Portrait de sac

Le Rose & le Noir fait partie des blogs que je suis depuis plusieurs années et, il y a plusieurs années donc, elle avait partagé quelques portraits de sacs, initiative qu’elle a reprise ce matin. Je m’étais donc prêté au jeu à l’époque, mais, comme j’ai fait disparaitre tout un tas de mes précédents billets au fil de la suppression/recréation de mes blogs, impossible de retrouver l’archive, forcément.

Néanmoins, l’exercice m’amuse toujours autant car, s’il raconte les quotidiens, il raconte aussi (surtout ?) comment chacun·e optimise ou se sécurise. De quoi as-tu absolument besoin à n’importe quel moment ? De quoi risques-tu de manquer (hormis, of course, la carte bleue et les clés) ?

Bref, à mon tour :
le sac à main est de la marque Anekke que j’aime beaucoup car j’ai le sentiment d’être face à des saynètes qui me racontent quelque chose ;
le portefeuille (cartes et monnaie) est un Fossil en cuir que j’ai depuis plusieurs années maintenant. Quand je l’ai acheté, la vendeuse m’a fait une histoire car il était « pour homme » et donc « pas pour moi » (true story) ;
la coque avec un ours en peluche Nasa, c’est mon iPhone 7+ (2017) qui me sert pour tout (photo, baladeur, carnet de notes…) ;
la trousse Renard est ma trousse « périodique » : tampons et serviettes (donc je ne l’ai pas toujours sur moi) ;
la trousse Camouflage, ce sont les médocs (Doliprane, Spasfon…), pansements, gouttes pour les yeux…
la pochette Greece pour les papiers qui ne logent pas dans le portefeuille (carte d’identité, carte de mutuelle…) ;
un sachet de courses réutilisable ;
mes écouteurs d’iPhone ;
des mouchoirs en papier
et un anti-moustiques : je l’ai avec moi plusieurs mois par an sauf vraiment les mois « froids » (quels mois « froids » ici ???).

En me relisant, je réalise qu’on ne voit pas le porte-clé Père Noël Lego accroché au sac ! (Ledit sac a un anneau pour les babioles et j’ai perdu le beau pompon rouge qu’il avait à l’origine…)

Pour la photo, j’ai mis le petit parapluie Anekke, mais, en réalité, je ne le prends quasi jamais : je fais partie de la team regarde la météo avant de sortir donc, s’ils annoncent de la pluie, je prends un parapluie transparent non-pliable (la pluie est rare, mais sévère) et, l’été, j’ai une ombrelle en permanence qui peut faire parapluie au besoin.

A tout ça, il manque une gourde… J’ai une Panda de chez Pylones et j’avoue que j’en ai achetées plusieurs (pour offrir) : en conventions, par exemple, j’aime bien l’idée de la gourde reconnaissable que les potes te ramènent si tu l’oublies quelque part.

Je suis plutôt contente de mon idée (par forcément originale) de la trousse périodique : quand tu es au travail, en soirées chez des ami·es… plutôt que de traverser les pièces/couloirs avec ton tampon serré dans ta main (qui ne sera pas de la bonne taille une fois que tu es sur les toilettes) ou de transporter tout ton sac à main, la trousse est idéale.
Par contre, comme elle est discrète, je peux avoir tendance à l’oublier dans les toilettes d’un resto (et c’est comme ça que j’ai perdu la précédente)…

Missing: The Other Side (2020)

12 épisodes de 59/76 minutes

Les fantômes des morts dont le corps n’a pas été retrouvé vivent dans un petit village perdu en montagne. Lui1 (Soo Go) est… un mec génial. Juste. Pas un génie ni rien, je veux dire, un mec bien qui ne supporte pas l’injustice, vole au secours des autres, n’a peur de rien quand il s’agit d’aider. L’histoire débute par deux évènements : il est témoin de l’enlèvement d’Elle1, la fiancée du Lui2, et il découvre le village / qu’il peut voir les fantômes.

Lui1 va être poursuivi par les ravisseurs d’Elle1, puisqu’il a été le témoin de leur crime, va croiser la route de Lui2, qui est policier.

Pour ce qui est de l’intrigue, puisque c’est un polar, nul besoin d’en dire plus. Il y a deux affaires principales et Lui1, aidé de Lui3, autre personne pouvant voir le village et ses fantômes, peut directement interroger les victimes.

Sur le papier, le sujet est vraiment parfait et j’ai adoré les premiers épisodes. Du polar fantastique, l’idée du village et de ses fantômes est vraiment sympa… mais il y a un petit quelque chose qui cloche. Le début part très fort car Lui1 est poursuivi par les Méchants et manque de mourir plusieurs fois. On se dit qu’il y a quelque chose de magique chez lui… et puis non. Alors que la série n’est pas super longue (seulement 12 épisodes), j’ai eu le sentiment d’un petit essoufflement. Ou, plutôt, moi qui ai l’habitude de dévorer les séries d’un trait, j’ai laissé passer plusieurs jours avant de regarder les deux derniers épisodes.

Parce que la magie, l’originalité… semblent cantonnées au début. Ensuite, les choses se déroulent seulement sans vraiment nous surprendre.

Ne vous méprenez pas : rien que par son cadre, je trouve que cette série vaut la peine. Elle s’essouffle, mais elle ne devient pas nulle. Juste, je me dis, il y avait de quoi faire mieux/plus… mais ça en reste un polar fantastique bien sympa.

Ce billet a également été publié sur la #TribuneVdR.

Daily Dose of Sunshine (2023)

12 épisodes de 50/70 minutes
TW suicide, automutilation

Série toute récente puisque sortie vendredi dernier sur Netflix.
Elle1 (Park Bo-young) est infirmière en hôpital psychiatrique.
C’est tout ?
C’est tout.

Elle1 mute en Psychiatrie à la demande de sa cheffe précédente, qui la trouve « trop gentille », comprendre que, comme elle prend le temps de faire attention à chaque patient·e en situation de sous-effectif, elle est « trop lente ».
Nous voilà donc à suivre le quotidien d’Elle1, of course, mais également de son meilleur ami, Lui1, qui a démissionné de son précédent travail où il gagnait bien sa vie, d’Elle2, sa collègue infirmière, qui semble si froide, de Lui2, chirurgien colorectal qui s’éprend d’Elle1, de Lui3, docteur en psychiatrie épris d’Elle2…
Si des couples se forment, nous ne sommes clairement pas dans la Romance, juste dans le quotidien qui va nous attacher à plusieurs patients en lutte contre la maladie mentale.

Alors… c’est de la fiction : quoiqu’en sous effectif, l’hôpital tourne bien, les médecin·es et les infirmier·es sont tous compétentes et les traitements fonctionnent.
Le monde de l’entreprise qui broie chacun·e est, par exemple, l’un des méchants de l’histoire.
Et si l’un des patients s’est évadé dans les jeux vidéo, les jeux ne sont jamais pointés du doigt, mais bien la pression sociale à trouver du travail dans une société qui n’en a pas pour tout le monde.

N’étant pas concernée, je ne peux pas juger de la pertinence de certaines descriptions, mais j’ai beaucoup aimé la mise en scène du ressenti intérieur de certaines affections et le message global : la maladie mentale est une maladie et il n’y a rien d’honteux à tomber malade, à demander de l’aide.
J’aime bien aussi le choix de la spécialité de Lui2 : les maladies colorectales sont aussi des maladies « comme les autres ».
Si tous les personnages sont attendrissants et l’ensemble plein de bienveillance, je mets seulement un bémol sur Lui2 et Lui3 : les deux médecins sont parfaits. Ils ne se fâcheront jamais, ne prendront jamais de mauvaises décisions, ne feront jamais de mal à personne…

Bref, sous réserve que mon avis est celui d’une personne non informée, j’ai beaucoup aimé cette chronique sur des sujets encore trop tabous.

Obsolescence programmée ou quelle voix pour ta SF ?

Lorsque la revue Bifrost (publiée par le Bélial) est née, y’a beaucoup d’années, j’étais ravie : oh, une revue SF en librairie ! On était en 1996, Internet démarrait à peine, on ne pensait pas encore à des sites d’actu en ligne ou à des blogs…
Je vais même ajouter que, à cette époque, j’étais une jeune femme. Optimiste1. Je pensais que les salaires des femmes et des hommes étaient équivalents et des tas de trucs du même genre.

Et puis il a bien fallu ouvrir les yeux. Si Bifrost était une des rares revues de SF, c’était aussi un boys’ club qui s’imaginait les rois de la montagne. Ce tournant, je le place en 2011.
Pourquoi 2011 ? Parce que c’est cette année-là qu’ils ont publié un torchon sous prétexte de décerner leurs Razzies annuels.
— Ah ah, c’est de l’humour, tu comprends rien !
Je ne me souviens pas de ce que j’en ai dit à l’époque car j’ai perdu pas mal de billets au cours de mes déménagements (webesques) successifs, mais Lucie Chenu a écrit sur le sujet et me mentionne : Razzies 2011 : quand la mauvaise foi se confond avec la diffamation. (Oui, le titre est un bon résumé.)

Au fil du temps, j’ai donc fait plus attention à leurs agressions, qui visaient sans surprise principalement les autrices.
Il y a un an, à l’occasion de son numéro sur Octavia E. Butler, la revue se parait d’une couverture… raciste.
— Pourquoi tu dis que c’est raciste ?
Franchement, je ne suis ni ta mère ni ta prof. Si tu ne vois pas le racisme de l’illustration, je ne peux rien pour toi.

Un an plus tard, same player, same game : couverture sexiste pour Anne Rice.
Luce Basseterre en a parlé sur Facebook et plusieurs autrices se sont jointes à ses remarques.
Prise de conscience de la rédaction ?
Malgré leurs grandes déclarations d’intention qu’ils ont changé, qu’ils sont plus ouverts, que… c’était peu probable qu’ils soient sortis du 20e siècle s’ils étaient OK avec leur racisme en 2022.
Bref, on a eu droit à tous les ouin ouin habituels des mascus dans ce genre de cas.
Et, comme une couverture sexiste ne serait pas complète sans son édito qui craint, le challenge a été relevé.
— Hein ? Quoi ?

ActuSF a annoncé sa liquidation en septembre et j’en ai notamment parlé dans un billet.
On peut très bien penser qu’ils n’ont pas été les meilleurs gestionnaires du monde, ça arrive, ce n’est pas un crime, toujours est-il qu’ils avaient une ouverture que le Bélial n’a pas.
Parce que, bon, le catalogue du Bélial n’est pas super lisible en ligne donc des pépites peuvent se cacher dans les trous de la Toile, mais, majoritairement, leur catalogue, c’est des mecs, des anglosaxons, des noms connus. Je ne dis pas qu’il ne faut pas les publier, mais ce n’est clairement pas l’éditeur qui prend des risques et œuvre pour la SF française2.
Et donc, dans son éditorial, au lieu de se taire, par respect pour le collègue qui a mis la clé sous la porte ou de dire un ou deux mots polis, Olivier Girard, le rédac’chef de Bifrost et éditeur du Bélial, se fout de la gueule de celui qui a osé, de celui qui a ouvert son catalogue.

Alors, en réalité, il a le droit, hein.
Quand tu es toujours debout et que l’autre est à terre, tu peux choisir de te moquer.
D’ailleurs, tu as raison, ça prouve que tes choix sont les bons puisque tu es toujours là.
Ouais… En même temps, quand tu es toujours debout parce que tu ne prends pas de risques, parce que tu restes au siècle précédent, tout en distillant ton venin sur les autres, les femmes et tous ceux qui ne sont pas tes potes, t’es toujours debout, mais ça n’a aucun intérêt pour la majorité qui n’est pas avec toi.

Maintenant, je vais reprendre ce que j’ai dit dans mon billet de septembre : une revue-papier en 2023, ça a du sens ?
Il y a quelques jours, je parlais du prix du livre et autres considérations et Matthias Wiesmann a rebondi avec un billet où il évoque notamment la dinguerie du papier : on produit du papier pour des produits jetables qui encombrent plus qu’ils ne sont lus.

— Ouais, mais Bifrost est une des rares revues de genre et c’est trop cool et ils ont des critiques et…
Réveille-toi !
Il y a plein de sites consacrés à l’actu SFFF et des blogs.
— Oui, mais les critiques de Bifrost, elles sont meilleures parce que…
Bien sûr que non. Il y a de bons chroniqueurs chez Bifrost et des mauvais, comme c’est exactement le cas sur tous les autres sites en ligne et chez les blogueur·ses.
Sauf que si tu n’explores pas ces sites, tu n’en parles pas… tu étouffes l’info et la diffusion.

Alors tu as le droit, hein, d’avoir ton aberration écologique à toi, on a tous de mauvaises pratiques à se reprocher, tu as le droit de te reconnaitre dans une ligne éditoriale tenue par des boomers qui ne sont pas capables d’ouvrir les yeux sur leur racisme/sexisme… mais, si l’on veut promouvoir la SF en France, si l’on veut promouvoir nos auteurices, si l’on veut briller un peu… ils ne seront pas dans la danse.
Et le site d’ActuSF est sans doute bien plus utile que Bifrost.

— Mais, du coup, là, ton billet, c’est plus un coup de gueule qu’une info ! J’ai rien appris !
Ouais… Voilà, c’était samedi soir, moi aussi, je peux avoir des humeurs.

Parce que, tu vois, dans mon précédent billet, j’évoquais le sujet du livre de genre en France et il faut être très réaliste. Il y a peu d’éditeurices SFFF et, pour être pérennes, chacun·e d’elleux ne doit pas publier plus de 25/30 titres par an. Si tu ôtes quelques classiques, des valeurs sures pour faire un peu d’argent, un peu d’auteurices internationales parce que le français ne cause pas super bien anglais, il n’y a quasi aucune place pour de nouvelles plumes et, rapidement, tu vois que les « nouvelles » plumes, ce sont deux/trois personnes qui vont rester « nouvelles » quelques années.
Je ne blâme personne : y’a pas le choix. Dans le système actuel, du livre, capitaliste, on ne peut pas faire mieux.
En parallèle, on a peu de festivals de genre et un public qui ne se renouvelle pas forcément.
— Ouais, t’exagères, on a les Utopiales et…
Vraiment ? UN gros festival à l’échelle d’un pays comme la France, ça suffit ?
Pendant ce temps-là, de grosses conventions geeks représentent l’imaginaire en France : jeux vidéo, mangas, Cosplay…

Alors, on a tous le droit d’être le vieil oncle raciste de Noël, hein…
Le souci, c’est que, pendant qu’on se satisfait de l’obsolescence, on est absent de la réalité.

  1. Tu veux dire naïve… ↩︎
  2. Sérieux, si tu me sors un ou deux titres d’une nana débutante en me disant que, si, ils font le taf, je ne vais pas te suivre ! ↩︎

Du prix du livre, de l’édition d’imaginaire, du JdR et de la CNL…

Hier, l’émission La Science, CQFD recevait Jérôme Vincent (ActuSF), Mireille Rivalland (l’Atalante) et Olivier Girard (le Bélial).
Si ActuSF a fermé ses portes début septembre, Jérôme annonce qu’il y a actuellement l’examen de deux offres de repreneurs et ces trois maisons d’édition sont plus que représentatives de l’édition indépendante en littérature de l’imaginaire.
L’émission, titrée « Littératures de l’Imaginaire : des éditions sur le fil », est plutôt technique car elle parle surtout du métier, des chiffres…

Le fait est assez connu, mais de récentes discussions sur les réseaux m’ont fait douter des idées répandues sur le sujet alors j’ouvre une parenthèse :
En France, nous avons la loi sur le prix unique du livre. Je vous mets le lien vers la fiche sur le site de Service-public.
C’est une spécificité nationale et, concrètement, il en découle que
en tant que lecteurice, peu importe où tu achètes le produit (petite librairie de quartier, grande surface, site en ligne…), le prix sera toujours le même donc tu n’as aucune raison de comparer les prix : tu vois, ça te plait, tu peux acheter… donc tu vas volontiers acheter dans un magasin de quartier ;
la rémunération de l’auteurice est un pourcentage du prix public du livre donc, peu importe où tu l’achètes, lae créateurice est rémunérée de la même façon.
Concrètement, c’est donc une mesure qui permet principalement que les librairies continuent d’exister puisqu’elles restent concurrentielles : la différence, pour l’acheteur·se ne se fait jamais sur le tarif, mais sur les services associés (conseils, accueil, praticité…).

Dans l’émission, les 3 éditeurices abordent la question du retour des livres. Iels expliquent bien le truc donc je ne vais pas m’étendre dessus et, sur la fiche de Service-public, il y a un onglet sur ce point.

Dans le secteur ludique, il y a des boîtes de jeux de société, mais il y a également des livres de jeux de rôle. Ce qui entraine une petite spécificité : les livres de JdR sont des livres, donc sont soumis à cette loi sur le prix unique, mais sont diffusés par des boutiques de jeux et non des librairies.
Pourquoi je vous glisse cette info ici ? Parce que les boutiques et les librairies ne sont pas dans la même chaine économique et je vais vous en reparler un peu plus en détails plus bas, mais, déjà, au niveau des Vagabonds du Rêve, nous avons fait le choix d’avoir un distributeur pour nos jeux, mais pas pour nos livres.

Le Centre National du Livre (CNL) est un organisme d’Etat pour soutenir le livre et la lecture. Si l’on va sur son site et que l’on regarde les domaines littéraires soutenus, on y lit explicitement que les jeux de rôle n’en font pas partie.
La Fédération Française de Jeu de Rôle (FFJdR, dont je suis l’une des administratrices au moment où je rédige ce billet) a décidé de s’attaquer à cette question.
Pourquoi le livre de JdR ne serait pas subventionnable comme n’importe quelle autre création littéraire ?
Ici, je ne vais pas préjuger de la suite. Je pense que c’est un dossier sur le long terme, je ne sais pas s’il aboutira ou non, mais l’essai me semble tout à fait légitime.

Une chose très curieuse s’est produite.
Lorsque la FFJdR a communiqué sur ce projet (qui peut ne pas aboutir, mais qui ne nuit strictement aux intérêts de personne), des gens se sont offusqués :
Leur point de discorde était que, si le JdR devenait subventionnable par le CNL, la politique des retours s’appliqueraient désormais au jeu.
Hein ? WHAT ???
La loi sur le prix unique du livre s’applique déjà aux livres de JdR, la question des retours est en lien avec cette loi et ça n’a absolument rien à voir avec ce que le CNL soutient ou pas.

Le souci actuellement avec la décision du CNL, c’est que cela revient à classer les JdR avec les manuels et autres dictionnaires, comme s’ils rendaient compte de faits et comme si ce n’était pas des œuvres artistiques — alors que c’est ce qu’ils sont.

Mais, du coup, pourquoi les livres de JdR ne sont pas soumis aux retours ?
« Le droit de retour est un usage commercial qui autorise un libraire à renvoyer un livre non vendu. »
C’est un usage commercial, pratiqué par les librairies et les distributeurs qui travaillent avec les librairies — et lié au système particulier de l’office ; je vous mets le lien vers Wikipédia où c’est clairement expliqué.
Ce n’est pas une pratique du secteur ludique. Quand une boutique de jeux achète des jeux, elle achète des jeux de plateau, des boîtes, des cartes… et des livres, donc.

Ensuite… Lors de l’émission, Olivier explique que cette politique des retours est lié à la loi sur le prix unique, que cette loi protège les librairies, mais, comme l’émission en parle, les retours sont un souci structurel de la chaine du livre.

Je vais vous faire un aveu ? Je ne m’étais jamais posé la question.
Comme je ne fais que de la vente ferme avec les Vagabonds (donc pas de retours possibles), je ne suis pas allé regarder le détail des textes sur ce point. C’est ce que je vous précisais plus haut : si nous avions un distributeur pour notre activité Littérature, nous devrions nous soumettre à la politique des retours, ce que nous refusons catégoriquement (pour les raisons financières, éthiques, écologiques…).
Et, ce soir, je découvre :
« Les ouvrages invendus pouvant bénéficier du droit de retour sont les suivants : L’office (service d’envoi aux libraires par les diffuseurs de nouveautés ou de réimpressions), sauf exceptions (livres scolaires par exemple). Ces ouvrages figurent dans la grille d’office, qui indique la quantité voulue par le libraire pour chaque ouvrage.
Le noté (commande supplémentaire d’ouvrages faisant partie de l’office) bénéficie généralement des mêmes conditions que l’office. »
Les retours ne peuvent pas s’appliquer aux commandes « normales », i.e. quand on te contacte pour avoir quelques exemplaires parce qu’un·e client·e a parlé de ton bouquin.
Sauf que, en tant qu’éditrice, souvent, quand une librairie me contacte, elle me demande mes conditions et c’est à moi de lui opposer que nous ne faisons que de la vente ferme alors que… ça ne peut être que le cas !

Sinon, dans les autres points intéressants que j’ai notés, il y a une comparaison qui est faite entre les nécessités des éditeurs indépendants et celles des grands groupes et je vais extraire :

1/ Pour faire face à ce problème de risque d’emballement lié à cette existence des retours, Mireille et Olivier évoquent le fait que, chaque année, iels ne publient qu’un nombre limité (bien défini) de titres. Iels ne font pas de course à la trésorerie.
C’est à la fois sain, mais… impératif, je dirais.

2/ En parallèle avec ce 1/, il apparait que, contrairement aux autres secteurs du livre, la part du chiffre d’affaire liée au fond (en concurrence avec les nouveautés) est plus importante (50 % au lieu de 30 si j’ai bien entendu/retenu).

Je crois que c’est Olivier qui précise que l’édition indépendante doit donc travailler sur des années, voire des décennies, et il cité notamment le succès tardif de Game of Thrones.

Voilà, je vous ai livré ici quelques retours parce que cette émission est intéressante et cela fait également suite aux échanges que j’ai pu avoir à Octogônes, notamment avec des éditeurices et ma casquette FFJdR.

Plus haut, il y a des points techniques (juridiques ?) sur lesquels je peux avoir commis une erreur d’interprétation. Si c’est le cas, n’hésitez pas à me les signaler en commentaires (et j’éditerai au besoin).
Comme ce billet est crossposté sur mon blog et sur la #TribuneVdR, afin de ne pas perdre d’éventuelles discussions, les commentaires ne seront ouverts que sur la Tribune.

Dans le JdR, les illustrations générées par IA popent…

En ce moment, dans le monde du jeu de rôle, on voit fleurir des projets illustrés via des appli-IA.
Je n’ai rien contre l’IA (au sens donné dans ce contexte), a priori, c’est un outil et un outil n’est ni bon ni mauvais par essence. Le souci actuel de ces applis, c’est qu’elles volent le travail d’artistes1. Donc qu’on l’utilise pour un usage perso, genre illustrer sa partie de JdR entre potes, pourquoi pas ? Ou par curiosité…
Mais qu’on l’utilise sciemment pour commercialiser un produit, clairement, on franchit une ligne éthique.

— Oui, mais, moi, j’ai écrit un super JdR et je n’ai pas les moyens de payer un·e illustrateurice et, sans ça, mon projet n’est pas valide…

En fait… il n’y a rien qui va dans cette démarche.
On écrit un jeu de rôle, sachant que c’est un jeu qui va se transmettre à l’oral, via des mots.
En dehors des mots (et des tables de résolutions si besoin), il n’y a rien d’indispensable.

— Oui, mais, sans illustrations qui claquent, personne ne va venir vers mon stand en convention !

Quand on mène un projet, il faut savoir où l’on va.
Si l’objectif est d’écrire un jeu et, une fois qu’il est écrit, de le mettre à disposition du public, il n’y a absolument pas besoin de le faire illustrer. Parce qu’on ne vend pas des illustrations, on vend un matériel écrit (un monde, des idées de scénarios…).
Soit on estime que c’est suffisant, soit on pense qu’on a besoin d’illustrations pour s’immerger, pour compléter le propos… et on se met en quête : d’illustrateurices qui aiment notre jeu et veulent participer à l’aventure, d’un·e éditeurice qui y croit et investit…

Parce que, en vrai, quand on choisit de passer par une appli-IA pour doter son jeu de dessins tout en couleur qui pètent, on ne recherche pas une équipe, des artistes… pour bosser avec nous. On ne recherche pas un·e autre artiste qui va renforcer ou compléter notre propos.
On pense que le jeu ne vaut pas grand chose, on n’y croit pas vraiment et on cherche des visuels pour vendre des visuels aux joueur·ses. Parce que lae joueur·se lambda, iel va être impressionnée, iel va penser que c’est un « beau » produit.
Sauf que ce qu’iel achète, ça n’a rien à voir avec notre jeu.

Récemment, j’ai vu passer une aide de jeu ou monde (je n’ai pas fait attention) où, a priori, il y avait quelques textes et une blinde de visuels générés par IA. Et les joueur·ses étaient contentes parce que ça claquait et la personne productrice se présentait comme autrice-illustratrice de… deux/trois lignes ?

Et vous savez quoi ?
Je ne vais pas lancer de tomates sur ces auteurices qui veulent se croire aussi grosses que le boeuf (parce que, bon, déjà, au prix des tomates, je ne les lance sur personne !). Ce qu’ils font est vide ou ils le perçoivent comme vide.
S’ils n’ont pas assez confiance en leurs textes pour les présenter tels que, s’ils n’y croient pas, pourquoi y croirais-je à leur place ?

Ce qui me gêne, c’est l’attitude du consommateur.
Parce qu’on doit acheter de la nourriture et d’autres trucs indispensables et qu’on ne peut pas toujours consommer éthique, faute de moyens ou d’informations.
Mais, quand on choisit d’alimenter l’égo et le porte-monnaie de fake créateurices, on agit consciemment et pas pour un monde meilleur.

  1. Je précise que je parle ici des Midjourney-like et non d’applis alimentées de manière correcte. ↩︎

Où j’évoque la fermeture d’ActuSF et reparle de JdR Mag

Côté imaginaire, l’actualité de cette semaine, c’est d’abord la fermeture d’ActuSF, mais, également, d’une certaine façon, le lancement d’un financement participatif pour « sauver » JdR Mag. Si j’écris « d’une certaine façon », c’est qu’il est impossible de mettre ces deux news sur un pied d’égalité : la première est importante, je vais parler de la seconde car cela m’inspire quelques réflexions, mais, en vrai, ça n’est pas significatif.

Lundi, ActuSF a annoncé sa liquidation judiciaire sur les réseaux sociaux, notamment sur Facebook. ActuSF, c’était (sensation étrange que d’écrire au passé) à la fois une maison d’édition et un site d’actualités. Jérôme Vincent, son directeur, a communiqué qu’il espérait un repreneur pour la maison d’édition, mais que le site allait continuer quelques mois en essayant de devenir pérenne.

J’ai toujours eu de la sympathie pour l’aventure d’ActuSF car je me sentais proche de ce qu’ils avaient fait : un fanzine puis un site web puis de la micro-édition puis… En gros, des gens de mon âge ayant le même genre d’appétence. Avec des valeurs communes d’inclusivité, de promotion de la nouvelle, de jeunes auteurices, la présence en conventions, etc. (Et en réussi puisqu’iels ont pu maintenir ces activités de façon professionnelle sur plusieurs années.)

Mais, aussi, ActuSF était le principal site d’actualités du genre/milieu et sa disparition (peut-être encore évitable) ne serait donc pas anodine.
J’avais mentionné le fait qu’ils avaient couvert l’éviction de Stéphanie Nicot des Imaginales l’été 2022 quand tant d’autres se taisaient bruyamment.

Je n’ai écouté qu’aujourd’hui l’interview que Jérôme Vincent a donné à C’est plus que de la SF.
Jérôme évoque pas mal de points intéressants (forcément), mais je voudrais appuyer sur l’un d’entre eux.
Il parle de la chaine du livre, du problème économique que posent les retours. Il mentionne la stagnation du marché : le nombre de livres vendus n’a pas augmenté, mais le nombre de titres si. Là où, dans les années 1980, on pouvait imaginer vendre, disons, 50.000 exemplaires d’un titre, on est aujourd’hui heureux si on atteint les 1.000.
Je sais que j’en ai parlé plusieurs fois, je ne sais plus si c’est ici (je ne retrouve pas) ou sur les réseaux.
Je le disais il y a plus de 20 ans, je le répète juste avec plus d’assurance aujourd’hui : la chaine du livre ne marche pas, ne marchait pas et ne peut qu’échouer.
On ne peut pas continuer à s’agiter dans ce modèle. Ca a peut-être encore du sens pour de grosses boites établies, mais ça n’en a pas pour un nouvel ou un petit acteur.

Dans ce même billet de l’été 2022 où je vous parlais des Imaginales, j’évoquais JdR Mag. Ils avaient publié un billet d’humeur catastrophique (mais pas que, ce n’était pas un « cas isolé ») et la suite a montré une gestion catastrophique de la com par le rédacteur en chef qui (sans surprise) a attiré la sympathie des mascus rôlistes.

Jeudi, dans un groupe FB très peu favorable aux courants réac et mascus, JdR Mag a partagé son appel au financement participatif pour… sauver leur magazine, n’hésitant pas à parler de « participer à l’histoire du JdR français ».
Bon, alors… heu…
Plusieurs commentaires sont donc venus leur rappeler que, après l’incident de l’été 2022, il valait mieux, en fait, que leur aventure s’arrête et que l' »histoire rôliste » ne s’en embarrasse plus.
J’ai pu constater que la com (ligne de défense ?) catastrophique du rédacteur en chef n’avait pas changé d’un pouce en plus d’un an, hélas, mais, après avoir écouté Jérôme Vincent, sur un sujet bien plus intéressant, j’ai envie de m’étendre un peu plus.

L’année dernière, donc, face au constat que l’un des rares magazines de JdR était tout bonnement réac, plusieurs personnes se sont dits qu’il était nécessaire d’avoir d’autres médias.
A ce jour, à ma connaissance, aucun projet n’a émergé hormis le très sympathique, mais très spécifique, Rolis Mag.
A ce moment-là, personnellement, ma pensée a été : oui, il faut des médias sur les sujets que l’on veut promouvoir, mais le format papier ne peut pas être la réponse.
Et donc, en écoutant Jérôme Vincent nous parler de la place du livre, de sa « toute petite place », je veux revenir sur ce point : s’il y a si peu de place pour le livre, qui est malgré tout pérenne (tu peux le relire, le prêter, le revendre…), comment peut-on croire qu’il y a une place pour du magazine-papier ?
Même si j’excluais mon antipathie pour JdR Mag qui est à l’opposé des valeurs que je défends, à quel moment pourrais-je saluer et cautionner l’idée de produire du papier pour de l’actualité, papier qui va circuler sur les routes ?

Voilà, comme je le disais en intro à ce billet, deux news sur deux fermetures (l’une actée, l’autre menaçante) à la fois non comparables, mais qui donnent des éclairages particuliers sur notre rapport au papier, aux livres, aux médias…

De la pulsion monogame et de l’étrangeté des fans

Attention, ce billet contient des spoilers sur Lost You Forever.

Dans une romance, A et B s’aiment. C aime A, mais ce n’est pas réciproque. Evidemment, pour la tension narrative, B va le croire (que A aime C), mais ce sera un malentendu.
En bonus, si la romance est voulue particulièrement feel good, C doit trouver l’amour à son tour avant THE END.

J’ai longuement parlé de Lost You Forever dans un premier billet et je suis revenue dessus dans un second.
Tout en ayant vraiment beaucoup aimé et la saison 1 du drama (la saison 2 n’est pas encore dispo) et le roman, je reste sur deux gros reproches.

Mon 1er reproche est la fin inutilement triste et qui qualifie LYF en drame et non en romance.
Même si l’héroïne, XY, finit avec l’un des deux hommes qu’elle aime (TSJ), le second (XL) meurt sans qu’elle sache jamais ce qu’il aura fait pour elle et… il en aura vraiment fait des tonnes : il la ressuscite lorsqu’elle est assassinée la première fois, il lui apprend le tir à l’arc et lui procure un arc supra-génial, il (lister ici plein de choses que j’ai oubliées tellement il y en a)… mais, en plus de tout cela, il sauve la vie de son fiancé !
L’amour nous sécurise parce qu’on éprouve ce que les gens qui nous aiment font pour nous et je trouve ça cruel / inutilement dramatique que XY ignore combien elle a été aimée.
De plus, même si l’amour de XY pour CX n’est pas de « nature romantique », il reste très fort et, franchement, quand, sur 3 hommes que l’héroïne aime, 2 finissent mal, il est difficile de parler d’une happy end.

Si mon 1er reproche est donc personnel, j’en ai un second plus… général.

L’un des intérêts de LYF est l’intrigue polyamoureuse et la mise en scène de plusieurs types d’amour.
Sentimentalement, il y a donc le triangle XY + TSJ / XL, mais il y a également l’amour (ou haine) entre adelphes, l’amour d’un père pour sa fille non-biologique (le Grand Empereur élève XY comme sa fille, d’abord par culpabilité envers son ex-femme, mais il l’aime réellement comme son enfant), etc.
A ce titre, la relation entre XY et son cousin germain CX est très réussie puisque leur amour est à la fois réciproque et non-réciproque : CX aime sa cousine d’un amour romantique (accompagné d’un désir sexuel) alors que XY l’aime comme un frère, mais cet amour fraternel n’est pas moins puissant que ce qu’elle peut ressentir pour TSJ ou XL : quand elle découvre que CX a assassiné TSJ, son fiancé, elle est incapable de se venger.
De plus, on ne saura jamais si XY aurait pu aimer CX autrement : elle ne le voit comme un frère que parce que lui-même ne se déclare que beaucoup trop tard.

— Et, du coup, c’est quoi ton deuxième reproche ?

Je l’ai cité dans mon billet où j’évoque la notion de bad boy.

Tong Hua, l’autrice de LYF, réussit vraiment l’aspect polyamoureux de XY : elle aime TSJ et XL romantiquement pour des raisons très différentes. Quand elle est avec chacun d’eux, elle ne pense pas à l’autre et, quand son grand-père et son père l’interrogent sur ses amours / le mariage, elle cite les deux.
Et les trois hommes qui l’aiment représentent vraiment 3 façons d’aimer :
– XL est le plus dramatique / sacrificiel : il fait tout pour la personne qu’il aime et, comme je l’écrivais plus haut, sauve même son fiancé de la mort pour s’assurer qu’elle soit heureuse ;
– TSJ (le fiancé) est l’amour généreux et patient qui la sécurise et lui apprend à ouvrir son cœur ;
– tandis que CX est l’amour toxique puisqu’il ira jusqu’à tenter d’assassiner1 son rival.

Sauf que… consciemment ou inconsciemment, l’autrice cède à une pulsion monogame :
– XY et XL n’auront que des baisers manqués : quand il veut, elle ne veut pas et, quand elle veut enfin, il ne veut plus…
– comme l’héroïne aime deux hommes, l’un des deux doit mourir.

C’est une idée que l’on retrouve hélas trop souvent quand un personnage en aime sincèrement deux autres. L’un des deux amours est tué.
C’est d’autant plus dommage que Tong Hua a réussi sa description de l’amour : le seul homme possessif est CX et il est éliminé des prétendants. TSJ et XL aiment suffisamment XY pour ne vouloir que son bonheur et, dans cette société décrite comme polygame, XL aurait pu rester un gars qui passe de temps en temps ou, au moins, qui ne meure pas / avoue ses sentiments.

Au final, c’est donc assez frustrant d’apprécier tout du long un polyamour bien traité pour qu’il finisse en queue de poisson.

Mais, donc, comme j’ai apprécié cette histoire, je me suis amusée un peu à trainer sur la Toile, à lire des commentaires de fans et…

On a le droit d’aimer ce qu’on veut.
On peut aimer les romances monogames et, du coup, ne pas aimer LYF et c’est tout à fait légitime.

Mais le gros intérêt narratif de cette histoire repose sur son polyamour (deux des males leads) et sur son amour contrarié (le 3e).
C’est parce que CX aime XY que la principale femme de CX (l’impératrice) veut la tuer.
C’est parce que CX aime XY qu’il veut assassiner son fiancé.
C’est parce que XL aime XY qu’il la sauve quand elle est assassinée une première fois, qu’il empêche qu’elle puisse se suicider, qu’il sauve TSJ.
Sans ces relations amoureuses, il n’y a juste pas d’histoire.
D’ailleurs, CX ne veut accéder au pouvoir que parce qu’il aime à sa façon tordue / toxique XY.

Que des fans se passionnent pour savoir quel male lead doit l’emporter, disons… OK.
Même si j’ai déjà un peu de mal : je préfère forcément XL car c’est le pur héros romantique, mais j’ai pleuré pour les 3. Même CX, qui est un connard, quand il a le cœur brisé, j’ai le cœur brisé. (Bon, y’a quand même pas mal de fans qui partagent mon avis qu’elle devrait finir avec les 3 ! mdr)
Mais il y a des fans qui expliquent qu’ils savent bien que XY n’aime que (mettons) TSJ et n’aime pas vraiment XL et que les fans de XL sont bien bêtes et…
WHAT ???
Quelle histoire ont-ils vue / aimée ?

Si tu ôtes l’amour de XY pour TSJ ou XL, tu n’as juste plus d’histoire.

Alors je sais bien, hein, que de la même façon que l’autrice a cédé à une pulsion monogame au moment de conclure, les fans peuvent avoir le même biais.
Mais leur attrait pour cette histoire m’évoque un peu un amateur de tiramisu qui n’aimerait ni le mascarpone ni le café ni les biscuits et qui serait allergique aux œufs.

En clair, si vous n’aimez que les relations monogames, ne perdez pas votre temps avec LYF.
On peut avoir des tonnes de lecture différentes d’une même œuvre, mais l’héroïne aime vraiment et sincèrement deux hommes.

  1. Je ne sais pas si je dois écrire que CX a tenté d’assassiner TSJ ou l’a assassiné : XL sauve TSJ, mais il disparait quelques années pendant lesquelles XY et CX vont croire qu’il est réellement mort (et agir comme tel). ↩︎

Et si tu te libérais ce week-end ?

24.230 signes

Cela fait bien trois mois qu’il lui a demandé de réserver ce week-end. ‘fin, un week-end de trois jours complets puisqu’il passera la prendre dès vingt heures ce jeudi et qu’il lui a assuré qu’ils seront de retour dimanche dans la soirée. Elle a joué le jeu de la « surprise » et n’a posé aucune question sur leur destination. Elle sait simplement qu’elle n’a pas forcément besoin de sa carte d’identité ou de son passeport : ils resteront en France. Elle peut emporter son smartphone ou un ordinateur, mais il « l’invite à se débrancher du travail », il est préférable qu’elle ait une paire de baskets plutôt que des escarpins, un pull et une veste « bien chaude ». C’était étrange, mais finalement assez amusant de se laisser faire : Sonia, sa secrétaire, n’a pas fait de réservations, n’a rien programmé, a juste reçu la consigne de dégager ces trois jours entiers.
Mercredi soir, comme elle sait qu’elle finira probablement de travailler un peu tard le lendemain, elle prépare ses affaires : un petit sac « de week-end », elle ne veut pas se charger, mais ne souhaite pas non plus se trouver démunie. Les affaires de toilette, c’est toujours le plus simple : elle a tout en double. Elle attrape donc le nécessaire avec un certain automatisme.
C’est devant sa lingerie qu’elle se découvre soudainement embarrassée. Oh, bien évidemment, depuis deux ans qu’ils se… qu’ils se quoi au fait ? Se fréquentent ? Ce n’est pas vraiment le mot qui convient… Qu’ils ?
Depuis deux ans, il a découvert de nombreuses pièces de sa lingerie : des jours où elle était simple parce que telle était son humeur en se levant, des jours où elle était plus élégante ou clairement coquine — drôle d’expression, n’est-ce pas ? Pourquoi parle-t-on de « coquin » quand on fait référence à « sexuel » ? — parce qu’elle avait un rendez-vous un peu « spécial » en fin de journée… mais elle n’a jamais rien mis « pour lui ». Car elle n’a jamais pensé, un matin, en partant de chez elle, qu’ils se verraient ce jour-là. Sonia minute soigneusement son agenda chaque jour et jamais, non vraiment jamais, le nom de Richard n’y est apparu en terme galant. Le directeur du département juridique y est inscrit sous son nom de famille, à l’occasion de réunions et séminaires, d’entrevues et d’exposés.
Mais, à la fin de certaines réunions, certains soirs tard quand ils doivent terminer un dossier… En rêvassant devant son immense tiroir rempli de fines dentelles, Sarah, capitaine d’industrie, réalise que les choses ne se sont jamais faites qu’à son initiative à lui. Non pas qu’elle n’ait jamais eu d’étranges pensées en le croisant dans un couloir ou… mais c’est toujours lui qui donne un tour de clé alors qu’il est venu dans son bureau, c’est toujours lui qui la coince entre deux portes, alors qu’elle gémit plus qu’elle ne proteste…
Non, aucun matin elle ne s’est levée en songeant que, ce jour-là… et, à chaque fois qu’il a pu voir sa lingerie « coquine », elle était destinée à un autre. À qui elle n’avait alors plus le cœur de la montrer.
Elle esquisse un sourire ironique, se morigénant : combien de dîners a-t-elle subi « en vain » parce que, quelques heures plus tôt, ou même parfois quelques minutes, il l’avait serrée sur son bureau et qu’elle avait alors trouvé en comparaison bien fade le rendez-vous programmé ? Elle attrape les trois ensembles les plus indécents de son tiroir. Et trois plus simples parce que l’humeur est une chose bien changeante.
Petite jupe et bas ou jeans ? Elle prend « de tout » car, s’il faut des baskets… Le sac est prêt, elle n’aura qu’à l’attraper demain.
C’est la première fois qu’ils ont « rendez-vous ».

Jeudi soir, c’est pile à vingt heures qu’il lui envoie un texto : Suis garé en bas de chez toi.
Le tutoiement. Ce sont les sextos. Quand il la prend par surprise et lui murmure à l’oreille ce qu’elle ne répéterait jamais même à ses meilleures amies. Quand personne ne peut les surprendre.
Dans les mails qui se transfèrent, dans les réunions, dans les couloirs, Richard Gallois salue toujours fort respectueusement son grand patron, Madame Roberts, dont on sait, de notoriété publique, qu’il ne l’apprécie guère. Parce que, si quelqu’un est bien critique vis-à-vis de la direction, de la politique des ressources humaines — et ne le paie-t-il pas chèrement, lui dont la carrière a été bien plus difficile que n’importe quelle autre ? —, c’est le directeur des affaires juridiques.
La berline noire est garée devant la porte de l’immeuble. Quand Sarah sort, il bondit hors de la voiture pour lui prendre son sac, lui ouvrir la portière. Elle reste quelques secondes surprise, se laisse faire. Il serait donc galant ?
Finalement, elle est vêtue ce soir-là d’une petite robe noire, très courte, qui laissera au conducteur tout le loisir de contempler ses jambes s’il le souhaite. En se préparant, elle s’est rappelée que le regard qu’il porte sur elle, quand personne ne peut le voir, lui est juste affreusement délicieux. Elle se sent déshabillée, convoitée, désirée. Et c’est ce qu’elle aime lire dans ses yeux bleus.
Il lui sourit, s’installe au volant.

En réalité, ils n’ont toujours pas dit un seul mot, pas même « bonsoir » quand ils se sont retrouvés à vingt heures précises. Ils ont esquissé un signe de tête, un début de sourire, mais… se sont-ils jamais parlé ?
Oh, pour le travail, oui, ils échangent des mémos et des instructions, elle donne des ordres, il fait des préconisations. En pleine réunion, il lui a déjà envoyé des textos — « je te prendrai dès qu’ils seront tous partis » — ou lui a glissé dans l’oreille bien des propos tout en la saisissant fermement au détour d’un couloir désert, mais ils ne se sont jamais dit « bonsoir, comment vas-tu ? » ou « tu as passé une bonne journée ? » et n’est-ce pas ce qui conviendrait pour entamer la conversation alors que la route défile derrière les vitres teintées ?
Il regarde devant lui, il conduit, un sourire flotte sur ses lèvres minces. Elle a ôté ses ballerines et s’est assise en tailleur, elle contemple la nuit épaisse, les étoiles.
— J’imagine que je peux demander où nous allons sans gâcher l’effet de surprise maintenant ? finit-elle par dire enfin, pour rompre le silence.
— Oui, bien sûr, répond-il aussitôt. Ma famille a un petit chalet dans les Alpes, tout à fait isolé du monde et de l’agitation. L’endroit idéal pour ne pas parler boulot ou…
Il laisse sa phrase en suspens, comme s’il n’avait plus rien à dire. Elle attend quelques secondes et retente :
— Et, du coup, c’est plutôt un week-end… romantique ?
Romantique. Comme ce mot sonne étrangement dans cet habitable silencieux et douillet.
— Romantique. Ou juste un week-end entre potes, si tu veux, annonce-t-il. Ou… entre amis.

Amis ? Si elle ignore le qualificatif qui peut convenir à leur… relation ? « amis » ne lui semble pas convenir du tout. Ils n’ont rien d’amis…
Tout a commencé il y a deux ans. Dans un couloir, dans un bureau. Elle le connaissait de nom, avait suivi sa carrière et ses prises de position syndicales, radicales. Ils se sont vus. Dès le premier regard ? Voilà qui sonne de façon si convenue et qui n’est autorisé que dans les histoires dégoulinantes de guimauve. Au premier regard, ils ont eu cette même envie, basique, évidente.
En réunion, il a noté qu’elle quittait toujours la pièce en dernier. Une vieille habitude à laquelle elle tient. Et, quoiqu’il n’aurait jamais fait ça en d’autres circonstances, en autre compagnie, comme un défi à ses propres façons, il a glissé un préservatif dans la poche intérieure de ses vestons. Il a attendu une réunion qui se termine trop tard, où tout le monde est pressé de s’en aller, impatient de retrouver son dîner, son lit…
Alors qu’elle rassemblait ses affaires dans sa serviette de cuir noir, il a verrouillé la porte double de la grande salle de conférence et s’est dirigé vers elle. Pas trop vite. Qu’elle ait largement le temps de lui dire « non » ou « mais que faites-vous ? » Qu’elle ait le temps de refuser, de s’indigner.
Il lui a laissé le temps et elle n’a rien dit. Elle l’a laissé venir vers elle et il ne saura jamais s’il a bien lu dans son regard parce qu’il se souvient y avoir vu exactement ce qu’il voulait : la même envie que lui, irrépressible, évidente. Tout proche d’elle, il a attendu encore quelques secondes. N’est-ce pas sa patronne ? Que se passerait-il si elle se sentait offensée ?
Puis leurs langues se sont mêlées, elle a resserré ses jambes autour de sa taille. Il a à peine descendu son pantalon sur ses genoux, attrapé le préservatif placé tout exprès dans sa poche…
Quelques minutes. Confuses. Brouillonnes. Quelques minutes qui resteront à jamais l’un de ses plus jolis souvenirs. Son parfum. La façon dont elle s’accroche à lui, haletante. Sa main dans ses cheveux.
Une confusion étrange et merveilleuse.
Ils se sont rhabillés sans se dire un mot, sans savoir s’ils se sentaient honteux ou ravis. Parce qu’il n’avait jamais caché ses désaccords avec la politique de la direction. Parce qu’elle n’avait jamais nié que, quoiqu’il fasse du bon travail, il lui était notoirement antipathique. Parce qu’ils savaient tous deux qu’ils n’avaient pas la moindre intention de raconter cet incident à qui que ce soit.
Quelques jours sont passés, elle a fait semblant d’oublier. Comme souvent, elle est partie un soir tard et il était à l’ascenseur en même temps qu’elle. Elle a compris qu’il l’avait attendue, elle l’a laissé appeler l’ascenseur. Contre un mur, dans les sous-sols du garage, à une heure où personne n’aurait pu les surprendre.
Sarah fouille sa mémoire, mais aucun de « leurs moments » ne lui semblent convenir pour ce qui désigne d’ordinaire une amitié.

Alors qu’elle rêvasse en passant en revue leur drôle d’histoire, il profite que l’autoroute est dégagée pour lui poser la main sur le genou. Elle se tourne vers lui et sourit même s’il ne peut la voir que du coin de l’œil. Elle se réinstalle pour que la large main passe du genou à l’intérieur de ses cuisses et il joue le jeu, glissant les doigts un peu plus loin.
Ça n’est évidemment pas du tout prudent, mais il garde les yeux sur la route. Et qui n’a jamais fait ce genre de bêtise ? Il ne la caresse que quelques secondes puis repose les deux mains sur le volant. Il est plus que temps de rompre ce silence qui n’incite qu’au seul langage qu’ils connaissent dans l’intimité.
Il raconte un peu le chalet, pourquoi ses parents l’ont acheté sur un coup de cœur. Les Noëls sous la neige. Les nièces et neveux bruyants. Que son frère a eu la gentillesse de leur faire les courses pour les trois jours qu’ils vont y passer.
Ça n’est pas encore très personnel, mais c’est une première étape : l’autre aussi a une vie, une famille…
De Sarah, Richard sait déjà qu’elle est orpheline. C’est écrit sur sa page Wikipédia, dans les raisons pour lesquelles elle s’est retrouvée très jeune à la tête d’un empire. Mais c’est également écrit dans des magazines et journaux, en légende de photos d’elle avec ses chevaux, ses maisons de campagne ou sa dernière voiture de sport. Ou son dernier fiancé.
Bon, la conversation est définitivement très convenue, mais c’est une conversation.

Richard gare la voiture sur un chemin, devant un magnifique chalet bien plus grand que ce à quoi la jeune femme s’attendait tout au long du trajet. La large bâtisse de bois et de pierre est entourée de fleurs, d’arbres bien taillés, pour ce que les phares acceptent de laisser deviner.
Comme le moteur est coupé, elle lui rend enfin sa caresse. Elle glisse sa main entre ses cuisses, il la regarde et sourit.
— Je te fais visiter et on monte nos affaires ?
La déco joue à fond son côté « chalet dans les Alpes ». Bois, larges baies vitrées. Dans l’immense séjour, des poufs et des sofas aux couleurs improbables se disputent l’espace. La cuisine américaine prend tout un coin et le reste du rez-de-chaussée est occupé par deux salles de bain. Cinq chambres à l’étage, le petit chalet familial a quand même un certain goût du luxe. Il lui montre « leur » chambre où son frère a pris le temps de mettre des draps propres et une couette bien épaisse.
Il est très tard, ils n’ont pas dîné. Il hésite quelques secondes, mais elle recule d’un pas et se colle contre lui. Ils ne sont jamais restés ensemble si longtemps tous les deux sans…

En deux ans, c’est la première fois qu’ils sont allongés là, dans un lit, sans se rhabiller en vitesse parce que quelqu’un pourrait frapper à la porte du bureau ou débarquer pour une raison ou pour une autre. Sur le dos, ils regardent le plafond sans le voir.
— Tu as faim ? Je prépare à dîner ? demande-t-il.
— Un dîner romantique à la fin duquel on s’embrasse et on fait l’amour avec des préliminaires ?
Tiens, ce mot aussi, « préliminaires », que peut-il bien vouloir dire ? Elle l’utilise par convention, parce que c’est ce que les gens disent, mais pourquoi il y aurait du sexe qui porte un autre nom, un peu comme ces salades composées dont on vous dit qu’elles sont des « entrées » alors qu’elles ne seront suivies d’aucun autre plat ?
— Ou on peut se peloter devant un film d’horreur. On peut faire tout ce qu’on veut, on a trois jours avec tout sur place, loin du travail, sans besoin de sortir.
— Ce soir, je veux que tu me roules une pelle à la fin du dîner en me disant que cela fait longtemps que tu as envie de coucher avec moi, lâche-t-elle après quelques secondes.
— Cela fait longtemps que j’ai envie de coucher avec toi, mais je te le redirai au dessert.

Pour cette première soirée, finalement, la conversation a du mal à se rôder, c’est un peu trop nouveau pour eux. Alors ils ont vite mangé avant de retourner au seul langage qu’ils maitrisent vraiment entre eux, puis se sont pelotés devant un film d’horreur avant de s’endormir, épuisés, par la journée de travail, la route, le fait qu’il soit finalement vraiment très tard…
Au petit matin, quand le soleil les surprend derrière les baies vitrées, il la réveille pour qu’ils finissent leur nuit dans un bon lit moelleux, sous la couette. Toute ensommeillée, elle se blottit dans ses bras et, il ne sait pas pourquoi, il est ému.

Il la secoue doucement.
— Il est quelle heure ? demande-t-elle sans ouvrir les yeux.
— Onze heures.
Elle sursaute :
— Je n’ai jamais dormi aussi tard !
— Tu ne fais jamais la grasse matinée ?
— Non, répond-elle, étonnée, comme si c’était là la chose la plus incongrue du monde.
— Tu aimes prendre ta douche toute seule ou tu as envie qu’on te frotte le dos ?
Il n’a jamais fait preuve de tendresse avec elle. Il a toujours été plutôt… entreprenant, rapide… et ils n’ont jamais eu vraiment de temps à eux. Mais ça n’est pas vraiment lui. Oh, évidemment, il n’est pas amoureux d’elle, rien d’aussi naïf, ils ne se connaissent même pas vraiment, mais il souhaite être lui-même. Un lui-même qui a envie de lui frotter le dos, de lui sourire et de la regarder manger ce qu’il cuisine.
Son petit diable intérieur se rebelle et le trouve bien attentionné devant une grande patronne dont il ne partage pas les méthodes et les attentes. Mais il n’en a que faire. À vrai dire, il la trouve si jolie…
— Je n’ai pas l’habitude qu’on me frotte le dos…

Distraitement, elle passe le doigt le long de la rangée de DVD. La bibliothèque est pleine de films, c’est assez bluffant : des films familiaux pour les soirs de Noël, des comédies romantiques, des films d’action, des classiques, de l’horreur…
— Y’a de quoi faire, remarque-t-elle pour manifester sa surprise.
— Pas de câble, faut s’occuper, répond-il amusé.
— Qui entretient cet endroit ?
Elle songe à la bibliothèque devant ses yeux, évidemment, mais aussi aux autres rangées de bandes dessinées, de polars, de Bibliothèque Verte… aux fleurs soignées sur le devant de la maison, aux placards de la cuisine pleins de conserves en tout genre…
— Mon frère est très famille et, depuis qu’il a divorcé, il s’ennuie beaucoup les week-ends sans mômes.
— Ce n’est pas en s’enfermant dans un chalet perdu qu’il va retrouver quelqu’un ? s’étonne Sarah.
— Je ne crois pas qu’il veuille trouver quelqu’un.

Films, livres…
— Alors ça marche comment ? On se dit nos œuvres préférées et on en déduit si on est amis ou non ?
La question de la jeune femme peut sembler naïve, mais ne faut-il pas que l’un des deux la pose ? Elle a compris le sens de ce week-end très isolé : il lui montre une facette charmante, sans la pression du travail, sans la pression de l’extérieur. Il sait cuisiner, il peut lui frotter le dos sous la douche — et pas que le dos. Essaie-t-il de la séduire ?
Elle n’arrive pas à savoir si elle se sent flattée, tentée ou inquiète. Après tout, en deux ans, ils n’ont jamais rien eu à se dire, pourquoi cela changerait ? S’il découvre qu’il ne l’apprécie pas, pourquoi continuerait-il à débarquer dans son bureau et à la prendre à l’improviste ? Pourquoi risquer de changer ça ?
Elle aime savoir que, peut-être dans une minute, une heure ou un jour, il va brusquement être là, la coincer contre un mur, un bureau, une porte qu’il vient de refermer… Qu’il va soulever sa jupe trop étroite, qu’il va glisser sa main entre ses cuisses, qu’elle va faire semblant de protester tandis qu’il… Comme cette fois où elle recevait à dîner et qu’il est passé lui porter un dossier. Elle a demandé à ses invités, à ses amis, de l’excuser, lui a ouvert, l’a regardé. Et, alors que, quelques secondes plus tôt, elle écoutait des banalités politiques autour de la table de sa salle à manger, en le regardant, elle a eu juste envie… Elle est retournée auprès de la compagnie, s’est excusée qu’il lui fallait voir, avec son collaborateur, un document sur l’ordinateur du bureau. Puis elle lui a fait signe de la suivre.
Quelques minutes, le temps qu’il lui aurait fallu pour échanger avec un collègue. Quelques minutes de plaisir pur, sans discussion inutile, sans échange social vide de sens. Offerte. Où, un instant, elle a pensé que c’était une position bien étrange pour occuper un bureau. Où elle a retenu ses gémissements de peur qu’un invité ne l’entende. Où elle a trouvé extrêmement délicieux d’être dérangée.

— Et si nous n’aimons pas les mêmes films ? Si nos idées politiques sont à l’opposé ? Si…
— Et si l’on décidait plutôt que nous sommes amis et que, si nous divergeons sur un point ou des milliers, ce sera une bonne occasion de devenir tolérant aux défauts de l’autre ? réplique-t-il en la regardant droit dans les yeux.
— Je n’ai jamais eu d’amis… de cette façon, se défend-elle, gênée, rougissant probablement.
— Je n’ai jamais baisé mes patrons.

Elle n’a pas beaucoup d’amis. Elle ne sait pas bien si c’est sa nature ou non, mais son agenda est si plein que, le peu de fois où elle a du temps « pour elle toute seule », elle veut en profiter au maximum. Elle a toujours travaillé. Enfant. Puis quand ses parents sont morts et qu’elle s’est retrouvée à la tête de leur fortune, de leur empire. Elle ne prend pas réellement de vacances, mais elle est souvent sollicitée pour un séjour chez un partenaire commercial, un séminaire…
— C’est la première fois que tu pars en week-end ?
— On dirait…
Elle reste songeuse un moment avec cette idée.

Il est assez social, plutôt fêtard. Il aime les soirées entre potes et les soirées tout seul devant un bon film. Depuis deux ans, les quelques fois où il a commencé à draguer une fille rigolote ou mignonne, il n’est jamais allé jusqu’au bout. Il se tait quand il réalise ce qu’il va dire. Depuis deux ans, quand il a envie de baiser, c’est elle qu’il vient voir.
Il lui jette un bref coup d’œil et se rassure : elle n’a pas compris. Elle est sur la défensive depuis le vendredi après-midi. La soirée du jeudi, quand ils sont arrivés, claqués, a été juste géniale, mais, au fil des heures, elle a commencé à craindre qu’il ne veuille la séduire et, depuis, elle se sent menacée. Du coup, elle est surtout concentrée sur ce qu’elle dit, elle, effrayée de risquer de se livrer, de se dévoiler, et elle ne note pas ses faux-pas, quand il parle trop…
Elle ne veut pas d’un nième fiancé pour la couverture du prochain magazine qui viendra l’interviewer sur son étonnante réussite. Elle ne veut pas s’afficher avec l’un de ses employés, issu d’un milieu modeste, qui boit des bières le samedi soir avec d’autres cadres un peu aisés.

— Tu veux épouser une femme riche ?
À force que la pression monte, ça sort tout seul, comme une évidence. La nuit est tombée, mais il est encore tôt ce samedi. Ils ont été marcher au grand air, sont revenus affamés.
— T’ai-je jamais demandé une faveur parce qu’on couchait ensemble ? As-tu jamais favorisé ma carrière ? Il me semble qu’on sait tous les deux que tu m’as plutôt mis des bâtons dans les roues… non ?
Sarah se mord la lèvre. Oui, elle n’a pas toujours été très correcte avec lui, mais elle ne pourrait pas dire, honnêtement, si elle s’est vengée de l’attitude rebelle de l’employé ou si elle a tellement craint de faire du favoritisme qu’elle a péché dans l’autre sens.
— Tu n’es pas obligée de prendre mon amitié, tu sais ? Tu n’es obligée de rien. Je trouve que c’est agréable de regarder un film avec toi, de me balader… mais il n’y a aucune obligation.
Il n’est pas en colère, il est juste un peu déçu, peut-être même triste, mais le mot semble bien fort. Après tout, ils ne se connaissent que depuis, quoi, deux jours ?
Pour lui laisser de l’espace, il va dans la cuisine : ils ont faim, il faut bien qu’ils mangent. Elle reste plantée là, dans le séjour, le regarde s’affairer. Les minutes passent puis elle le rejoint.
— C’est trop compliqué, déclare-t-elle pour se donner une contenance.
— Ça n’est pas grave. Tu as envie de quoi ?
— Pour la vie ?
— Non, là, tout de suite. Pour le dîner. Un dessert ? Du vin ?
— Tout de suite, tu veux bien me baiser avant de t’apercevoir que tu ne me veux pas comme amie ?
Il la regarde, étonné. Quelque chose a changé. Elle a employé « baiser », mais il a entendu « me faire l’amour avec tendresse ». Oui. Il s’approche d’elle et l’embrasse. Doucement. Tendrement.
Oui, elle a demandé avec tendresse. Il l’embrasse, il la déshabille lentement. Pour la première fois, quand il la pénètre, elle n’a pas juste la jupe relevée et le chemiser ouvert. Elle est nue et il a pris le temps de la découvrir.

Ils sont blottis l’un contre l’autre, sur l’un des grands divans, nus sous une couverture épaisse. Il se sent bien, mais il a faim. Il ne sait pas trop la sensation qui l’emporte, mais il a décidé de ne pas bouger tant qu’elle ne lui demandait pas. Sa respiration est régulière, il réalise qu’elle est endormie et, bientôt, il s’endort lui aussi.

Ce soir, il la ramène chez elle et, demain matin, ils reprennent le chemin du boulot. Si de grandes déclarations doivent être faites, c’est maintenant.
— Je ne sais même pas si tu veux des enfants ! Et je ne veux pas me marier ! Je ne veux même pas te présenter à mes amis !
Il lui sourit :
— Quelle différence ça fait avec les deux dernières années ?

La berline noire se gare le long du trottoir, juste devant la porte de son immeuble. Ils ont été incapables de parler tout le long du trajet. Il est temps qu’elle rentre chez elle, le délai est écoulé.
— Je ne veux pas que ça change. Tu vas découvrir que je ne t’aime pas et tu ne voudras plus me faire l’amour…
— Parce que tu m’aimais jusqu’à présent ?
Il plonge ses yeux bleus dans les siens et elle ne sait que répondre.
— Tu vas découvrir que tu ne m’aimes pas et…
— … et il y a des milliers de raisons que j’arrête de te baiser, je suis peut-être atteint d’une maladie incurable qui va me rendre impuissant dans les prochaines heures. Ou tu vas rencontrer l’homme ou la femme de ta vie et ne plus vouloir que je t’approche. Ou alors, demain midi, à ta pause déjeuner, je passerai à ton bureau et te ferai l’amour. Tu n’auras pas le temps de manger et tu feras de l’hypoglycémie dans l’après-midi.
Surprise, elle rit.
— Aucune relation n’est écrite demain. J’ai passé un excellent week-end. Et je vais m’endormir comme un bébé en me repassant avec délice les images les plus érotiques de ces derniers jours.
Il lui pose un baiser sur la joue.
— Je ne veux pas t’épouser. Tu es une sale capitaliste. Ça m’excite juste de baiser le grand capital. Ou la plus jolie fille que je connaisse.

Alors qu’elle pose ses affaires dans l’entrée, son téléphone bipe : Et ça recommence à la première pause de quelques minutes que ta secrétaire aura oubliée dans ton agenda.
Elle ne sait pas pourquoi, mais elle sourit.

Le bad boy est-il un homme toxique ?

Si la fiction peut éclairer le réel, si la fiction peut souvent avoir pour objectif de nous en parler, à sa façon, elle ne le décrit pas de manière réaliste et fidèle. Le premier exemple tout bête est que les personnages ne vont pas aux toilettes, sauf si cela sert l’histoire (les ralentit, les piège, ouvre un rebondissement).
Dans une romance, on peut faire une demande en mariage en public et tout le monde de s’émouvoir et d’applaudir. Alors que, dans la réalité, c’est un truc ultra-cringe puisque la personne sollicitée ne pourrait alors pas refuser sans être embarrassée devant des tas de témoins. Ce qui ne signifie pas qu’il ne faut plus utiliser ce genre de scènes en fiction, mais bien que cela ne doit juste pas être reproduit dans la réalité. De même que Superman vole, mais c’est un ET.
D’ailleurs, le genre de la romance a ceci de particulier qu’on aurait tendance à le comparer à la réalité, ce qu’on ne ferait pas pour une histoire d’Horreur ou de Super-Héros. Or la romance est une fiction comme les autres.

Mercredi, je vous parlais du drama Lost You Forever (attention, je vais spoiler aussi dans ce billet) et je suis en train de lire le roman (traduit en anglais du chinois par un amateur). Etant donné les conditions de traduction, je n’en jugerai pas le style, mais le drama semble fidèle au roman où je retrouve le sens du timing / de la narration qui en fait une œuvre parfaitement addictive (dans le bon sens du terme).
Hier, par hasard, je tombe sur une vidéo (de la toute nouvelle chaine Décalée) qui parle / décrypte le personnage de Xiang Liu, le démon à 9 têtes.
Et je vous laisse la regarder :

Si je ne rejoins juste pas le propos sur l’idée que le démon n’est qu’un personnage secondaire (mais, bon, la question de qu’est-ce qu’un personnage secondaire mériterait, à mon sens, un billet dédié), elle rappelle que le personnage du bad boy (démon tentateur) n’est pas et n’a pas à être réaliste. C’est un fantasme dans un monde de fantasy.

Petit retour en arrière :

Dans la série culte Buffy contre les vampires (que j’ai adorée et revue plusieurs fois), le premier rapport sexuel entre Buffy, l’héroïne, et Spike, le bad boy, a lieu après un combat assez impressionnant (ils font s’effondrer une maison autour d’eux). La scène est à la fois violente et… érotique.
Si la violence ne serait pas du tout acceptable dans d’autres circonstances, elle est ici partie du récit car les deux protagonistes sont… deux forts guerriers, des Super-Héros. Buffy et Spike sont à peu près de force / puissance équivalentes et il n’y a donc aucun rapport de dominant / dominé, mais juste une pulsion sexuelle qui nait lors d’un affrontement (ou quelque chose comme ça).

Récemment, j’ai eu l’occasion de revoir Blade Runner, la version finale que je ne pense pas avoir vu auparavant, sur grand écran. J’aime ce film pour des tas de raisons, notamment l’esthétique cyberpunk et il y a des scènes assez violentes (combats) en lien avec la narration. Elles ne m’ont donc pas dérangée alors que la scène d’amour entre Deckard et Rachel m’a dégoûtée.
Je ne pense pas que cela m’avait fait cette impression les premières fois.
A l’époque, la consentement de la femme n’existait tout simplement pas. C’était ainsi dans la société et cette réalité sociale baignait la fiction.
(Et je ne m’aventurerais pas sur le chemin « Oui, mais, quand même, à l’époque, y’avaient des mecs instruits qui avaient conscience de ce que c’était le consentement » car, encore aujourd’hui, ce n’est pas une notion qui semble si évidente pour tout le monde…)

Bref, si la scène dans Blade Runner me fait horreur car, clairement, un homme plus fort abuse d’une femme, la scène dans Buffy reste érotique car elle n’a jamais été basée sur l’abus d’un plus faible, mais sur la dimension épique de la rencontre entre deux guerriers.

Vous voyez où je veux en venir ?
Spike incarne le bad boy alors que Deckard est un homme toxique « ordinaire » (dans une scène qui se veut romantique).

Lost You Forever fait couler beaucoup d’encre numérique et, dans les commentaires, deux teams s’affrontent : Xiang Liu vs Tu Shan Jing.
Si Xiang Liu incarne le bad boy, Tu Shan Jing représente l’homme amoureux, fidèle et dévoué. C’est d’ailleurs lui qui finira avec l’héroïne car il incarne la sécurité.
Narrativement, ce choix est tout à fait cohérent : c’est expliqué plusieurs fois, ce que Xiao Yao recherche dans une relation de couple. Elle le propose même à Xiang Liu : s’il abandonne tout pour elle, elle part avec lui.

(J’ouvre ici une parenthèse :
La fin choisie par l’autrice obéit à une pulsion monogame. Pour que l’héroïne devienne monogame, l’un des deux prétendants doit mourir.
Je n’ai pas fini la lecture du roman, donc je n’affirme pas à 100 %, mais je ne crois pas qu’elle soit amoureuse du 3e homme — son cousin qu’elle voit comme un frère. Elle est néanmoins clairement polyamoureuse de deux hommes qui ne se ressemblent pas du tout. Et, d’ailleurs, le traitement de ce polyamour me semble satisfaisant.
Dans un monde où les nobles peuvent avoir une épouse et des concubines, il n’était pas impossible qu’une princesse épouse le plus noble des deux (Jing), mais prenne en concubin le second — puisque le démon a une autre identité, celle d’un noble qui lui a laissée.
Si cette happy end avait été choisie, nous aurions là une belle romance polyamoureuse plutôt qu’un drame un poil excessif et je ne peux pas cacher ma déception sur ce point.)

La question n’est donc pas vraiment qui, nous, spectateurs, préférons puisque Xiang Liu a clairement tous les atouts pour lui, mais bien que Xiao Yao a balisé ses attentes très clairement.
Or les fans s’affrontent autour d’arguments « du réel » : ceux qui préfèrent Jing disqualifient Xiang Liu car c’est un… bad boy.
Souhaiterions-nous une relation toxique à l’une de nos amies ?

Pause.
Xiao Yao n’est pas une de nos amies. C’est une princesse, une divinité, dont le sang peut guérir un démon. Ce n’est pas une personne réelle, mais le pivot central d’un drame.
Quand elle chute d’un arbre, ce n’est pas une humaine qui chute, mais une divinité.
Xiang Liu incarne le bad boy. Complètement.
C’est un démon, il est beau, il est puissant, mais aussi délicat et élégant. Il a les attributs du vampire (il va sucer le sang de l’héroïne pour se soigner). C’est moins explicite dans le drama, mais tout a fait dit dans le roman : Xiao Yao ressent, lorsqu’il boit son sang, une excitation (sexuelle), elle se laisse faire, elle n’est pas effrayée.

Que ce soit Spike (dans Buffy) ou Xiang Liu, si, au début, leurs motivations sont assez égoïstes, au fil du récit, leur amour passionnel prend le dessus et ils vont se sacrifier pour l’héroïne.
Le bad boy en fiction n’est pas l’homme toxique de la réalité. Il ne le représente pas. Il n’a aucun lien avec lui donc il n’a pas pour objectif de nous mettre en garde.

Hélas, dans la réalité, l’homme toxique est sordide. Il ne va pas changer par amour, il n’aime pas. Sa « partenaire » est sa victime — pas son amoureuse ! — qu’il va isoler, dénigrer, violenter. L’objectif de ce billet n’est pas de s’étendre sur ce phénomène, fort bien documenté par ailleurs, mais de remettre l’église au centre du village : le personnage-type du bad boy ne représente pas et ne doit pas représenter l’homme toxique.
L’homme toxique (inspiré de la réalité) est un méchant en fiction : un criminel que l’on va arrêter, un ex-petit-ami qui menace l’héroïne ou l’une de ses amies, un patron abusif…
Le bad boy n’est pas l’un des méchants : comme l’explique la vidéo que je vous ai linkée plus haut, il est là pour réveiller des choses (pouvoirs, sexualité…) chez l’héroïne. Il est souvent sympathique ou drôle, il est very very hot, il va changer en bien, il va souvent résoudre une situation grave (Spike permet de gagner le combat final, Xiang Lu va sauver l’héroïne de la mort).

— Mais où veux-tu en venir ?

Il y a une critique des bads boys qui seraient un mauvais exemple pour la jeunesse et les femmes. Cela les inciterait à aimer des hommes toxiques en se persuadant qu’ils vont changer par amour.
Je n’ai pas lu 50 nuances de bidule et 365 jenesaisquoi et je vais être honnête : je n’ai pas le courage de me les infliger, mais, du coup, ce que je dis est peut-être erroné. De ce que j’en ai compris, ces romans mettent en scène des hommes toxiques (manipulateurs, harceleurs) et c’est un souci qu’ils soient donc les héros et pas les méchants qui se font punir à la fin.
Attention, je ne dis pas qu’on n’a pas le droit d’écrire des histoires glauques. Seulement, si l’on écrit une histoire où un méchant n’est pas puni, mais récompensé, on ne peut pas vendre ça sous l’étiquette Romance, il doit y avoir un avertissement de sécurité ou une catégorisation sans ambiguïté.
Mais ces hommes toxiques ne rentrent pas dans l’archétype du bad boy : le bad boy est un amoureux sincère qui va changer par amour. De même qu’il amène l’héroïne à l’âge adulte, l’héroïne lui permet de devenir mature / responsable dans ses relations affectives.

Parce que, quand je lis que Xiang Liu ne doit pas finir avec l’héroïne parce que leur relation est toxique, j’ai envie de hurler : leur relation n’est pas « toxique », leur relation est épique. C’est un gigantesque monstre marin à neuf têtes !!!
Il y a d’ailleurs une réplique où Xiao Yao lui dit qu’il n’est un monstre que parce que la norme est d’avoir une seule tête, mais qu’elle serait elle un monstre si la norme était d’en avoir 9.
S’il la fait fouetter au début de l’histoire car il est un général rebelle et il pense qu’elle est une espionne, une fois qu’il sera amoureux d’elle, il ne s’en prendra jamais à elle et n’outrepassera jamais son consentement.

— Mais, attends, Cenlivane, j’ai une question : c’est toi qui distingues le bad boy de l’homme toxique, qui te dit que tu ne fais pas un contresens sur le premier terme ?

Peu importe. Si bad boy n’est pas le terme approprié, je n’ai pas de souci à ce qu’on m’apprenne le bon.
Si bad boy désigne bien Xiang Liu ou Spike, c’est qu’il n’est pas synonyme d’homme toxique et, s’il est synonyme, on ne peut pas leur mettre cette étiquette.

(A noter que je reparle de Lost You Forever dans un 3e billet.)