m’a demandé une de mes amies.
Sa question ne sortait pas de nulle part, c’est une amie, elle ne me pose pas des questions random.
Une semaine plus tôt, je lui avais partagé la dernière nouvelle que j’ai écrite et elle m’en avait fait un retour très positif. Le truc, c’est que cette nouvelle (la dernière donc en date au moment où je rédige ce billet) arrive 5 ans après la précédente. C’est facile à constater, en vrai, si vous regardez ma bibliographie, il n’y a pas de nouvelles entre 2020 et 2025.
Si vous regardez plus en détails, en réalité, je me suis par exemple essayé à l’exercice des Chroniques sur 2022 et 2023. Et je n’ai pas abandonné l’idée.
Je me soupçonne que, parfois, j’ai laissé échapper des « ça fait longtemps que je n’ai pas écrit, j’aimerais m’y remettre »… mais je dois me confesser à elle aujourd’hui : j’ai menti.
Comme je mens à chaque fois que je prétends vouloir rencontrer quelqu’un (sentimentalement, je veux dire) : je suis aromantique, je n’en ai pas l’intention du tout.
De temps en temps, je sors des phrases toutes faites pour (me) donner l’illusion que je suis « normal ».
Pour imiter les autres.
D’ailleurs, j’ai raté le rendez-vous l’année passée, mais, en 2019, je m’étais donné rendez-vous 5 ans plus tard autour de cette idée.
« On » (qui ?) nous parle de l’angoisse de la page blanche, de la panne d’inspiration…
Un jour que j’étais enfant, on m’a dit que les gens inquiets rongeaient leurs ongles, alors j’ai essayé de me ronger un ongle pour voir si ça faisait quelque chose. (Spoiler : non…)
Un jour que j’étais adulte et que j’avais un gros chagrin, j’ai plongé mes lèvres dans un verre d’alcool pour me donner une impression « chagrin tourmenté ». (Je n’aime pas l’alcool, l’expérience n’a pas dépassé une gorgée.)
Autour de moi, j’entends des écrivain·es qui doutent d’en être ou qui annoncent des départs / retraites comme si quelque chose avait changé. Iels lancent des « je n’écris plus en ce moment ! » ou « je n’écrirais plus jamais car ça ne sert à rien, je ne trouve pas mon public ! » ou…
Ma mère, ma sœur et moi avons toujours écrit pour nous-mêmes. Quand on en avait envie, sans aucun objectif autre que notre propre plaisir.
Je n’ai aucun doute que nous sommes auteurices, car nous le sommes, tout simplement, que nous écrivions encore dans les années à venir ou pas, que nous soyons publiées ou pas…
Nous n’avons pas d’angoisse de la page blanche car nous ne sommes tenues à aucun rendement, aucun actionnaire ne vient jamais nous demander de comptes.
Rimbaud (bon, OK, on n’est pas Rimbaud, mais, bah…) est toujours considéré comme l’un des plus grands poètes français. Personne ne peut remettre ça en cause parce qu’il n’a pas assez écrit.
Je crois me souvenir que j’ai écrit dès l’enfance, mais je n’en suis sûr qu’à compter de mes 10 ans. Le plus ancien poème que j’expose ici, j’ai 14 ans.
Je ne sais plus quand j’ai lu Papa longues jambes pour la 1ère fois, mais je crois que c’est dans ce roman que le riche-monsieur-autoritaire dit à la jeune femme de lui écrire des lettres pour s’entrainer à écrire.
Parce que, en réalité, écrire, ça n’est pas que des nouvelles ou des poèmes… ce sont tous les billets de ce blog, les mails et autres messages envoyés à mes amies, mes posts sur des réseaux sociaux….
Il y a dans notre société beaucoup d’injonctions (surprise !) qui s’entremêlent.
Comme la nécessité de « réussir » (i.e. accumuler plus de pognon ou plus de…), d’être performant, d’être productif…
Et aussi, par exemple, il y a des formes d’écrits qui semblent plus « nobles » que d’autres :
un jour, j’ai lu un « essai » qui avait le contenu / la longueur de ce qui, à mes yeux, est un billet de blog un peu plus construit que la moyenne. (Ou alors tous les essais ne me semblent que des billets…)
Que son auteurice fasse le choix de le titrer « essai » au lieu de le partager sur un blog, ça raconte quelque chose.
L’histoire que j’ai écrite récemment, elle n’a pas quelques jours de gestation.
Depuis que je suis tout petit (comme la plupart des artistes, I presume), je me raconte des histoires dans ma tête. Quand j’écris (que je suis sur mon clavier et que j’aligne les mots), je ne suis pas en train de créer depuis le vide, je pose juste des tas de fils qui tournent dans mon cerveau depuis longtemps. La nouvelle ne semble donc m’avoir pris que quelques heures, mais elle a tout autant pris toute ma vie1.
Comme quand j’écris ce billet de blog ou que j’envoie un mail, les choses ne sont pas apparues maintenant, elles me trottent dans la tête et, un jour, elles sortent ou jamais.
Je ne doute pas que je suis un écrivain parce que je n’écris pas en ce moment.
Être écrivain est lié au fait que je sois heureux et à l’aise avec l’écriture. Mes amis pourront témoigner que, parfois, je préfère m’exprimer à l’écrit qu’à l’oral.
Dans certaines histoires, quand le personnage demande de rencontrer l’autre pour lui dire quelque chose d’important (excuses, déclaration d’amour, aveux…) et qu’un incident entrave le moment pour faire rebondir l’intrigue, je pense toujours que, moi, à sa place, j’aurais envoyé un texto de 5.000 signes2 et qu’il n’y aurait pas de suspens.
La vérité est que, si je n’écris pas plus, c’est que je n’ai rien à dire.
— Hein ? Quoi ?
Tu pourrais raconter… oh, Dieu ! bien des choses en somme
En variant le décor, – par exemple…
Les histoires originales n’existent pas !
— Hein ? Quoi ? On est le 1er mai, détends-toi ! Tu m’as fait sursauter !
En préparant ce billet, je me suis demandé à quelles séries je pensais avec le terme « original ». Je ne voulais pas fouiller et chercher, je voulais vraiment voir ce qui me venait à l’esprit spontanément.
Ça donne : A Korean Odyssey, Lost You Forever et Lovestruck in the City.
Ce que j’ai trouvé original dans Lovestruck in the City, c’est la forme narrative adoptée, comme quand j’ai lu Papa longues jambes pour la première fois.
On peut jouer avec les formes narratives, en essayer de nouvelles quand un support nouveau apparait (du temps de Papa longues jambes, on pouvait imaginer des lettres, mais pas une télé-réalité), mais le nombre reste limité de fait.
Un temps, je voulais essayer une narration sous forme de statuts Facebook (en créant des profils différents pour mes persos principaux). Je ne suis pas allé au bout car je saute vite d’une idée à l’autre, mais, pareillement, ça n’aurait été original que la première fois…
L’originalité d’A Korean Odyssey vient de son utilisation du personnage mythique du Dieu Singe. Le Dieu Singe, c’est un peu Superman3. Parce que lui seul peut faire certaines choses, le récit peut prendre des tournures inhabituelles.
A la fin de ce drama (gros spoiler !), dont la trame principale repose sur le fait que l’un des deux héros (l’Héroïne ou le Singe) doit mourir parce que telle est la malédiction… Elle meurt. Ce serait un échec / une fin tragique dans toute autre récit, mais, ici, ça ne l’est pas car Son Ogong peut défier la mort.
On retrouve un peu le même procédé dans Lost You Forever : la mise en scène d’un personnage mythique (là, Xiangliu, le monstre serpent à neuf têtes), ce qui nous offre une fin terrible, mais magnifique où le personnage meurt en empoisonnant la terre autour de lui lors de la bataille finale.
Ce que je note, c’est que l’originalité n’est que la revisitation d’histoires connues.
Et c’est très très bien, n’y voyez aucune forme de reproches. Mais ce ne sont pas les idées qui sont neuves, mais leur réadaptation à nos codes modernes et aux goûts du jour.
Sur l’année 2024, j’ai dû voir une 50aine de séries (estimation plus ou moins juste, mais qui me semble pas mal : une série par semaine). Il est donc normal que, sur 50 œuvres, statistiquement, plusieurs racontent un peu la même chose.
Prenons Blossom et Si Jin. J’ai envie de comparer les deux car on part sur une base d’une femme qui meurt de façon injuste et qui a la possibilité de retourner en arrière.
J’ai adoré Si Jin et Blossom m’a moins plu… mais c’est exactement l’inverse pour Mère Dragon : une même histoire, mais deux traitements différents et qui trouvent chacun leur public.
C’est un peu l’exercice auquel je me suis prêté dans deux de mes nouvelles : Vendredi 13 et Ce jour-là. Elles ont été écrites à 5 ans d’intervalle et sont très courtes toutes les deux.
Vous pouvez les lire, tiens, avant de reprendre le fil de ce billet 😉
J’y raconte la même chose : la dernière journée d’une personne qui sait que c’est le jour de l’Apocalypse. (Bon, perso, les deux versions me font beaucoup rire, mais vous avez le droit de douter de mon humour…)
Vous n’êtes pas à l’abri que j’en rédige une 3e déclinaison, mais je ne peux le faire que si j’en trouve une qui me fasse dire : « ah, oui, celle-ci aussi, je veux vous la raconter ! »
— T’as parlé de séries, mais, en littérature, t’as des gens comme Pratchett… ou Fforde, tiens, Fforde ?
— En préparant ce billet, je suis allé relire ce que j’avais écrit sur les aventures de Thursday Next.
Je pense que Fforde n’est pas quelqu’un d’ordinaire, au sens où il a clairement mis en scène des choses vraiment inventives. Mais, en relisant ma chronique du 5e tome, je me rappelle qu’il en a trop écrit.
Il m’est arrivé la même chose quand j’ai lu les Fiancés de l’hiver, le premier tome de la Passe-miroir (Christelle Dabos). Ça m’a surpris et plu. C’était vraiment bien.
Je n’en ai pas fait de chronique à l’époque et, me connaissant, je suppose que, comme il s’agissait d’une série de 4 tomes, je voulais l’avoir lue en entier. A noter déjà que le 1er tome est paru en 2013 et le dernier en 2019.
6 ans entre deux tomes, si tu consommes 30/50 œuvres par an (livres, séries, films…), c’est au moins 200 autres histoires qui sont passées par là et ont changé tes goûts et tes attentes. (Et, là, on est sur les années autour de 2017 et #MeToo, ça a carrément changé — en tout cas pour moi — mes attentes en romance / en relations interpersonnelles.)
En écrivant ce billet, je suis allé prendre dans ma bibliothèque la Mémoire de Babel, le 3e tome. Mon marque-page se trouvait à la page 231 sur 483. Je ne pense pas que je le reprendrai / finirai un jour et je sais que, lors de la sortie du 4e, les retours majoritairement déçus autour de moi ont coupé l’envie, j’étais passé à autre chose.
— En gros, tu dis que ce sont de bonnes séries qui ont au moins eu un ou deux tomes de trop ?
— Oui.
Et je comprends les auteurices, en vrai, car c’est exactement ce que je décrivais fin 2019.
Un livre ne reste pas longtemps sur l’étal d’une librairie. Alors, pour revenir, il faut un autre livre. Sauf qu’aucun de nous n’est destiné à écrire toutes les histoires du monde.
Un lecteur va absorber 50 histoires par an tandis que combien t’habitent en même temps ? Et de combien peux-tu en accoucher ?
Dois-tu toutes les écrire ?
Et bien sûr qu’une série est plus facile qu’un one shot.
— Non, mais, là, t’en sais rien, tu peux pas juger.
— Ben, si…
Disons que tu as 3 ou 4 idées d’intrigues. Si tu en fais 4 one shots, tu dois repartir de 0 pour chaque : qui sont les personnages ? Quels sont leurs liens ? Où se trouvent-ils ?
Avec une série, tu peux te consacrer aux intrigues avec des backgrounds déjà solides et, tiens, disons que tu as une romance entre deux persos, tu peux t’en servir comme suspens entre deux tomes.
Attention, ne lisez pas ce que je n’ai pas écrit : je ne dis pas que les séries ne sont pas bien.
Surtout que je suis un gros consommateur de séries télé.
Prenons un roman de 400.000 signes.
L’outil sur ce blog (disons qu’il est plus ou moins fiable) m’annonce (sur ma dernière nouvelle justement) un temps de lecture de 44 minutes pour 47.500 signes, soit, pour le roman de 400.000, 370 minutes, plus de 6 heures.
Si je prends mon exemple personnel, lire m’est plus fatigant que de regarder une série et, en 6 heures, j’ai déjà vu 8 épisodes, disons.
Si un roman fait deux tomes et que ces deux tomes sont disponibles au même moment, je peux être tenté. Si un roman fait 6 tomes et que je dois attendre un ou deux ans entre chaque, quelle est la probabilité que j’en vienne à bout ?
— Oui, mais… un super roman qui déchire tout ?
— Oui, un super roman vraiment exceptionnel. Alors que, sur les 6 ans disons pour ces 6 tomes, j’aurais probablement laissé leur chance à… 300 séries plus ou moins réussies.
— 300 ??? T’es sûr ?
— 200, si tu veux.
Mère Dragon et moi avons commencé un tableau Excel-like quand nous avons découvert les dramas asiatiques sur Netflix. L’idée était de se noter ce qu’on avait déjà vu, d’indiquer à l’autre si quelque chose était nul ou super.
Disons qu’on l’a commencé en 2018 et, aujourd’hui, il a 445 entrées.
(Et je pense que, concernant Mère Dragon qui est à la retraite, le nombre de livres / romans ne doit pas être loin derrière.)
Je n’aurais pas assez de toute ma vie pour lire toute la bibliothèque / tous les titres que nous avons déjà chez nous… et j’en achète encore de temps en temps.
Je n’ai pas le temps de lire plusieurs / beaucoup de titres d’un·e même auteurice, mais ellui, en parallèle, doit multiplier les titres pour espérer statistiquement attirer mon / notre attention collective.
La chaine du livre, la surproduction en littérature, le fait qu’aucun festival ne va t’inviter si tu n’as pas d’actualités (comme si les artistes étaient des news de journal)… sont juste incompatibles avec l’écriture.
L’écriture, ce sont des histoires qui te suivant pendant des mois ou des années et que tu poses un jour, enfin. Et on devrait prendre le temps de les déguster, chacun·e à notre rythme.
Si vous êtes attentif·ves à mes chroniques, vous remarquerez que je passe beaucoup de temps sur la plateforme Viki.
En ce moment, par exemple, je regarde une série de 20214. Si nous étions dans un processus comme celui du marché du livre, je n’aurais que les dramas de 2025 à me mettre sous la dent. Et quelques classiques adoubés mystérieusement. Je ne pourrais pas aller fouiller dans des histoires « ordinaires » qui ont plus de 2 ou 3 ans…
— Au final, les écrivains sont pris au piège et, si tu ne joues pas le jeu, personne ne te lira jamais.
— Oui. Ça me tracasse certains jours, puis j’oublie.
Je ne peux pas condamner la chaine du livre à la moindre occasion en allant dire ici ou là qu’elle n’est pas la solution, qu’on doit (collectivement) la quitter et me plier à ses diktats. ‘fin, je suis forcément contradictoire, comme tout le monde, mais ce blog répond à mes besoins : j’y pose ce que j’ai écrit, à mon rythme, et ça peut être tout autant une œuvre littéraire qu’un essai auquel je ne donne pas ce nom tandis que, vous, visiteur·ses, passez pour noter quelques titres de séries.
Parce que je ne peux pas écrire dans tous les cas si je n’ai rien à dire…
— Et nous pondre un billet de presque 12.000 signes5 pour nous expliquer que tu n’as rien à dire, c’est normal ?
— Quoi ? T’es encore là ???
Perso, je préfère que vous finissiez par aimer l’une de mes nouvelles qui trainent ici plutôt que de la redécliner encore et encore en m’épuisant à lui chercher des débouchés et en me disant que, finalement, après tout, je ne suis sans doute pas un écrivain.
Edit au 7/5/25 : Nathalie Julien, une autrice/blogueuse que je suis, a posté il y a un an (mais je le lis aujourd’hui) un billet sur son processus de création et notamment sur sa nécessité de faire ce qu’elle voulait et de se rendre heureuse (ma reformulation).
Je trouve que son propos va bien si je le glisse ici. Je pourrais m’étendre et dire les points qui font particulièrement écho en moi, mais je vous laisse simplement à cette lecture.
- Ouais, pour le coup, ça interroge le résultat ! ↩︎
- 5.000 ? T’es sérieux ? — Eh… ↩︎
- Oh, j’ai trop honte de ma comparaison complètement pétée ! ↩︎
- Il me reste moins de 3 épisodes à regarder, la chronique arrive probablement demain…. Oh, finalement, non, j’ai fini de la regarder le temps de laisser reposer ce billet. ↩︎
- Ah, ben, non, 15.000 finalement après repos de la pâte ! ↩︎