Vous connaissez la Petite Fille aux allumettes, ce conte d’Andersen ?
— Ben, évidemment, tout le monde connait, c’est un classique.
Je déteste quand dans une émission / une table ronde / une conférence / en réunion… un intervenant décrète des « comme vous le savez tous » ou « ce livre que tout le monde connait ».
Je ne sais pas ce que tout le monde connait. Je ne dispose pas de la science infuse ou du mémo agréé qui liste dans le détail ce que « tout le monde connait ».
Dans cette catégorie de « ce que je déteste », y’a aussi les messages cryptiques sur les réseaux sociaux qui font référence à une actualité que tu dois connaitre. Ce qui a d’autant moins de sens que, sur un réseau, a priori, notre parole est publique / pas à destination de quelques initiés et que poser un hashtag prend littéralement une fraction de seconde.
Lorsque mes deux petites Sims étaient en période de développement, je leur ai montré Kaamelott1, Pirates des Caraïbes, Star Wars, le Seigneur des Anneaux, Dr House, je leur ai fait écouter Naheulbeuk… et puis un jour, alors qu’elles étaient largement adultes, l’une d’elles m’a posé des questions sur une histoire genre… Blanche-Neige ou Cendrillon, un truc… « que tout le monde connait bien ».
Ce jour-là, j’ai réalisé que j’avais oublié d’acheter les livres / les DVD… Comme « tout le monde connait », j’avais oublié de repenser ces contes les plus classiques comme de vraies histoires.
Après, même si j’y avais pensé, je ne leur aurais jamais parlé de saletés toxiques comme la Petite Sirène, mais le fait est que j’avais oublié de parler de Cendrillon.
Bref, tout là-haut, je vous ai mis le lien vers Wikipédia.
« On » (Mère Dragon ? Quelqu’un d’autre ?) m’a toujours dit qu’il était facile de faire pleurer, très difficile de faire rire.
Et c’est tout simplement vrai et quelque chose de très présent quand j’écris. Je ne sais pas si je veux faire rire « en soi » ou si je fuis la facilité de faire pleurer.
A mes yeux, la Petite Fille aux allumettes, c’est un peu… la honte absolue.
Si je te raconte l’histoire d’une petite fille qui meurt dans le froid, évidemment que tu pleures. Même si je le raconte mal, même si je ne fais aucun effort.
Quel est l’intérêt narratif ?
Hormis si c’est inspiré d’une histoire vraie parce que tu as un message à faire passer (sur un cas en particulier ou dans une campagne de sensibilisation ou…), où ça te mène ?
Mon propos rejoint un peu ce que j’écrivais l’autre jour : pourquoi écrire si je n’ai rien à dire ?
On pourrait continuer la réflexion en remarquant que certains gars, quand ils sont coupables et condamnés, devraient se taire au lieu de nous infliger leurs propos médiocres dans les médias et sur les étals des librairies, mais l’actualité fait que je m’égare, c’est pas du tout mon propos ici.
J’ai créé mon premier fanzine quand j’avais 17 ans.
Même si j’ai forcément acquis de l’expérience depuis2, je peux donc dire que j’ai l’habitude de sélectionner des textes avant publication depuis… toute ma vie ?3
Je ne sais pas si j’en avais en débutant, mais, aujourd’hui, je n’ai pas vraiment d’états d’âme : je me décide assez vite. J’ai envie de publier ça / j’y vois quelque chose VS ça m’ennuie / j’ai même pas envie de lire deux lignes de plus.
— Mais c’est pas parce que ça t’ennuie que ça ne plaira pas à d’autres ?
— En vrai, c’est même pas un sujet.
Le travail d’un éditeur / rédacteur en chef / directeur de ce que vous voulez, c’est un travail de sélection pour lae lecteurice. Si quelque chose nous ennuie, on ne va pas aller vérifier si ça ennuie aussi les autres.
Et il existe plein de maisons d’éditions, de revues… y’en a forcément une qui aime les mêmes formes d’ennui que vous. Parce que la relation éditeurice-lecteurice, elle est personnelle : nous choisissons nos prescripteurs en tant que consommateur.
Je vous raconte mon rapport à la sélection parce que, dans le cas d’un concours, les choses sont un peu différentes.
Ça fait plusieurs années que Nice Fictions est partenaire du concours de nouvelles du CROUS Nice-Toulon. Je n’ai pas été dans le jury tous les ans, mais j’ai été observateur à chaque fois.
C’est un concours réservé aux étudiant·es avec un thème différent chaque année et une longueur maximum relativement courte.
Un concours, c’est très différent d’une sélection de textes comme celle que nous faisons actuellement aux Vagabonds du Rêve.
Pour les Vagabonds, tout nouveau texte, du moment qu’il nous plait, est sélectionnable même s’il est « moins bon »4 que les autres retenus car nous n’arrêtons pas de publier après un certain nombre d’occurrences.
Dans un concours, chaque texte est en concurrence avec les autres donc ce n’est plus « c’est acceptable », mais on cherche ce qui va sortir du lot.
Chaque année, on se fait la réflexion de la « noirceur » générale qui se dégage.
Les nouvelles sont souvent tristes, elles racontent des évènements durs. (Il y a beaucoup de violences sexistes et sexuelles…)
Il y a peu de comédies (aucune ?), peu d’humour, peu de rêves…
— C’est parce que les jeunes de maintenant, avec le Covid, la planète qui brûle, les guerres…
— Chais pas.
Andersen, il avait vécu la pandémie de Covid ?
Bien sûr, il est facile d’éliminer les Petites Filles aux allumettes mal écrites, mais il peut y en avoir de vraiment bien tournées.
Et vous savez quoi ?
Aucune Petite Fille, même très bien écrite, n’aura mon vote.
— Du coup, tu veux rendre les Happy End obligatoires ou quoi ???
— Parlons-en, justement.
Comme je l’ai écrit plus haut, faire pleurer, c’est super facile. C’est même paresseux.
Il suffit que tu t’attaches un peu à mes persos, rien qu’un peu, et couic ! Les deux parents meurent dans un accident de voiture en laissant seul au monde un petit garçon recueilli par sa méchante grand-mère et…
— Ouais, mais non ! Franchement, t’es un dévoreur de romances et les héros se marient à la fin et…
J’ai parfaitement conscience du mépris pseudo-intellectuel qu’il peut exister envers les fins heureuses vs les fins trop tragiques.
Les ignorants sont toujours plus méprisants que les savants.
Une fin heureuse n’est jamais évidente, une fin ouverte pas plus. Souvent, d’ailleurs, parce que l’exercice est par définition difficile, la fin est un peu ratée et gâche le tout.
Une vraie « bonne » fin triste / tragique, c’est plus dur à trouver qu’une fin heureuse, non pas parce qu’une fin triste est plus difficile en soi, bien au contraire (je tue tout le monde à la fin, on peut dire que c’est conclu !), mais parce que c’est rare (peu fréquent, disons) qu’elle se justifie.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que j’évoque le sujet des conclusions et j’ai décidé d’avoir un tag dédié, tiens, sur mes billets qui en parlent !
Jusqu’à la fin de mes jours, je serai toujours en colère contre Un jour / One Day où Elle meurt écrasée par un tractopelle5.
Si je cherche dans les récits vus y’a pas trop longtemps (pour m’en souvenir), je pense à Lost You Forever.
XL, le Démon, meurt sur le champ de bataille et c’est d’ailleurs l’illustration que j’ai choisie pour mon article. Évidemment que j’aimerais qu’il ait dit à l’Héroïne qu’il l’aimait et toutes ces sortes de choses, mais sa fin est juste magnifique.
Et, comme je l’ai écrit, je trouve la fin de la version drama meilleure que le roman.
XL va forcément mourir quoiqu’il arrive, on nous a répété tout le récit qu’un général meurt au combat, mais, dans le roman, CX, l’Empereur, finit mal aussi : il a trahi celle qu’il aime et ils ne peuvent que se séparer. C’était une fin facile : tu casses tout et tu refermes le livre.
Vraiment, je pense que c’est moins « paresseux »6 de faire que CX se sépare de sa bien-aimée sans se fâcher. La façon dont l’Héroïne-drama lui dit que tout est OK puisqu’ils ont survécu tous les deux est bien mieux trouvée qu’une séparation parce que CX-roman a fauté.
C’est beaucoup plus facile de tuer un personnage (issue fréquente des polyamours qui ne s’assument pas), de trouver des raisons à des séparations… que d’imaginer des fins où tout le monde a une place ou ouvertes sur des possibles prometteurs.
Alors, bien sûr, on a le droit de faire pleurer : un récit doit provoquer des sentiments et la tristesse est un sentiment valable.
Mais, vraiment, la Petite Fille aux allumettes ou Elle écrasée par un tractopelle… si tu n’as pas fait d’efforts pour conclure, pourquoi je devrais faire des efforts pour te lire jusqu’au bout ?
- Pour moi, Kaamelott, c’est ce qui passe sur la télé quand tu as 40° de fièvre et que tu comates sur le canapé. Don’t ask… ↩︎
- Je croise les doigts pour que ce soit vrai ! ↩︎
- Ben, non, ça ne marche pas : 17 ans, c’est pas ta naissance ! — Vous pouvez me faire une ristourne, sérieux ! ↩︎
- pour ce que ça peut vouloir dire ↩︎
- C’est un camion… — Et ? ↩︎
- Je n’ai pas d’autre terme… ↩︎