I speak English not very well if I want!

Il y a des gens pour penser que, si on travaille assez, si on fait les efforts nécessaires… on peut forcément tout réussir. Je ne crois pas. Je trouve cette idée validiste et dangereuse.

Validiste car elle pose l’idée que nous sommes tou·tes exactement pareil·les, avec les mêmes « outils » dans notre corps. Dangereuse1 parce qu’elle entraine des parents, de bonne foi, à harceler leurs mômes, persuadés qu’ils « pourraient s’ils voulaient ».

Ce qui est problématique, ce n’est pas d’accepter que nous sommes différent·es et que certain·es d’entre nous ne peuvent pas faire certaines choses, mais d’attribuer de la valeur aux gens en fonction de ce qu’ils sauraient faire.

Depuis tout petit, je suis doué en grammaire et en orthographe. Françaises. Même à l’école primaire, dans mes cahiers, il était dit que j’écrivais « bien ». Bien sûr que le fait que ça me soit facile a entrainé que j’ai continué à beaucoup écrire (même de simples billets de blog ou des statuts bébêtes sur les réseaux), mais j’en avais aussi « besoin » car je suis plus à l’aise à l’écrit qu’à l’oral pour parler de certains sujets, notamment dans l’intimité.

Je ne parviens pas à me perfectionner en anglais. Je connais les règles et les mots, J’ai même regardé des épisodes de séries chinoises sous-titrés en anglais car la VF n’était pas encore prête pour avoir la fin de l’histoire… et je les ai compris. Je peux dire deux/trois mots, mais… si je ne suis pas à l’aise pour communiquer à l’oral en français, alors que je le maitrise parfaitement2, quelle probabilité il y aurait que je me lance à parler en anglais à des inconnu·es3 ? Et, sans cet exercice de perfectionnement, je suis bloqué, incapable de progresser alors que je connais les règles et le vocabulaire.

L’été dernier (j’en ai parlé dans mon billet précédent), j’ai voulu lire le roman Lost You Forever car il fallait attendre un an entre les deux parties du drama. Ce roman chinois était disponible en anglais en ligne : je l’ai lu avec le traducteur automatique du navigateur.

Oui, il y avait des fautes et des trucs bizarres, mais je me suis largement immergé dans l’histoire. Peut-être que j’aurais beaucoup perdu du sens si je n’avais pas vu le drama auparavant, mais, là, j’ai profité de l’histoire, j’ai aimé le roman.

Oui, j’aimerais que le roman soit disponible en français, traduit par un·e professionnel·le dans de bonnes conditions. C’est d’ailleurs un appel tout à fait sérieux que je lance : je ne sais pas comment joindre l’autrice et/ou l’éditeur chinois, mais, si quelqu’un sait, j’aimerais beaucoup que les Vagabonds du Rêve proposent ce roman (car je considère que c’est de la bonne fantasy et nous voulons ouvrir notre catalogue à l’exploration des autres écrivain·es en dehors des très-diffusés anglophones).

Mais… faute de blé, on mange des glands. Ne pouvant pas lire le roman autrement, je l’ai lu de cette façon.

Pendant longtemps, je me répétais : « lis en anglais, ça t’entrainera, n’utilise pas la traduction automatique », mais, en réalité, cette injonction idiote que je m’infligeais me coupait juste de tas de contenus. Puis, sur Facebook par exemple, je l’utilise désormais pour des tas de choses et je me réjouis de voir que, partout dans le monde, quelque soit notre langue, on raconte tou·tes les mêmes bêtises.

Mes enfants sont parfaitement bilingues. Je ne leur ai pas payé de cours particuliers ni de séjours à l’étranger, aucune mère seule n’en a les moyens. Iels ont appris en jouant en ligne à des tas de jeux vidéo, avec des gens de toute la planète, qui se retrouvaient ensemble avec leur anglais maladroit. Iels sont moins bons en français ? Mais iels ont accès à tellement plus de contenus que moi !

Oui, je ne peux pas m’exprimer en « bon » anglais, mais dois-je ne rien dire pour autant ?

Au travail, quand je suis obligé de m’exprimer en anglais, je le fais, peu importe ma peur du ridicule car je n’ai pas le choix…

Ma chercheuse en informatique personnelle4 m’a expliqué plus d’une fois qu’il n’existait aucune IA à l’heure actuelle, même si tout le monde en parle. Il y a juste, suivant les domaines, des outils automatiques plus ou moins sophistiqués. En matière de traduction, les outils ne sont pas récents et relativement efficaces, mais ils n’ont pas remplacé les traducteurs professionnels : ils ne sont pas capables de faire de la traduction littéraire, par exemple5. Et ils ne prennent aucun emploi : personne n’embaucherait quelqu’un pour lui traduire des commentaires FB s’exclamant sur la séduction d’un·e acteurice. Ou lui faire quelques mails simples au taf.

Pourquoi je vous raconte tout ça ?

Parce que j’ai décidé de franchir le pas, de mettre derrière moi toutes ces peurs avec lesquelles la société nous façonne. J’ai décidé de parler (enfin d’écrire) anglais quand j’en ai envie, même maladroitement : quand quelqu’un me parle maladroitement en français, je ne moque pas d’ellui, je l’envie de se lancer, je le remercie de faire l’effort de venir vers moi.

Le français est une langue trop rigide, où la moindre erreur est malvenue. Il est nécessaire de l’assouplir, de briser ses carcans, d’y faire entrer librement tous les néologismes dont nous avons besoin. Je l’ai toujours pensé, ça m’est devenu obligatoire en faisant mon coming-out en tant que personne non-binaire : il me manque des tas de mots pour parler de moi. Tenez, dans ce billet, je me genre au masculin, mais c’est « incorrect » tout comme ce le serait au féminin…

Bref… si les erreurs sont problématiques dans un hôpital ou un aéroport… elles n’ont aucune conséquence en littérature ou sur un blog. Oui, tout ceci n’est qu’une déclaration d’intentions, il va sans doute encore me falloir quelques années pour oser trébucher en public, mais, en vrai, quel est le risque ? Que les audiences confidentielles de ce blog chutent ?

  1. Une amie commente sur FB : « Dangereux aussi parce que american model qui excuse toutes les saloperies du capitalisme et du déterminisme social en mettant en avant les quelques exceptions rescapées de self made men et women et reportent donc la faute sur ceux qui n’ont pas réussi, eux. » Je l’avais pensé très fort, mais pas formulé, je corrige avec cette NdBdP ! ↩︎
  2. Nous vivons dans une société où cela ne se fait pas d’annoncer les domaines où on est excellent, de la même façon qu’on n’admet pas qu’on puisse être nul ailleurs. Perso, j’ai décidé de me mettre à l’aise avec ça : je sais où je suis bon, je sais où je suis nul. C’est la base pour manager et déléguer efficacement d’ailleurs. ↩︎
  3. puisque, pour qu’un·e inconnu·e devienne un pote, il faut un premier échange, donc vaincre la barrière de la langue… et que je reste derrière la barrière de la simple rencontre. ↩︎
  4. Oui, je suis comme ça : c’est mon syndrome du dictateur, j’aime avoir des experts qui m’appartiennent mdr ↩︎
  5. Mon exemple d’hier est assez parlant : je veux croire qu’aucun·e professionnel·le n’aurait accepté que le titre chinois d’un drame shakespearien soit traduit par le nom d’un vin ! ↩︎
Posted in Comme ça..., Ecriture, Editorial, Humeurs.

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