La procrastination est considérée comme un défaut. Il ne faut pas y succomber, il convient de la combattre, de lui trouver des solutions.
Nous sommes bombardées d’injonctions à la performance, à la réussite. Tu dois « faire des choses », de ta journée, de tes vacances, de tes soirées, de tes week-ends.
Tu te dis écrivaine et tu n’as écrit qu’un seul roman ? Comment oses-tu te sentir légitime ? Inscris-toi à cette session de coaching pour exploiter tout ton potentiel !
Tu aimes le sexe, mais tu n’as des rapports qu’une fois par an ? Tous les dix ans ? Tu as un problème, il faut que tu le fasses plus souvent !
Quand j’étais enfante et que mes parents n’avaient pas de solution de garde, iels devaient m’emmener à leur travail. On est dans les années 1970, 1980… Point de consoles de jeux vidéo portable…
J’imagine que, parfois, je devais lire. Dessiner ? Non, je n’y suis jamais vraiment arrivée. Je faisais des colliers de trombones, of course, mais, surout… je m’ennuyais.
Ma mère me disait alors que l’ennui était une bonne chose, source de créativité. Je pouvais utiliser ce temps pour inventer des histoires, par exemple.
J’ai plusieurs soucis de santé qui tous ont ce point commun : la fatigue. Ajoutes-y le cycle menstruel et une allergie ou intolérance et on est pas mal : être « en forme » est un doux mythe pour moi.
Ca m’est peut-être arrivé quand j’étais enfante, mais je ne m’en souviens pas.
Pourtant, si mon corps est indolent, si je ne semble jamais agitée, si je ne cours pas entre deux réunions… mon esprit, lui, fume un peu trop à en croire mes esclaves ami·es.
Sans doute parce que j’y étais obligée par mon corps, j’ai appris à vivre avec cette compagne, Fatigue. Je ne lutte pas. Je sais que, à un moment donné, je vais avoir un pic et que je pourrais faire tout ce qui attend. Alors je fais des To do list et des tableaux Excel-like de suivi, je note absolument tout dans mon agenda, du thé avec une pote à la réunion récurrente.
Les années ont passé. Je n’ai ni enchainé les conquêtes amoureuses ni les prix littéraires.
Il y a eu des tas de jours où j’avais l’impression de faire du surplace, sans compter les fois où je retournais en arrière (et dont je parle dans ce billet d’il y a un peu plus d’un an). Et, pourtant, quand je regarde en arrière, quand je me plonge dans mes « petits dossiers », je me dis que c’est pas mal du tout. Ma bibliographie n’est pas longue comme un jour sans pain, mais satisfaisante comme les cookies que je réussis à tous les coups.
Lors d’une conversation récente, une personne expliquait qu’elle devait donner un objet à une deuxième personne « parce qu’elle n’allait quand même pas le jeter ». La deuxième n’en voulait pas et a refusé. Parce qu’elle l’aurait jeté si elle l’avait pris et… autant que la première le jette directement.
Ca m’a fait tilt. La première n’envisageait pas un refus « puisqu’elle ne pouvait pas jeter ».
Nos vies sont tellement saturées d’injonctions qu’on ne les perçoit plus comme telles.
« Tu ne vas quand même pas procrastiner ? » | ‘Tu ne peux pas écrire le même roman / jeu de rôle / … pendant n années ? » | « Tu ne vas pas jeter ? » | « Tu ne peux pas ne pas baiser si tu ne l’as pas fait depuis n années ? »
En réalité, hormis nous nourrir, nous soigner, dormir et ne pas nuire à autrui… nous ne sommes absolument obligées à rien.
Il n’y a aucune raison que nous finissions le roman que nous écrivons alors que le marché du livre est saturé.
Si nous sexons une fois par an, nul doute que celles et ceux qui ont besoin de plus trouvent d’autres partenaires que nous, nous ne leur sommes pas indispensables.
Ca ne changera pas la fin du monde que nous ayons passé nos vacances à les remplir de randonnées ou à mater des séries sur Netflix.
La procrastination n’est présentée comme un défaut que parce que la société / le collectif veut nous faire renoncer à notre consentement éclairé. Comme on « doit » faire quelque chose, au lieu de se demander « ai-je envie de le faire ? », rapidement, on en vient à « je vais le faire », parce que ce sera mieux perçu que de refuser une invitation, parce que « ça ne se fait pas quand même ».
Et, pour toutes les personnes « différentes » à qui cela demande plus d’efforts que la moyenne des autres, sur leurs souffrances s’ajoute ce sentiment d’échec, cette punition supplémentaire.
Cette chère Fatigue m’a appris à dire « non », facilement, sans aucun sentiment de culpabilité.
Cette chère Fatigue m’a ramené perpétuellement à mon consentement : en as-tu vraiment envie ?
Un jour, j’ai pensé que « le ménage devrait vraiment être fait », mais je n’en avais pas du tout envie. J’ai exprimé mon désarroi à voix haute et Cadette m’a répondu :
— Tu attends des invités ?
— Non, pas du tout.
— Alors ça n’a aucune importance !
Là, il y aura tout un tas de gens — qui ont tellement abandonné leur consentement depuis trop de temps qu’iels ont envie qu’on souffre aussi — pour dire : « Oh, cela devait être bien sale / bordélique / whatever », mais, en réalité, si les poubelles sont sorties, que le plan de travail de la cuisine est propre, que le lave-vaisselle a tourné… une maison est tout à fait vivable avec de la poussière dans la bibliothèque.
La procrastination n’a rien d’un défaut. Si tu n’as pas envie, tu as le droit de dire « non » ou « plus tard ».
Ce billet est approuvé par la Confrérie des Chats d’appartement.
— Mais, du coup, il est déjà 21h30. Tu comptes finir d’étendre le linge avant d’aller dormir ?
— Oh, ça va !
Tellement vrai :
Les injonctions de la société VS la Vie que l’on peut (veux ?) mener.
Le tout en fonction de ses propres besoins et capacités.