On s’en fout qu’un festival disparaisse… non ?

Il n’existe pas de Grande Famille de l’Imaginaire.
Il existe un ensemble de personnes qui oeuvrent dans ce domaine (auteurices, traducteurises, éditeurices, illustrateurices, etc.) et qui le font vivre et un ensemble de personnes qui l’aiment et qui veulent qu’il soit plus présent et prospère.
Mais cet intérêt commun ne crée pas forcément de liens.
L’idée qu’une passion commune lie les gens est finalement un fantasme que l’on retrouve pas mal dans la branche réac de la sphère rôliste : il aurait existé un âge mythique où, rassemblés par la passion du JdR, tout le monde aurait joué ensemble.
Quand on y regarde de plus près, c’est tout le monde sauf… les femmes, les queer, les racisés, les…
En réalité, en général, quand quelqu’un parle d’une grande famille, c’est un peu dans le sens qu’il faut entendre quand on veut te silencier car ce ne serait que « des histoires de famille ».

Le mythe de la Grande Famille, c’est une injonction pour faire taire celles et ceux qui sont différents, qui dénoncent les agressions ou le harcèlement ou les brimades…
Si tu veux en faire partie, tu dois accepter les règles édictées par les dominants.

C’est « amusant » parce que ce choix du terme « famille » n’est pas anodin du tout.
Quand arrivent les fêtes de fin d’année, sur les réseaux, tu vois tout un tas de gens se lamenter qu’ils vont devoir supporter des « repas de famille » et, dans ce qu’ils décrivent, il n’y a rien de réjouissant : ils vont entendre des propos haineux, par exemple, ils vont subir des remarques ou des reproches…
Cet imaginaire est très loin de me faire rêver.

Bref, il n’y a pas de grande famille et c’est tant mieux.
Il y a des clans, des groupes liés par des intérêts ou des affects, des accords ponctuels ou durables…
Néanmoins, dans la récente affaire des Imaginales, dont j’ai déjà pas mal parlé, il y a eu une réaction collective et unifiée.
Comme plusieurs personnes l’ont dit, que l’on soit ami ou non de Stéphanie Nicot, que l’on ait aimé aller aux Imaginales ou non, quand un objet (festival, média…) disparait, surtout de cette taille, cela nous impacte tou·tes collectivement.

Si donc cette affaire crée une unanimité inquiétante (quand on est unanime, c’est que ça craint vraiment !), il y a toujours un ou deux trolls dissonants.
Je ne parle pas des quelques rares personnes restées silencieuses par intérêt : ils pensent qu’ils vont récupérer quelque chose de ces Imaginales mourantes, peut-être en faire un festival à leur image ou intérêt. Ou juste profiter quelques années de la somme que la mairie est prête à verser.
Non, je parle de deux trolls bien connus de nos services. L’un est écrivain, l’autre est rôliste. Si le deuxième ne comprend pas pourquoi les gens parlent de l’affaire/se sentent concernés, le premier a écrit sur les réseaux que l’objectif d’un festival n’était pas de créer, mais seulement de passer un bon moment et qu’il n’y avait donc aucune raison de s’indigner.

Alors j’ignore si le gars pense sincèrement ce qu’il dit. C’est un peu l’inconvénient des trolls : ils créent un perso public dans la provoc et il est difficile de distinguer s’ils sont de mauvaise foi pour alimenter leur image ou s’ils sont de bonne foi et sont simplement ignares.

Mais, en fait, le sujet mérite qu’on en parle.
Bon, OK, je pourrais prendre une approche plus glamour, faire péter une belle intro au lieu de rebondir sur un commentaire un peu bébête, mais, bah…

Le sujet des festivals/conventions m’intéresse particulièrement et j’en parle quelque fois sur ce blog. C’est le gros de mon activité associative.

— Mais, au fait, c’est quoi la différence entre « festival » et « convention » ?
— Ca m’amuse parce que, il y a pas mal d’années, je m’étais faite prendre de haut car j’avais dit qu’il n’y avait pas de différence fondamentale. J’avais été pointée du doigt comme ignare ou trop novice ou… alors que cela faisait déjà plusieurs années que j’étais dans le milieu, mais, fidèle à mon syndrome de l’imposture (dont j’estime la disparition vers mes 45 ans), je m’étais répétée que j’avais mal dû comprendre et…
Il n’y a pas de différences fondamentales, c’est plus un choix esthétique en fonction des milieux.
Dans la littérature, on va parler de « festival » quand on veut faire venir du monde et de « convention » quand c’est sur inscription/à destination des fans. Mais il y a des festivals payants et les gens qui paient l’entrée sont bien des fans 😉
Dans le JdR, on va parler de « convention » même pour les gros events (comme Octogônes).
— Donc je résume : festival si littérature et convention si jeux ?
— Yep, plus ou moins. Du coup, quand je parle à des écrivain·es, je vais dire que #NiceFictions est un festival et, à des rôlistes, que c’est une convention 😉
(Pour vrai, je privilégie souvent « event » qui compacte « évènement » sans qu’il y ait débat sur le sens des accents — poke Timothée Rey.)

Bref, si l’on n’y prête pas attention, un event pourrait effectivement être juste le moyen de passer un bon moment (et, si ce n’était que ça, en fait, ça serait quand même dommage que l’un d’eux disparaisse pour de mauvaises raisons, comme les Imaginales aujourd’hui).

Récemment, j’ai abordé le sujet sous l’angle : si les events ne sont pas des lieux safes pour les femmes, elles sont entravées dans leur carrière.
Je l’ai d’abord dit un peu à l’arrache lors de la remise des Graal d’or au #FIJ2022, mais, à l’occasion de #NiceFictions22, j’ai proposé une table ronde sur le sujet.

En fait, c’est Ayerdhal qui m’a ouvert les yeux le premier sur le sujet. C’était lors d’Imaginales (décidemment).
Je n’avais aucun doute qu’il était un grand écrivain et je n’avais pas besoin de le voir pour m’en souvenir.
Il m’a expliqué qu’il avait été « absent de la scène » quelques temps et que, dès que tu t’absentais, les gens t’oubliaient.
Ouah ! Un écrivain comme lui pouvait être oublié, en fait…
Je n’ai pas eu l’occasion de participer à beaucoup d’events. Sur mes moyens financiers persos, je suis bloquée financièrement (la vie d’une maman solo) et je n’ai jamais été invitée car, même si mes écrits sont appréciés, je n’ai jamais eu d’œuvres à vendre/promouvoir, mes parutions étant plutôt en revues/antho.

Je ne regrette rien car je n’avais pas les moyens de me déplacer donc me soucier de quelque chose que je ne pouvais de toute façon pas faire m’aurait fait du mal pour rien.
Mais, pour le peu de déplacements que j’ai faits et des témoignages de… tout le monde ? c’est lors de ces rencontres que la création avance.
Non seulement cela peut te donner des idées d’œuvres lors des échanges avec les collègues, mais cela te met en contact avec d’autres acteurices pour des projets communs, de la basique rencontre avec ta/ton futur·e éditeurice à des projets plus complexes.
Lionel Davoust en parle dans son billet hier au sujet des Imaginales. C’est lors d’une room party aux Utopiales que les Imaginales sont apparues.
— Oui, mais Stéphanie aurait pu motiver les gens en leur envoyant des mails…
— J’ai rejoint l’orga de ma première convention en 1991, y’a plus de 30 ans.
La rencontre irl est fondamentale et les années n’ont fait que me le confirmer.
A titre personnel, je n’imagine pas aujourd’hui travailler sur Nice Fictions sans mon codirecteur, mais, en réalité, je lui ai demandé de me rejoindre parce que je l’ai croisé par hasard au FIJ2014.
— Ouais, il aurait fini par entendre parler du projet et vous aurait rejoint…
— Peut-être. Mais nous fonctionnons collectivement de cette façon.
— Et dans le JdR, tout ça, ça n’est pas pareil parce que tu nous parles de la carrière d’écrivain·es, là…
— En fait, ça joue un peu moins car la scène est plus limitée et un auteur n’est pas oublié dès qu’il ne se montre plus, mais, néanmoins, la rencontre avec de nouvelles joueuses, les tests, les échanges… sont importants et nourrissent la créativité.

Notre temps est limité.
En permanence, nous faisons des choix : quel livre va-t-on lire ? Avec qui va-t-on travailler sur tels projets ?
Par exemple, je n’ai jamais été sollicitée pour une antho à appel fermé (i.e. quand l’appel à textes n’est pas rendu public, mais l’anthologiste contacte des auteurices qu’il a sélectionnées en amont).
— Ben, c’est que personne n’aime ton travail.
— Sérieux, ça n’est pas la réponse.
Devant un projet, on va réfléchir aux noms qu’on y associerait et notre mémoire va remonter dans ses dernières rencontres/échanges. Il aurait suffi de partager un diner, un soir de festival, avec l’une ou l’autre pour qu’iel se dire : « Ah, tiens, oui, y’a elle aussi qui est nouvelliste ! »

— Ouais, mais, là, finalement, tu nous parles des carrières et de la réussite de projets. En quoi, moi, amateur d’imaginaire, ça me concerne ? Si je ne lis pas telle écrivaine, je lirais tel auteur. Si un event ne se fait pas, j’irais à un autre !
— Personnellement, je pense que rien ne s’enrichit et n’évolue sans la pluralité. Je pense que cantonner l’art (par exemple) à la production des seuls hommes blancs valides aisés est une erreur. Je pense qu’il n’y a pas tant d’events que ça et que, moins il y en a, plus les gens modestes n’y ont pas accès car ils ne peuvent aller facilement qu’à ce qui se passe près de chez eux. Je pense qu’il n’y a, de la même façon, pas tant de médias que ça.
Si la pluralité et/ou la diversité vous dérange ou vous indifférent, nous ne sommes juste pas compatibles et, comme je l’écrivais en intro, nous ne faisons pas partie de la même famille.

Autour des Imaginales, quelques paroles d’auteurices et acteurices de l’imaginaire

Il y a un peu moins d’un an, j’expliquais que j’étais plus dans l’éphémère et que j’avais peu de traces des choses qui s’étaient passées.
Du coup, les réseaux sociaux, par exemple, me conviennent plutôt bien : j’écris une longue humeur, mais, quelques jours plus tard, par l’enfouissement naturel sur ce genre de plateformes, le texte s’est envolé comme un message écrit à la craie qui n’a pas survécu à la première pluie.
(Bon, en réalité, je vous mens un peu pour jouer les poétesses : quand je songe « éphémère », je songe à… de la pâtisserie…)
Bref, depuis cette prise de conscience, parfois, avant de supprimer un post de Facebook, mettons, je le copie/colle dans un billet de blog.

Avant-hier, je vous parlais de l’affaire concernant les Imaginales et je vous donnais notamment le lien vers l’interview de Stéphanie Nicot (à lire vraiment).
En parallèle, sur la page Facebook de Nice Fictions, nous avons pris le temps de relayer plusieurs paroles de soutien.
Et je me dis que, d’ici quelques jours, ces messages seront balayés par le temps si je ne les archive pas.

Donc voici un billet « Archives » que j’éditerai si nécessaire et, bien évidemment, n’hésitez pas à me contacter à ce sujet pour le corriger ou l’enrichir.

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La lettre ouverte des auteurices « coups de coeur » des Imaginales n’a été rendue publique sur le site d’ActuSF qu’aujourd’hui, mais elle est datée du 3/6.

Ainsi, en dépit de nos vives inquiétudes, sur lesquelles nous nous devions d’attirer votre attention, nous tenons à vous dire tout l’attachement que nous avons pour ce formidable festival qui a amplement contribué à la dynamique de l’imaginaire français, et qui, nous en sommes persuadés, peut encore s’épanouir davantage à l’avenir, en s’appuyant toujours davantage sur les valeurs qui l’ont fondé. Avec Stéphanie Nicot et l’équipe talentueuse qu’elle a rassemblée !

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Yuyine, qui était coordinatrice du prix Imaginales de la bande dessinée des bibliothécaires ainsi que membre du jury de sélection du prix Imaginales des bibliothécaires, poste sur son blog le 11/7.

Je suis triste mais surtout en colère. En colère face aux décisions rétrogrades d’une administration, de politique et d’un directeur de festival qui n’ont pas compris nos inquiétudes ou les discours de l’édition 2021 et qui décident finalement de nous envoyer nous faire foutre par leur décision. En colère parce que ce sont les idées nauséabondes et les copinages honteux qui l’emportent cette fois encore sur les belles valeurs.

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Charlotte Bousquet sur Facebook

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Fabien Fernandez sur Facebook le 12/7.

Je suis de ces chanceux : blanc, hétéro, mec ! Je n’ai pas eu à subir les personnes comme Marsan (ou autres). Tout ce que j’ai pu faire, comme me l’a rappelé une amie il n’y a p as si longtemps, c’est prévenir de garder ses distances avec ce genre de prédateurs laches. J’ai rongé mon frein, et l’année dernière, des voix courageuses se sont élevées pour dénoncer publiquement le harcèlement qu’elles avaient subi.

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Ellen Kushner et Delia Sherman s’associent aux propos de Robin Hobb sur Twitter le 15/7.

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Bernard Visse sur Facebook le 15/7.

Il faut qu’un festival évolue, évidemment. Mais cela doit se faire sans qu’il perde son âme, dans le respect de celles et ceux qui l’ont patiemment bâti. Et l’âme des Imaginales est forte.
La Ville d’Épinal cultive l’art de se tirer une balle dans le pied. Alors qu’il aurait été plus simple – et tellement plus élégant – de travailler avec Stéphanie à sa succession et à l’avenir de cette manifestation. Je ne sais pas pourquoi je me mêle de ça. Épinal, la belle image ?

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Silène Edgar sur Twitter le 17/7.

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Francis Berthelot sur Twitter le 17/7.

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Adrien Tomas sur Facebook le 19/7.

Je ne voulais rien dire avant que Stéphanie Nicot décide de s’exprimer sur ce sujet. C’est chose faite. Maintenant, ouvrons les vannes.

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Dominique Lémuri sur son blog le 19/7.

Et je ne retournerai plus à Epinal. Les Imaginales sans Stéphanie Nicot, son énergie et sa vision, je ne vois pas trop ce que cela peut devenir. D’ailleurs, voici une interview édifiante de l’intéressée, parue sur le site d’ActuSf, qui vous donnera une idée de la manière dont la directrice artistique d’un des plus gros salons littéraires de France a été débarquée après 20 années de service, et dans quelles conditions elle a travaillé depuis tout ce temps.

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Lionel Davoust sur Twitter le 20/7

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Plusieurs acteurices du monde de l’imaginaire (dont ma pomme), mais également des festivalier·es, ont signé un mot de soutien pour Stephanie Nicot et il a été publié hier sur le site d’Actualitté.
Je trouve très fâcheux le NB ajouté sous les signatures :
NB : Stéphanie Nicot a accordé une interview à Actusf, faisant part de multiples récriminations et apportant nombre de précisions. « Dans un article de Télérama qui évoquait, le 24 mai 2022, la rumeur de mon éviction, le Directeur de la Culture et du Patrimoine d’Épinal, Stéphane Wieser, affirmait au journaliste : je “jure qu’il n’en est rien”. Quelques semaines plus tard, dans Actualitté, le même lançait un appel d’offres destiné à me remplacer. »
Non seulement l’interview de Stéphanie n’est pas vraiment relayée, juste jetée au bas de l’article, mais l’emploi du terme « récriminations » montre clairement à qui vont les sympathies de ce site.
Du coup, je regrette pas mal le choix de cette plateforme pour la diffusion…

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Edit au 25/7 : Télérama en parle aujourd’hui.

Le 24 mai dernier, dans nos colonnes, Stéphane Wieser, le directeur des affaires culturelles d’Épinal, assurait qu’il n’était pas question d’évincer Stéphanie Nicot, directrice artistique et cheville ouvrière des Imaginales depuis le début, en 2002. Un mois plus tard, la Ville publiait un appel d’offres pour la remplacer, le nom le plus fréquemment cité en coulisses étant celui du journaliste Lloyd Chéry. La désormais ex-directrice réagit à cette annonce.

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Edit au 1/8 : Lionel Davoust revient sur la suite prévisible de l’évènement dans un billet de blog.

Le nom des Imaginales est irrémédiablement souillé et sa réputation ne cesse de sombrer de jour en jour – une tendance qui n’ira qu’en s’aggravant, à mesure que personne ne voudra risquer de se trouver associé à l’image désastreuse que le festival vient de prendre, surtout aux USA.

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Edit au 4/9 : Au tour de Locusmag.com de parler de cette affaire.

Où je parle des Imaginales, mais aussi de JdR Mag et d’autres trucs

Ce billet va probablement être un peu long, mais j’ai plein de choses à vous dire…

J’ai grandi à Angoulême. Ce détail a de l’importance : enfante, j’étais persuadée qu’un festival international sur un thème populaire (la bande dessinée) était quelque chose de banal/normal. Et j’avoue que je n’ai jamais trop remis cette idée en cause.

En 1990, j’avais 17 ans et j’ai lancé un fanzine consacré aux jeux de rôle et à l’imaginaire : la Tribune des Vagabonds du Rêve. A cette époque, dans le milieu rôliste (mais pas que), il y avait beaucoup de fanzines. J’ai rapidement été contactée par d’autres fanéditeurices qui me proposaient qu’on fasse connaissance, qu’on échange, qu’on s’entraide. Ne me demandez pas pourquoi (parce que je n’en sais rien), mais mon réflexe a été : fédération. Je leur ai proposé que nous nous regroupions en une fédération de fanzines pour rendre visible cette entraide, pour communiquer davantage. Je l’ai appelé UTOPIA.
Comme nous y avions de la famille, nous allions quelques fois en vacances à Toulon et j’y avais repéré une grosse convention de jeux de rôle (la plus grosse à l’époque ?) : le France Sud Open (FSO). Mais, encore mineure, assez timide, je n’avais pas osé y aller. Puis, finalement, notre famille a quitté la Charente pour le Var et, devenue majeure, je me suis pointée à une petite convention de quartier, en me présentant comme représentante d’UTOPIA. Et, là, François Toucas, le président du FSO, me rencontre et me demande si UTOPIA veut participer à la grande convention de jeux.
Oui, forcément oui.
Je me souviens de notre premier stand, immense dans le contexte, couvert de fanzines venus de Belgique, de Suisse… et des fanéditeurices suisses, d’ailleurs, venu·es pour l’occasion.

A mes yeux (naïfs), une telle convention, aussi importante, avait une légitimité qui ne pouvait être remise en cause.
En 1995, les habitants de Toulon ont élu un maire FN. Le FSO a eu une dernière édition sur La Garde, mais la fin de la partie avait sonné.
Or doncques une convention/un festival, ça avait besoin d’un lieu pour exister, un lieu qui peut accueillir beaucoup de gens d’un coup et celui qui possède le lieu a pouvoir de vie et de mort sur l’évènement.
A mes camarades d’infortune organisateurices, alors que nous discutions de la suite (car le coup était affreusement douloureux), j’ai glissé le mot « fédération ». Et s’il existait une Fédération Française de Jeu de Rôle (FFJdR) qui naitrait des contacts et de l’énergie que nous avions rassemblées ?
Créée en 1996.
Un bénévole nous rejoint. Il s’appelle Jérôme Gayol, il habite le département d’à côté (les Alpes-Maritimes). Il arrive trop tard pour connaître le FSO et il en est frustré. (Aujourd’hui, il est le vice-président de Nice Fictions et des Vagabonds du Rêve.)
Alors je lui dis : « Et si on contactait le Festival International des Jeux (FIJ), à Cannes, et qu’on leur proposait d’œuvrer sur le JdR ? »
On a rencontré l’organisateur du tournoi de JdR qui voulait passer la main et… quelques années plus tard, Jérôme a dit aux associations locales : « Et si on se fédérait ? »
Le Groupement Azuréen des Associations Ludiques (GRAAL) est né.

Aux Imaginales 2013, je discute avec Ian Larue et on se dit : « Il n’existe pas de festival d’imaginaire de la nouvelle. Et, d’ailleurs, il n’y a pas tellement d’évènements d’imaginaire sur la Côte d’Azur. Si on en faisait un ? »
Puis je discute avec une autre amie et elle m’explique que l’université a cette possibilité légitime d’accueillir des évènements culturels et, d’ailleurs, le campus Saint-Jean-d’Angély, à Nice, reçoit des colloques, des séminaires…
J’avais été orga au FIJ 1998. Ensuite, la vie de maman de jeunes enfant·es puis maman solo m’avait éloigné de pas mal d’activités et je n’y venais plus qu’en tant que visiteuse et joueuse.
Me voilà donc au FIJ 2014, simple joueuse, et je recroise Jérôme qui, pendant ce temps, a tenu une boutique de JdR, a continué dans l’évènementiel et a appris des tas de choses.
Alors je lui dis : « Tu aimerais que mon festival de nouvelles ait un pôle Jeux ? »
A l’été 2014, Nice Fictions est né, avec Ian Larue, forcément, mais aussi, par exemple, avec Olivier ‘Akae’ Sanfilippo qui était dans l’orga du FIJ aux côtés de Jérôme ou avec Ugo Bellagamba (nous avions sympathisé entre « auteurices d’imaginaire niçois »).

Au printemps 2021, l’affaire Marsan est sortie. Même si « tout le monde savait », je pense que le voir écrit/détaillé/expliqué, ça fait un choc. Je faisais partie des gens « qui savaient un peu ». Je savais qu’il avait eu des comportements inappropriés, mais j’appartiens à une génération où les femmes étaient éduquées à penser que c’était normal qu’on abuse d’elles et, au fond, je me disais que cela devait être… limité ? C’est une erreur que, je pense, nous sommes nombreuses à avoir commise : nous ne percevions pas le côté systémique des agresseurs sexuels. Ils ne « dérapent pas quelques fois », c’est leur façon de vivre leur rapport aux femmes.
Au sein de Nice Fictions, je suis président·e : cela signifie que je peux dire ce que je veux, quand je veux, sans que personne ne vienne me le reprocher.
Alors il m’a été facile de dire que Nice Fictions condamnait ce genre de comportements, que nous avions mis en place une charte pour garantir un espace safe.
Mais, tandis que cette affaire bouleversait le monde de l’imaginaire, le silence de certains a été… bruyant ?
Oh, évidemment, que les ermites ne parlent pas, c’est logique, mais que des acteurs connus pour être diserts, des journalistes qui disent couvrir le domaine… ne parlent pas de quelque chose d’autre important, comment l’expliquer sinon par leur soutien affiché à un agresseur ?
A côté de ces silences complices, il y a eu les silences… de peur. Il y a eu des gens qui n’ont pas pu parler parce qu’iels ne le pouvaient pas.
Maintenant que c’est dit publiquement, nul besoin de le taire : dans l’interview que Stéphanie Nicot a donné aujourd’hui dans ActuSF (et je reviens dessus un peu plus bas dans ce billet), elle écrit : « Face au silence assourdissant de la Ville, j’ai écrit un post sur mon compte Facebook pour soutenir les victimes, d’abord par conviction personnelle, et ensuite pour exprimer les valeurs du festival. J’ai alors reçu un appel téléphonique d’une élue me parlant de « devoir de réserve », histoire de me museler, alors que je ne suis pas fonctionnaire de la Ville… »
Aussi certains se sont tus par complaisance, mais d’autres parce qu’iels étaient muselé·es.
J’ai donc posté sans réserve ici ou là en me disant que le peu que mes paroles portent, ce serait toujours ça de pris pour celles et ceux qui ne pouvaient pas.
Bien sûr, quelques supports comme ActuSF se sont fait le relais de l’info, mais j’ai été frappée par le peu de médias de notre milieu. En comptant ceux qui ont longtemps baigné dans le patriarcat (mais qui changent et c’est tant mieux), il restait bien peu d’endroits pour porter les paroles, toutes les paroles.
Aussi, à l’été, nous avons (re)lancé la Tribune des Vagabonds du Rêve, une webrevue consacrée à l’imaginaire, en nous disant qu’il n’y avait jamais trop de +1 en support ouvert et inclusif.

En mai, les Imaginales se sont tenues dans un climat particulier car, même sans être sur place, cela a beaucoup bruissé sur les réseaux : on annonçait que Stéphanie Nicot allait être renvoyée et même le nom de son successeur était donné (dans les personnes remarquées pour leur silence sur l’affaire Marsan parce que cette affaire n’est pas un point de détail, les femmes du milieu ont osé parler et, pour les dominants, c’est insupportable).
La Tribune n’existant pas au printemps 2021, je ne regrette pas mon absence de billet sur le sujet initial, mais, avec le recul, je regrette de ne pas avoir posé quelques notes ce mois de mai.

Début juin, lors de #NiceFictions22, nous avons reçu beaucoup de retours nous disant merci d’avoir créé un espace safe. Et ce retour n’était pas anodin pour nous : pari réussi ?
L’idée de disposer d’endroits safes et inclusifs semble devenir plus urgente/impérative.

Mi-juin parait le nouveau numéro de JdR Mag. Et c’est le choc : au milieu des billets d’humeur, un texte est posé là, avec tous les mots et arguments de l’extrême-droite.
(Pour plus de détails, je vous renvoie au billet de Psychée qui en parle sur son blog.)
Les réseaux s’enflamment, la rédaction est sollicitée et la réponse qui arrive est… troublante ? Il semblerait normal de laisser la parole libre même à des discours d’extrême-droite et, si cela ne nous convient pas, pourquoi ne pas proposer notre propre billet d’humeur ? Hein ?
Le JdR a trop peu de médias et nous sommes bien loin du foisonnement de fanzines des années 1990. Et l’un des rares magazines du genre n’a donc pas vraiment de politique éditoriale ? Tout texte peut y être publié sans que la rédaction ne sollicite une personne pour un propos ?

(Je fais ici une petite parenthèse car cela peut sembler étrange : dans les années 1990, Internet n’est pas encore répandu (perso, j’y ai eu accès en 1996) et l’impression à la demande n’existe pas, même les photocopies sont chères.
Un simple fanzine, c’était déjà des envois papier, des difficultés à se faire connaître.
Aujourd’hui, il est plus aisé de créer un site, une webrevue… et, pourtant, il existe moins de médias. La parole semble plus difficile, moins évidente.)

De ce constat, quelques initiatives ont vu le jour pour proposer de nouveaux médias dans un monde qui en manque donc cruellement. A l’heure où j’écris, il est trop tôt pour connaître le devenir de ces projets, mais je ne manquerais pas de suivre leurs avancées et de vous en informer.

Début juillet, dans Actualitté, parait une interview surréaliste : Stéphane Wieser annonce que la direction littéraire des Imaginales est à pourvoir par un appel d’offres qui vient d’être publié. Bien sûr qu’un évènement est libre de changer de direction, mais la façon de faire dit tout : le gars ne remercie pas les nombreux·ses bénévoles qui oeuvrent chaque année, il ne parle que de lui  et de ses mérites supposés et, surtout… il ne remercie à aucun moment celle qui a fait de l’évènement ce qu’il est aujourd’hui. Stéphanie Nicot n’est jamais mentionnée ou remerciée.
Plus aucun doute n’est permis : ce qui se passe est sale.
Je n’ai pas voulu écrire de billet dans la foulée, je voulais savoir ce que Stéphanie avait à dire, je voulais d’abord l’entendre.
Sur la page Facebook de Nice Fictions, nous avons donc relayé les soutiens qui affluaient en sachant que Stéphanie s’exprimerait dans ActuSF, ce qui est tout à fait parfait puisque, à ce jour, c’est le principal média de notre milieu.
Puis l’interview est parue aujourd’hui.

En la lisant, je pense que j’ai eu la même sensation que beaucoup d’entre vous : on savait que ça craignait, mais… à ce point ?
On savait que Stéphanie était blâmée d’être solidaire des victimes de Marsan, mais c’est donc ainsi que cela se passe dans la tête de tous ces hommes de pouvoir, habitués à ce que la femme ne soit qu’un être inférieur dédiée à leurs seules satisfactions ?
On savait que les autrices Betty Piccioli et Silène Edgar étaient devenues la cible des masculinistes, mais aussi ouvertement ?

J’éprouve des sentiments contradictoires : évidemment, je suis navrée qu’un des deux plus gros festivals d’imaginaire français meurt, ce n’est forcément pas une bonne nouvelle.
Mais je ressens la même chose que, au mois de juin, quand la position de JdR Mag a été affichée publiquement.
Je suis soulagée également : soulagée que l’on voit le vrai visage de la « neutralité » (un mag qui laisse la parole à l’extrême-droite et aux masculinistes n’est pas l’allié de la diversité et des minorités), soulagée que Stéphanie Nicot n’ait plus à travailler pour ces gens-là et qu’elle puisse nous dire leur vrai visage et leurs méthodes.
Soulagée et motivée car ces affaires nous rappellent que nous devons rester motivé·es et vigilant·es.

Les Imaginales, ça n’est pas la ville d’Epinal, perdue dans les Vosges, qui se noiera dans un évènement commercial en 2023.
Les Imaginales, en réalité, c’est ce que Stéphanie et ses équipes ont fédéré pendant 20 ans. Les rencontres, les énergies… qui lui ont en retour manifesté leur plein soutien ces derniers jours. C’est un esprit que celles et ceux qu’il a touchées vont répandre à leur tour.
Beaucoup d’acteurs du milieu ont mentionné le tout jeune festival de Rennes, l’Ouest hurlant, et, clairement, quand on regarde la carte des évènements d’imaginaire en France, le territoire n’est pas homogène et le nord-ouest draine une bonne part des énergies. C’est Epinal qui a perdu aujourd’hui, pas le milieu de l’imaginaire.

De tous ces incidents, fort tristes, nous sortons reboostées. Parce qu’il est plus que nécessaire d’avoir plus de médias et que la Tribune, mais pas que, peut apporter sa part.
— Tu nous parles de la Tribune, mais on ne peut pas dire que vous publiez beaucoup d’actualités ?
— Yep. Ce n’est pas l’objectif. C’est une webrevue pérenne, sans pub, qui n’est soumise à aucune influence réactionnaire et qui est là, pour accueillir, donner la parole, soutenir. Elle vous accueille si vous cherchez un endroit où poser votre article, votre projet… sans aucune pression financière.
Reboosté·es également parce qu’il est important que nous ayons des évènements de qualité, nombreux (bon, surtout par chez nous, clairement, on se sent un peu seules) et que c’est un maillage fort qui garantit que, si l’un tombe, d’autres accueilleront les équipes, les envies, les savoirs.
En réalité, cette fin brutale des Imaginales m’a reportée 27 ans en arrière. Evidemment que les Imaginales, en taille, ne peuvent se comparer au FSO (ça n’a pas de sens dit comme ça), mais le plus gros évènement de JdR a été tué par une mairie réactionnaire. Et il en est sorti la FFJdR, le GRAAL… et je ne peux pas douter que toutes celles et ceux qui ont œuvré aux Imaginales ne soient pas très prochainement actif·ves sur de nouveaux et merveilleux projets. Parce qu’un évènement ne peut pas s’exprimer sans un lieu, mais, en réalité, le lieu n’est qu’un détail pratique : l’évènement est le fruit de ses organisateurices.

Je terminerais juste ce billet par un bouquet de ❤ pour Stéphanie. Je ne doute pas de son énergie et de ses compétences, je sais que de nouvelles aventures l’attendent.
A vous tou·tes qui organisez des conventions ou festivals, qui œuvrez dans des médias, j’espère que, ensemble, nous allons continuer de bâtir un monde de l’imaginaire dont nous allons être de plus en plus fières.

Live long and prosper!

Edit au 21/7/22 : En complément de ce billet, j’ai rédigé un billet « archives » avec des soutiens exprimés par plusieurs acteurices du milieu pour Stéphanie.

Imaginales et Geekopolis : deux festivals, un seul week-end

Ce week-end (ou, plus exactement, de jeudi à dimanche), se tenait la 12e édition des Imaginales, à Epinal (dans les Vosges, pas loin de la Sibérie 😛 ). Aux mêmes dates (samedi et dimanche), Geekopolis se lançait pour la première fois, à Paris (‘fin, à Montreuil, mais sur une ligne de métro).
Si les Imaginales sont surtout un festival littéraire (quoiqu’il y ait des jeux et des films), Geekopolis avait une ambition plus large (jeux, costumes, séries…) et moins littéraire (malgré la présence de quelques auteurs). Pour l’amateur d’imaginaire, le télescopage voulu par les Geekopolis n’en reste pas moins surprenant. Surprenant également de placer l’évènement à un mois de la Japan Expo alors qu’il semblerait que ce soit une Japan Expo en plus petit (à ce qu’on m’a dit, j’ai prévu d’aller vérifier de mes propres yeux).
Bref, l’agenda était chargé et, une fois n’est pas coutume, j’étais bien décidée à en être : deux jours aux Imaginales, un jour à Geekopolis.

Si les domaines parcourus étaient différents, les conditions également :
– les Imaginales se déroulent au bord de la Moselle, sous des chapiteaux : l’entrée est libre, le cadre propice aux piques-niques de mai (quand il ne pleut pas) ; entre tables rondes, dédicaces et flânerie, l’ambiance est celle d’un dimanche à la campagne ;
– Geekopolis se tenait dans un Palais des Congrès, idéal finalement avec ce temps gris, mais le billet d’entrée était affreusement cher : en prévente, 19 € une journée, 35 pour les deux jours et 20 pour la nuit du samedi dont le programme était alléchant.

N’ayant pas la vocation du reporter, mon billet sera loin d’être exhaustif, j’avoue que je m’attarde surtout sur les avantages/inconvénients comparés.

La vraie qualité des Imaginales, c’est d’être le rendez-vous annuel de la littérature de l’imaginaire : auteurs, éditeurs… Professionnellement, j’ai dû retrouver trois-quarts de mon carnet d’adresses et, même si les moyens modernes de communication ont changé la donne, la rencontre physique est toujours agréable et fructueuse.
Le lecteur a donc de bonnes chances de parler aux auteurs qu’il apprécie et de repartir avec une belle pile de dédicaces.
Le vrai inconvénient, c’est le lieu : Epinal n’est pas l’endroit le plus accessible depuis toutes les autres villes de la métropole. Si l’entrée est donc libre, contrairement au prix assez décourageant de Geekopolis, objectivement, si l’on compte les frais de transports, la balade n’en reste pas moins un peu chère.

Côté Geekopolis maintenant, il y avait beaucoup de choses à voir et à faire : jeux à tester, stands de costumes, de dédicaces, décors…
L’endroit était découpé par thèmes, le guide était épais avec nombre de rencontres et activités.
Pour ma part, je me suis beaucoup intéressée à la table ronde sur les webséries et j’ai même pris des notes maladroites dans la salle plongée dans le noir.

Au final, si j’avais commencé mon périple en me demandant laquelle de ces deux manifestations me convaincraient de revenir à une édition suivante, j’en suis surtout ressortie avec cette impression qu’elles ne sont tout simplement pas comparables.
Pour les Geekopolis, mon avis final va surtout dépendre de la Japan Expo : l’évènement était très bien en lui-même, mais s’il y a plus grand pour moins cher dans la même ville, à un mois d’écart…
Pour les Imaginales, cela ressemble quand même bien à la manifestation littéraire annuelle de nos genres favoris et j’avoue que, à ce titre, je regrette pour ma part le choix des invités, qui n’est pas toujours très judicieux : certains auteurs manquent à l’appel d’une manifestation avec cette ambition.