Le Syndrome de la Fenêtre

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Le syndrome de la fenêtre faisait des ravages dans la fonpub… On ne comptait plus le nombre de fonx qui s’étaient enlisés dans la maladie sans espoir de retour. Par la fenêtre, X regardait travailler les ouvriers. Il était fasciné par le mouvement des deux truelles, l’une posant la colle, l’autre la lissant, l’une posant la colle, l’autre la lissant…

Il était fonx depuis nombre d’années. Il travaillait dans un bureau vaguement gris, assez primitif quoique déjà moderne pour l’époque, mais la fonpub était alors loin de ce qu’elle est devenue, avec ses services hautement fonctionnels si remarquablement équipés.
Les fonx qui y vivaient étaient quasi coupés du reste du monde. Ils étaient d’ailleurs triés sur le volet par le biais de concours où ils devaient faire preuve d’un maximum de connaissances dans l’ensemble des divers domaines où ils n’auraient pas à exercer : Ceci laissant heureusement présager de leur aptitude à conserver une vie normale.
La formule était d’autant plus nécessaire que la presque totalité des citoyens éprouvait une hostilité déraisonnable à l’égard des fonx. Hostilité, il faut bien le dire, soigneusement entretenue par les gouvernants de l’époque.
Le fonx réussissait ainsi le double tour de force d’apaiser la rumeur publique, tel un bouc émissaire, tout en accomplissant son devoir d’état pour une rémunération de principe.

Dans la sphère où il travaillait, X ne voyait pratiquement jamais les grands pontes. Il travaillait sous les ordres d’un chef de service, lui‑même placé sous les ordres d’un dir. Les dirs étaient généralement aussi incompétents que prétentieux et celui de X ne faisait pas exception, un gros homme adipeux et déplaisant.
Les chefs directs, eux, étaient pratiquement répartis en deux groupes : les moshs et les N.U.L.S. auxquels s’ajoutait une poignée d’utops, ceux‑ci faisant l’objet d’un ostracisme marqué tant de la part des dirs que de leurs propres collègues.
Restaient les fonx de base : Indifs, R.A.S. et, là encore, quelques utops cachés, leur découverte entraînant impitoyablement leur élimination.
Ainsi, X était-il un fonx… un fonx doublé d’un utop, du moins un utop en puissance…

Et X regardait par la fenêtre, loin de son bureau, loin de ses collègues, absorbé jusqu’à la vacuité par le travail méticuleux des deux ouvriers.

Il était si totalement absorbé que le temps s’écoulait sans qu’il y prit garde. Il fut tout surpris lorsque ses collègues le tirèrent de sa torpeur en lui disant bonsoir et il les suivit comme un automate.
Lorsqu’il revint le lendemain, ses yeux se tournèrent d’eux-mêmes vers la fenêtre.

Le chantier avançait peu à peu. Une de ces bâtisses immenses et prestigieuses telles qu’on les concevait alors, destinée à flatter le prestige de quelques-uns, quoique financée par l’ensemble des citoyens, et d’une utilisation obscure à tous. Tout au moins dans l’état actuel de nos connaissances. Il semble cependant qu’à l’époque même où elles furent conçues, leur usage précis soit resté assez flou.

De même, la fascination ressentie par X ne nous apparaît pas comme clairement motivée mais il semble que son esprit fut peu à peu absorbé par la construction au point qu’il se vidât de toute substance.
Ses yeux finirent par refléter le chantier qui avançait toujours jusqu’à son achèvement et, lorsque fut posée la dernière pierre, donné le dernier coup de truelle, ses yeux devinrent deux miroirs vides.
L’esprit de X s’était fondu au bâtiment neuf.

X était le dernier utop de son temps… et il avait définitivement sombré dans le syndrome de la fenêtre…

Il n’y eut plus pour lui ni d’arbres, ni de ciel, ni de rires et, chaque jour qu’il vécut, il gagna son bureau avec ce même regard vide.

***

On estime de nos jours que certains des malades retrouvaient hors de leurs bureaux un semblant de vie. On est même allé jusqu’à prétendre qu’à la fin de leurs vies, éloignés de la fonpub, quelques-uns parvinrent à la guérison. Mais les avis sont partagés et l’on ne saurait présenter comme une certitude ce qui n’est, à tout prendre, qu’une hypothèse assez hardie.
Il est cependant admis comme certain que les mécanismes qui régissaient alors la fonpub étaient tels qu’ils résorbaient totalement la moindre tentative spirituelle chez les fonx.
Les professeurs Y et Z penchent toutefois vers l’idée d’une automutilation des fonx créateurs au profit de leur entreprise. Ils se basent en cela sur les découvertes les plus récentes puisque, contrairement à ce qui était communément admis, il semble que certains fonx aient échappé au syndrome.


Quoi qu’il en soit, les temps ont bien changé. Les fonx d’aujourd’hui sont recrutés selon les tests psycho-scientifiques les plus pointus et la moindre trace d’imagination les fait impitoyablement rejeter.
Et pourtant… et pourtant… il semble que cette malédiction de la fenêtre ait eu dans la fonpub une résonance dont les échos ne sont pas encore apaisés. La maladie y demeure, en effet, à l’état endémique.

Aussi, ne l’oubliez pas lorsque vous aurez affaire à la fonpub : Soyez patients avec le fonx qui traitera votre dossier, c’est peut-être un malade, bien que non contagieux.
Vous vous en apercevrez aisément : Le fonx malade n’a pas cette indifférence agressive et hautaine qui caractérise ses congénères. Ses yeux sont simplement absents et, pour peu que vous souriiez, il deviendra tout à fait aimable. Avec encore un peu de soins, peut-être l’éveillerez-vous, et il vous obtiendra alors, en quelques minutes, le règlement d’une affaire qui vous importunait depuis des mois.

NdA : Toute ressemblance avec des personnages ayant existé, existants ou à exister serait purement fortuite et ne saurait relever que d’une malveillante coïncidence.

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Écrivaine et illustratrice

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