
– Ben, justement, c’est de la magie. Pour les miracles, t’as les religions !